— Si un peu de fric ne traînait pas ?
— Oui…
— Et tu en as trouvé ?
— Dans son armoire ; il y avait mille francs dans une boîte à cigares…
— Tu n’as vu personne ?
— Non… Sa porte était entrouverte. Il n’y avait personne… Je suis entré, j’étais fou. Je regrette.
— Pas de salades, garde-les pour le jury !
— Le jury ! brame-t-il…
— Continue…
— Je suis allé droit à l’armoire… Je l’ai ouverte, j’avais la tête qui me tournait tellement la peur me faisait battre le cœur… J’ai aperçu la boîte de cigares… je l’ai ouverte…
— Bon… Et après ?
— Après. Je suis retourné dans ma chambre. J’ai bu de l’eau et je me suis étendu sur mon lit pour récupérer, tellement je me sentais las…
Je le regarde. Un peu de pitié remue en moi. Au fond, c’est de la graine de bourgeois. Pas mauvais, il a vécu son aventure et elle le marquera toute la vie.
Précipitamment il sort une liasse de billets de sa poche.
— Voilà le reste ! J’ai dépensé cent cinquante francs environ… Pour m’étourdir…
— C’est ça… J’aimerais que tu me racontes les choses exactement comme elles se sont passées… Lorsque tu es entré dans la chambre, tu ne t’es aperçu de rien ?
— Mais non… Ah ! si, il y avait une drôle d’odeur…
— De poudre ?
— Oui, ça doit être ça…
— Tu n’avais pas entendu le coup de feu, de ta chambre, quelques heures auparavant ?
— Non… Mais ça n’a rien d’étonnant, mes fenêtres donnent sur la rue… Avec cette circulation…
— Et dans la chambre, rien à signaler ?
— Je vous ai tout dit.
— Je parie que non, réfléchis… Le téléphone n’a pas sonné ?
Il a un mouvement brusque.
— Ah ! oui, c’est vrai… C’est ce qui m’a le plus fait peur… Je n’osais pas bouger. Le patron est allé à l’escalier… J’ai cru qu’il allait monter, alors j’ai pris la communication.
Les potes, c’est ici que les Athéniens s’atteignirent. Tout ce turf n’avait pour but que d’arriver à cette minute cruciale. Depuis mon enquête au Mont-Chauve j’ai pigé que le gars Philippe était allé dans la chambrette du pape pour faucher et non pour seringuer et que c’est lui qui a répondu au coup de tube de Pauvel.
Je savoure le moment et sa délicatesse.
— Prends bien ton temps et pèse tes mots avec un pèse-lettres, je murmure. Que t’a dit le correspondant ?
Tuyé pige la gravité de la chose. Il ferme les yeux, se recueille. Un peu de couleur lui revient. Je le considère et je pense que, sans barbiche, il doit avoir l’air d’un petit chat mouillé. Paris ne lui vaut rien, à ce chéri… C’est de l’alcool trop fort pour lui. Il ferait mieux de prendre un ticket de retour pour son bled natal où son vieux vend des tracteurs ou fabrique de la limonade…
— Voilà, fait-il, appliqué au maxi ; c’était un homme. Il semblait pressé. Il a dit : « Paul ? » J’ai émis un grognement… Il a ajouté « Ici Marc »… J’ai grogné à nouveau… Il a dit très vite : « Les événements ont l’air de se précipiter, je donne l’ordre d’agir, prends tes dispositions »… Et il a raccroché.
— C’est tout ?
— Absolument tout…
Je me répète la phrase : « Ici Marc, les événements ont l’air de se précipiter, je donne l’ordre d’agir, prends tes dispositions. »
Conclusion : Pauvel et Brioux étaient intimes puisqu’ils s’appelaient par leur prénom et se tutoyaient. Ils préparaient un coup ensemble. Un coup sur le point de se réaliser. Et il y avait quelqu’un : l’homme au costard bleu, qui mettait de sérieux bâtons dans les roues.
— Bon…
A voir, à étudier, à mijoter…
Je saisis le petit Tuyé par la cravate et le soulève à demi de sa chaise. Du gauche je lui file une mandale en pleine poire, puis un revers, puis encore une mandale avec son revers… Il est cramoisi, des tavelures bleues apparaissent sur sa frite. Il chiale.
