La chère Mina qui en a organisé d’autres, peaufine l’ingénieux scénario. Elle, elle préconise quatre gardes du cardinal en supplément, lesquels bastonneraient les participants.
Le scénariste hésite devant le prix de revient, alléguant qu’une création de cette envergure l’entraînerait vers un devis excessif. Dame Mina propose d’entrer dans une coproduction pour une participation d’un tiers, à condition de pouvoir prendre une série de photos. Son commanditaire renâcle, prétextant que sa sœur exige l’anonymat. Qu’à cela ne tienne, réplique la taulière, elle portera un loup de velours qui pimentera la scène.
On tombe d’accord. On prend date. Elle raccroche avec la satisfaction qu’entraîne une bonne affaire rondement menée.
— Alors, vous avez vu ce que vous voulussiez voir avec ma Noiraude ? gazouille-t-elle à voix flûtée de vieille pute minaudante.
— Et davantage ! riposté-je d’un ton fermé à double tour.
— Qu’entendez-vous par là, monsieur le directeur ?
— Votre employée est logée dans des conditions inadmissibles qui vont m’obliger à demander la fermeture de votre taule.
— Mais c’est une Noire ! plaide la trayeuse de foutre.
— Justement ! La Ligue des Droits de l’Homme se montrera impitoyable. Cette insalubrité s’ajoutant à une affaire criminelle, vous allez devoir anticiper votre retraite, la mère !
— Oh ! Seigneur. A mon âge ! Presque sans ressources…
— A moins que…
— Que quoi ? croasse la Mina ! Disez, disez vite !
— A moins que vous ne relogiez décemment cette fille dans votre studio de matage qui, paraît-il, ne sert qu’épisodiquement.
Du coup, elle retrouve l’oxygène qui tant se raréfiait dans ses gros poumons à quatre places.
— Mais voui ! exulte la moissonneuse de braguettes ! Mais naturellement ! On va lui faire un petit nid, à cette grosse vache. Tout le confort pour son gros cul à cette négresse de merde ! Vous voulez que je vous montre ce coin douillet, monsieur le directeur ?
Je me dis que je dois tenir mon rôle jusqu’au bout.
— Et comment ! aboyé-je-t-il. Je serai intraitable, je vous préviens.
« Un fiacre allait trottinant. »
Elle me fait songer à la chanson d’Yvette Guilbert, la dame Mina. La manière qu’elle arpente son couloir en pressant le pas, toute sa vieille laiterie en tressautements par-dessus son estom’ dilaté.
On passe sur le palier. Il est éclairé par une grosse lanterne de laiton, à vitre bombée. Celle-ci se trouve en saillie (pour éclairer un bordel, ça s’imposait) et sépare la porte palière du claque d’une autre moins large, dépourvue de plaque nominative. Mémère a pris la clé et fourrage dans la serrure. L’huis s’écarte. Une minuscule entrée, séparée du studio par une lourde tenture, se présente, décorée de gravures qu’on appelait « licencieuses » jadis. Superbes ! Le thème de la série est la zoophilie. Tu vois une dame qui se fait mettre par un saint-bernard à l’air con (mais c’est de jouir qui lui fait ça), une autre par un âne moins bien constitué que Béru, une troisième par un bouc à l’œil démoniaque et une quatrième qui se fait lécher le triangle des Bermudes par un goret de belle prestance.
Très sympa. La série a dû être éditée par l’Association pour la Qualité de Vie des Animaux, je suppose ?
La mère maquerelle écarte le tissu. Une pièce se propose, laquelle comme on dit puis dans certains ouvrages de renommée mondiale, est plongée dans la pénombre.
— Ne bougez pas : je vais ouvrir les rideaux, annonce M mePain-de-fesses qui connaît les êtres.
Elle va à la fenêtre et, après tâtonnements, se met à haler un cordon kif elle hisserait le grand foc.
Une pénombre grise envahit lentement le studio.
— Ça sent le renfermé, s’excuse-t-elle.
