San-Antonio
Dis bonjour à la dame
Honorable lecteur, salut !
Et va te faire foutre.
Il y a plus long que les nuits. Que celle de Valpurgis, que celle sur le mont Chauve, que celle même des temps.
Plus long que les nuits sont les journées quand les journées restent vides et statiques, quand elles ne t’apportent rien d’autre que le temps qui s’écoule et les heures fatidiques de la bouffe et de la dorme. Elles ressemblent à des entonnoirs. T’as beau griffer les parois, tu chutes en spirale.
Ah, que non : l’attente n’est pas trompeuse. Elle est stratifieuse. Te minéralise lentement de son calcaire sournois.
Des jours qu’on est parés pour la manœuvre éventuelle. Qu’on espère un client. Au début, il y a eu cette espèce de griserie de l’emménagement. Tout y était neuf, pimpant, chatoyant dans nos magnifiques locaux champs-élyséens de la Paris Detective Agency. On remettait les tableaux bien droits contre les murs clairs. On regardait naître et s’évaporer nos empreintes honnêtes sur les chromes des meubles modernes ultra-pop-knoll-ma-bibite-vasarélo de course. On joujouait avec les gadgets sous prétexte de s’y familiariser. On baisait les envapantes secrétaires sur leurs burlingues sans travaux. C’était la fiesta du tout nouveau, la liesse inauguratrice, le tourbillon de l’entrée en jouissance, avec des parfums de liberté bandante, à user, à consacrer, à dissiper au plus vite car la liberté, c’est comme le pognon pour un prodigue : faut la claquer fissa, pas qu’elle rancisse. Regarde les peuples qui se délivrent de leurs tyrannies, la manière, que vite ils s’en enclenchent une autre, d’urgence, pour pas tituber de leur ivresse d’être affranchis. Pas se fatiguer d’être fibres. Leur acharnement à dare-dare créer une nouvelle férule, leur génie à la faire jaillir de là qu’on la soupçonnait pas. Comme ils provoquent habilement les volontés oppressives en léthargie, en ignorance d’elles-mêmes.
On se disait : « les affaires vont affurer ». Une plaque comme celle qui miroite au bas de notre immeuble. La féroce campagne de pub dans tes grands hebdos et dans les postes périphériques. La gloire neuve, grandiloqueuse, dorée à la feuille de la Paris Detective Agency. Son slogan molto génial : « Une police ultra-moderne que vous pouvez acheter. » De moi ! Tout ça, tu penses, lecteur vénéré, que ça devait déclencher les foules, driver des catastrophes sur nos locaux, nous amener des secrets croustilleux, des histoires pas ordinaires, de celles qui mijotent au cœur des sociétés, qui emputrident doucement les bourgeoises masses peureuses.
On était sûrs, certains de son coup, nous ; la nouvelle ronflante équipe : Béru, Pinuche, Mathias, deux secrétaires du corps auxiliaire et aux corps principaux. On s’était refringués à mort, tête aux pieds, sans se concerter, manière de se ravaler pour figuer dans cet antre fabul. Qu’on soye bien beaux, tout frais et reniflant bon. Pinuche s’était fait refaire son dentier. Béru portait du sur mesure et ressemblait de ce fait à un notaire loqué en confection. Nos gentilles gonzesses : Maryse et Claudette, arboraient deux tenues identiques qui constituaient une espèce d’uniforme : jupe bleu marine, corsage rouge garibaldi frappé de l’écusson de l’agence « P.D.A. » sur fond d’Arc de Triomphe stylisé. Bioutifoule en plein…
Et dis, ô lecteur apprécié : mon burlingue. T’aurais vu ! Charogne, ce luxe ! Une table en verre fumé et acier chromé au plateau épais comme mes z’œuvres reliées peau de burnes. Murs beige pâle, canapé bleu pâle. Fauteuils de cuir blanc vif. Des aquarelles aux murs, et mieux que les aquarelles, une baie plus choucarde que l’abbé des Anges ou le bey de Tunis puisqu’elle donne en plein Champs-Zé. L’attirail sur ma table de travail, t’aurais maté ça ! Impressionnant comme le poste de pilotage d’un Concorde. Et des livres sur les rayons invisibles d’une bibliothèque suspendue. De grande beauté. Pas de ceux qu’on lit, oh que non : des vrais, bien superbes. De ceux qu’il faut pas toucher sous peine de leur ternir l’impeccablerie. D’ailleurs, à part mes polars, le prix Goncourt et le Michelin, les bouquins ne sont pas faits pour être lus.