— Ecoute, je lui dis. Je vais te donner un bon conseil, petit homme : tu vas raser ta barbe, faire la valise et retourner chez tes vieux. Prends le métier de papa et fais de la peinture le dimanche, ça a réussi à un douanier, y a pas de raison que ça rate pour un marchand de robinets… Marie-toi, fais des gosses et tâche d’être honnête… Si tu ne suis pas ce programme à la lettre, je t’envoie en cabane jusqu’au restant de tes jours. Et surtout ne fais plus de galop, compris ?
Il ne pense plus à la friction que je lui ai administrée. Seule miroite dans son crâne la douce liberté qu’il est sur le point de recouvrer.
Il me regarde avec des yeux de greffier amoureux d’une tranche de mou.
— Allez, barre-toi ! dis-je… Et fais gaffe à ton casier. Une fois qu’il est taché, il ne peut plus servir.
A peine le barbichu est-il quimpé que Georgel rapplique. Il tient à la main un grand sac en papier tout gonflé. Et il a l’air d’un mec qui a trouvé le moyen de remplacer le beurre par une passe magnétique.
— Quoi de nouveau ? je lui fais.
Il brandit le sac en papier.
— Triffeaut n’a jamais porté de chapeau, dit-il. Voici celui qu’on a trouvé sur son cadavre. Il est trop grand de deux pointures et légèrement usagé, preuve qu’il a été porté. Ce n’était donc pas le sien !
Pour la première fois il commence à m’intéresser, ce bon garçon. Ce détail du chapeau revêt un intérêt exceptionnel. Pourquoi la victime en était-elle coiffée alors qu’elle n’en avait jamais porté de son vivant ? Mystère et constipation !
J’examine le bada, c’est un bitos gris perle qui sort de chez Tronchard (le galure qui fait jacter la frite), slogan connu et justifié… S’il pouvait la faire parler, la hure à Triffeaut, on en apprendrait plus long… Mais maintenant, faudrait convoquer le Bon Dieu d’urgence pour lui rendre la parole, à l’assureur. Là où il est, on n’en bonnit plus beaucoup !
— C’est bien, dis-je à Georgel. Tu as marqué un point, fiston.
Du coup, le raisin lui monte à la tête, mais, comme disait mon adjudant, il n’en rougit pas.
— C’est pas tout, dit-il…
Et il brandit triomphalement une photo représentant Pauvel en train de monter dans sa voiture : une Talbot Grand Bidule !
— Par exemple, j’ai pas celle de Brioux, je suis pas arrivé à avoir son adresse !
Je rigole.
— T’occupe pas de ça, moi je l’ai eue…
— Ah ! bougonne-t-il, déçu…
Il prend ça pour une vanne. Je le réconforte d’un sourire gentil. Mais ce Georgel a le plus sale carafon de l’arrondissement. Il sort France-Soir de sa poche et va le ligoter dans un coin. Sur ces entrefaites Mignon se pointe, la brioche en avant, la braguette mal boutonnée avec des taches de graisse plein sa baveuse.
— Et alors ! s’écrie-t-il, les événements se précipitent, à ce qu’il paraît ?
Il a recouvré toute sa bonhomie. Il ne se caille pas le sang, ce cher garçon ! Il est peinard dans son burlingue, à étudier des rapports. Toutes les cinq minutes il descend liquider un glass au troquet du coin… Le biberon, la jaffe, c’est ses deux mamelles de la France ! Paraît qu’il se lève la nuit pour se faire des œufs au lard ! C’est Bérurier qui m’a affranchi, il est payé pour le savoir, car il brosse Mme Mignon, une sacrée pétroleuse à ce qu’on raconte ! Une de ces gerces qui a un volcan en éruption dans sa culotte !
Je lui relate les différentes phases de l’affaire.
— En résumé, fait-il après avoir passé sa patte en gant de boxe sur sa frite, Pauvel, quoi qu’il en dise, était en cheville avec Brioux. Ensemble ils préparaient quelque chose qui va se réaliser. L’homme en bleu clair n’est pas de leur bord puisqu’il les massacre ! C’est lui qui a certainement descendu Triffeaut. Quel rapport existe-t-il entre l’assureur, son assassin et le tandem Brioux-Pauvel ? Voilà ce qu’il ferait bon éclaircir…
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