Frédéric Dard - Le gala des emplumés

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J'ai déjà exécuté pas mal de missions peu ordinaires, franchement originales, voire extravagantes.
Mais celle qui me débarque sur les endosses est, comme dit Béru, « A tomber le c… par terre ».
Figurez-vous qu'au cours du Grand Gala de la Rousse, le Vieux me prend à part, me tend la photo d'une gentille dadame d'une quarantaine de balais et me virgule :
— Je ne vous demande qu'une chose, San-A, devenir l'amant de cette femme.
Tout à fait un travail dans mes cordes… Mais il avait oublié un petit détail, le Tondu :
La photo datait de vingt ans !

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San-Antonio

Le gala des emplumés

A Jean-Jacques Vital

Ce torrent de sottises

En espérant pourtant qu’elles le feront sourire.

Affectueusement.

S.-A.

PREFACE

Je viens de lire sur épreuves le Gala des Emplumés.

Ça n’a pas été une épreuve pour moi. San-Antonio vient de me faire comprendre ce qu’aurait dû être ma carrière.

Jamais on n’est allé si loin dans la fantaisie.

Jamais imagination ne s’est à ce point libérée des contingences.

Pour San-Antonio seul compte l’humour. Il va jusqu’au bout de son propos qui est de nous faire rire. Rien ne l’arrête, pas même la réalité, car la réalité est banale.

Que n’ai-je adopté en mon temps sa méthode !

J’aurais ainsi évité bien de vains discours !

DESCARTES

CHAPITRE PREMIER

DANS LEQUEL ON ME DEMANDE DE JOUER RUY BLAS

Y a fiesta à la Grande Cabane, les gars. On célèbre les trente piges de bons et loyaux services du Vieux, c’est la cérémonie d’exception, non ?

Nous sommes tous réunis dans la salle de conférences, tous au grand complet et en grand complet.

Messieurs les Hommes ont toute latitude pour s’expliquer à leur guise dans Paname : les poulagas font relâche. M’est avis que s’ils sont au parfum de nos habitudes, il est en train de se perpétrer des coups fumants à l’heure où que je vous cause. Les garçons de recette peuvent se cramponner à leurs sacoches, les caissiers se carrer leur signal d’alarme dans le rectum et les bijoutiers remiser leurs cailloux dans la chambre forte, moi je vous le dis.

Le Boss a mis un costar noir, une cravate noire et sa rosette sur canapé des jours de gloire. Il est ému because M’sieur le Ministre de la Zone Bleue est en train de lui refiler un de ces coups de brosse-à-faire-reluire-l’honneur qui n’est pas dans une musette !

— Monsieur le directeur, qu’il trémole, vous fûtes avec une conscience exemplaire, de toute votre intelligence et en déployant une énergie farouche, la main de fer au cœur généreux qui a su insuffler un sang neuf dans l’esprit de ses services, lesquels assument avec une constance digne d’éloge la pérennité de la République, la sécurité du pays, la stabilité de la natation… je veux dire de la nation, et qui donnent à chaque Français la garantie de…

De quoi faire chialer un mur de briques, mes fils ! Il y a des toux, des raclements de gorge, des reniflements, des cillements, des craquements de chaise, des mouchages, et même des larmes en technicolor. Le Vioque a le bord des cils comme du jambon de Paris et il a adopté la pose modeste du mec qu’on est en train d’empailler tout vif.

Le ministre jette un coup d’œil au discours que lui a préparé le petit neveu du secrétaire adjoint du sous-chef de bureau de son vice-sous-chef de cabinet. Il prend une large inspiration et poursuit :

— Pendant trente ans, avec un dévouement exemplaire, vous vous consacrâtes au bien public. Vous fîtes de votre vite… je veux dire de votre vie, plus qu’un emblème : un drapeau ! Vous vous donnâtes et vous vous sacrifiâtes sans compter, faisant bon marché de vos jours et de vos nuits, de vos loisirs et de vos soucis personnels. Vous renouâtes avec les vieilles traditions françaises qui furent jadis la panade… je veux dire l’apache… excusez-moi : l’apanage de notre race.

— C’est fou ce qu’y cause bien ! me chuchote Bérurier dans le creux de la coquille. On a beau dire, mais l’instruction c’est quelque chose !