Tu les magines, comme ça, tripotés, feuilletés, cornés ? Merde, j’en frissonne. Bon, mais je t’en reviens vite, Lecteur plein de componction et d’hémorroïdes, à la majesté de notre agence. Si disagne, comme on dit en français moderne. Alléchante.
Voilà.
Mais le gibier venait pas se piéger à nos mirifiques collets. Tu sais pourquoi ? Dans la publicité, partout, il était expressément déclaré qu’on ne s’occupait pas des affaires de cul. Cornards prohibited . L’œil du bidet ? Jamais de la life ! La savonnette à poils ? Pas notre zob ! L’hôtel de la tringlette ? On voulait pas connaître. On était pour la toute grande besogne. Les bigs affures enchevêtrées. Les gros délits ternationaux. Espionnage industriel. Morts suspectes. Or, pour les mœurs françaises, dans une agence de rousse privée, si tu refuses le cocu, tu te condamnes à l’inaction. Et c’est pas parce que t’as un pignon sur l’avenue des Champs-Elysées que ça y change quoi que ce soit.
Des jours…
On s’est mis à ravager du moral. A se branler couennes et roustons. A s’ennuyer de l’uniforme ôté. Que c’en devenait plus tenable, de tous nous retrouver dans nos 360 mètres carrés d’agency, avec nos téléphones internes, nos écrans de téloche secrets, notre labo miniature, nos archives électroniques et toutim. Un bigntz fou, pour ballepeau ! Mise de fond tentaculaire, monstres frais généraux. Tout ça pour inscrire mes couilles au tableau d’affichage ! Merci bien, m’sieur Jules ! On sombrait dans les morosités. Pinaud recommençait à ne plus se raser. Béru introduisait du beaujolpif en fraude dans son bureau malgré la très formelle interdisance. Mathias venait à chaque instant me mendier sa réintégration à la Cabane Poupoule. Et les deux sirènes qu’on avait plus le cœur à tringler se racontaient des histoires d’outre-cul en se faisant les ongles. Tu mords, dis, Lecteur Respecté ? La vraie débâcle ! Un calvaire silencieux. Que juste troublaient les informations que mon Luxembourg-matic bousculait dans mes trompes amorphes, comme pète un cheval, quand l’envie lui prenait de nous raconter le drogué défenestré ou la nuit de Giscard à l’Armée du Salut.
Tu sens bien la calamité de tout ça ? Nous autres, inactifs au milieu de ce luxe inutile ? Sentant l’espoir nous sortir du dedans comme une vilaine chiasse ! Présentant l’honteuse faillite. Le monumental bide. Et le retour au bercail, oreilles et queues basses, sous les quolibets faisandés des aminches si franchement heureux de notre échec. A s’en faire des bleus aux cuisses de trop se les frapper, les bas fumiers !
Et puis, il s’est produit quelque chose.
Un branle-bas. Juste à l’instant que Bérurier, déculotté, amusait la pauvre galerie en allumant les pets de son cassoulet. Il avait baissé les stores électriques en même temps que son futal, bien qu’on voie les flammettes bleues chalumer de son prose. Une pure féerie. Son et lumière sur le cul du Gros ! T’aurais cru un tracé phosphorescent dans la nuit. Spectacle complet : auditif, visuel, odorant. La perfection absolue. Probante. Patente, comme geignent les petits commerçants fiscarisés à moelle.
Rire, on ne pouvait s’empêcher. Mister Gradube en lance-flammes : une pure joie de l’esprit. Un ravissement de l’œil. Du grand art, bien insolite, troublant. On applaudissait à tout rompre quand v’là le mélodique timbre d’entrée qui nous susurre son lamento à quatre notes. Gring gling grang glong ! De toute beauté. Du Beethoven présourdingue ! Mathias a le réflexe. Il bizmute le contacteur d’apparition. Sur un écran se manifeste la silhouette d’un gus qu’était enfin ni le facteur, ni le gonzier des électrocités de France-Navarre.
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