— Et aussi le foutre, ajouté-je, en homme pour qui le sens olfactif ne sera jamais un parent pauvre.
La lumière d’aquarium qui croît dans un glissement de galets peu actionnés me découvre un divan bas, large comme un ring de boxe (ou de boxon). D’autres gravures, extrêmement pornos (et développant une documentation pédophile très poussée, qui confine à l’ingéniosité) « décorent » les murs, sauf celui du fond puisqu’il est consacré à un vaste miroir (que je sais sans tain). Peu d’écrans sont aussi riches, je gage, en images libertines. Un canapé fait face à la glace. J’ai l’intense, immense et redoutable surprise d’y voir quatre personnages dans des postures abandonnées. Ils ont été jetés pêle-mêle sur ce divan constellé de taches de foutre anciennes qui peuvent fort bien passer pour un chagrin de cierges.
Un bruit sourd distrait mon attention : celui que vient de produire la dame Mina en s’évanouissant une nouvelle fois de saisissement. Etant donné qu’elle gît sur une moquette de haute laine, je m’en désintéresse afin de me consacrer à cette réunion un temps pestive [9] Béru dixit.
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Se trouvent réunis dans la mort, comme on dit en style dramatique : une femme et trois hommes. La femme est mince, blonde et fortement marquée par son décès inopiné dû à une substance foudroyante. Ses lèvres blanches et retroussées en disent long sur la violence de son trépas. Dans un même état se trouve l’un des trois hommes, lequel ressemble beaucoup plus au prince Kanular que le duc de Bordeaux ressemble à mon cul, comme j’aime à dire parfois, étant d’un naturel facétieux. La ressemblance est stupéfiante, et je dirais même plus : ahurissante !
Dominant la répugnance qu’inspire tout individu privé de vie à tout autre disposant encore de la sienne, je me mets à palper son visage, à tirer sur ses cheveux, sur ses oreilles, à pincer son nez et son menton. J’humecte le coin de mon mouchoir et lui en frotte différentes parties de sa figure. Ouichtre ! comme disaient les Auvergnats, jadis, dans les dessins humoristiques généralement axés sur la scatologie, tout paraît de bon aloi.
Une flageolance me biche. Un début de nausée. S’agirait-il du vrai prince ? Pourtant ce cadavre est froid, raide, déjà malodorant. Or je me trouvais en compagnie du diplomate il n’y a pas si longtemps.
Je cherche les fameux grains de beauté sous l’oreille : ils s’y trouvent. Le gros qui a la dimension d’une pièce de cinquante centimes et, au-dessous, le petit, format grain de café !
Un sosie fabriqué de toutes pièces, longuement, patiemment, et d’une façon hallucinante de vérité.
Les deux autres mecs, sont, à n’en pas douter, Ange Zirgon et Achille Lanprendeux, les perdreaux qui furent dépêchés chez la mamie Mina dans le courant de la nuit.
A quel moment a-t-on trucidé les deux poulets ?
Mystère.
A éclaircir si possible. Sinon, je t’offrirai une boîte de caramels mous, les amis du dentier.
Je suis arraché à ma méditation professionnelle par la mère Mina (l’amère Mina) laquelle sort de son évanouissement, mais pas en grande forme.
Elle est assise sur la moquette, les cannes à l’équerre. Comme elle a contracté au cours de sa vie vouée à la prostitution, l’habitude de ne pas porter de culotte, et re-comme ses hardes sont troussées haut, on lui constate la cressonnière sans s’énucléer. Chatte qui n’a rien de suggestif, non plus que de désopilant, affaissée, toute en lourdes babines qui pendent comme les tentures d’un vieil hôtel délabré, enfourrée de pauvres poils trop longtemps compissés, qui clairsèment par plaques, défrisent d’avoir été constamment enfoutraillés, se décolorent au fil du temps, acquièrent la rêchitude agressive du crin de matelas ayant traversé une vie d’homme sans cardage réparateur.
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