D’un coup de tatane dans les échasses, je l’oblige à fermer le robinet de son réservoir à couenneries. Le ministre continue sa diatribe et j’aime pas écouter deux patates à la fois.

— Si la police française, marseillaise le portefeuillé, est l’une des premières du monde, c’est, dans une large mesure, à vous qu’elle le doit. A vous qui sûtes refondre ses rouages compliqués dans le creuset généreux de votre esprit d’initiative.

— Si je causerais aussi bien, murmure le Gros, je vendrais des aspirateurs et je remplirais tellement de bons de commande qu’il faudrait un camion pour les coltiner de l’usine.

— En ces temps troublés, monsieur le directeur, la présence d’un homme tel que vous à la tête de corn…

Il se tait, tourne son feuillet, et enchaîne :

— A la tête de compagnons valeureux comme ceux qui m’écoutent en ce moment, est une garce…

Il s’arrête, regarde de plus près sa feuille et reprend :

— Pardon ; est un gage de vitalité. Que ces trente années de bons et aloyaux… pardon : et loyaux services, soient suivies de beaucoup d’autres, monsieur le directeur. C’est sur ce vieux con… excusez-moi : sur ce vœu qu’on se doit de conclure. Vive donc la Police ! Vive la République ! Vive la Framboise !.. Je veux dire : vive la France !

Tandis qu’on applaudit comme à un métinge, le ministre se tourne vers son chef de lavabo.

— Je me demande qui est l’imbécile qui a dactylographié ce discours, fulmine-t-il ; c’est bourré de fautes de frappe.

Le moment des cadeaux est maintenant arrivé.

Le ministre fait tout d’abord le sien, ce qui est normal. Il offre au Vieux la récompense suprême : une photographie du Général dédicacée par le chef de sa maison militaire et paraphée par le jardinier de sa maison de campagne. C’est ensuite la maison Poulaga qui, s’étant cotisée, a acheté à son Big Boss un stylo en or massif, avec remplissage thermonucléaire, capuchon de chez C.C.C., plume occulte, tiroir de rangement, corps de ballet incorporé, changement de vitesse au pied, tableau de bord en cuir de Russie tanné par les Japonais, matelas surbaissé, fignolage interne, roues à rayons, pas de vis fromagé, déglutition spontanée, incurvage à triple génouflexion, vue sur le Mont-Chauve, lieux communs automatiques, formules de politesse à répétition, et aussi, — et surtout — avec l’assurance de notre indéfectible attachement.

Le Tondu en larmoie sur les revers de son costar. C’est alors que Sa Majesté Béru I er, roi des Ignares et président à vie des diminués du bulbe, se dégage de la masse, violet d’émotion. Il coltine un pacson format cantine militaire enveloppé dans du papier journal et ficelé avec de la corde qui devrait servir à amarrer des péniches.

— Patron, éructe l’Obèse, si vous voudrez me permettre, j’ai quèque chose à vous causer et à vous z’offrir moi z’aussi.

Un silence stupéfait accueille cette initiative. Le Gravos passe sa gourmande sur ses lèvres à pneu-ballon, se racle le corgnolon et enchaîne vite-fait-sur-le-gaz (comme on dit à Lacq).

— Si que je me permets ceci et cela, patron, c’est rapport que j’ai z’été promulgué inspecteur principal à la suite d’à propos de votre intervention personnelle et efficace.

« Je suis pas un oratoire et je m’esplique mieux t’avec mes poings que z’avec ma langue ; laissez-moi vous causer pourtant de ma reconnaissance. Faut qu’on vous dise aussi combien c’est qu’on apprécie votre haute direction. Vous z’êtes pas un marrant et vous avez pas toujours le gant de velours autour de la main de fer. Quand il y a du mou dans la corde à nœuds, faut se sauver de devant biscotte ; y a de l’orage dans votre bureau, mais pourtant on vous aime bien, tous autant qu’on est ici, pas vrai, les potes ?

Une salve d’applaudissements salue ces véhémentes paroles. Le Gros remet alors son présent au directeur.

— Oh ! Ça ne casse pas trois pattes à un canard, s’excuse-t-il, mais dans la vie c’est comme en amour : chacun fait selon ses moyens.

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