Mme Kaufmann calme son molosse et commande un dry martini. Je cherche son regard, le trouve, et lui souris. Elle me sourit. Je lui déclare alors, en anglais de Charenton, que son chien est un amour. L’aimable personne fait « Arrr arrr » de contentement, mouille sa jolie culotte et me répond que « N’est-ce pas ! ». Ajoutant peu après qu’il s’agit d’un yorkshire classé monument historique, avec un pedigree qui rejoint la Couronne d’Angleterre par les femelles, et qu’il se prénomme « Apple », son nom de famille demeurant Kaufmann, bien entendu. Véra se joint à mon solo de compliments, si bien que nous entreprenons un duo d’une grande musicalité, elle à la flûte, moi au violon. La Dabuche écluse son dry martini, cul mouillé.
Avant qu’elle ne hèle Antonio Saligo Kibandalez, je lui propose de faire rebelote avec nous. Elle accepte. Je me précipite pour l’aider à se lever, puis à prendre place à notre table, attentions qu’elle apprécie, à preuve : elle me dit que j’ai une galanterie très britannique. Cocardier, je lui rectifie le tir et lui avoue ma nationalité. Elle en montre quelque surprise, jugeant, m’avoue-t-elle avec cette robuste franchise des gens dont le Q.I. avoisine la température d’Helsinki au Jour de l’An, que mes compatriotes se comportent la plupart du temps comme des butors, la preuve en étant le paltoquet qui, pas plus tard que ce matin (mais pas plus tôt) a marché sans s’excuser sur la pattoune d’Apple. Un Parisien grande gueule, licheur, ronchon, mécontent de tout sauf de lui-même et houspillant sa malheureuse épouse dont Mme Kaufmann espère bien qu’elle le fait cocu quand il a le dos tourné.
On bavasse d’une chose et d’autres : Marbella, l’Espagne, le Fuente , le cher Président des États-Unis qui se lave les dents trois fois par jour, la politique inquiétante du Honduras, tout ça… Elle cause la bouche pleine, étant donné que Mémère déménage les chips et olives que le fan de Santa Clara de la Stupéfaction ne cesse de virguler sur notre table basse.
M’est avis que cette mignonne est bien ferrée. Glandue comme je la trouve, ce sera un jeu d’enfant que de lui faire dire ce qu’elle sait, en admettant qu’elle susse autre chose que le noyau de sa cerise confite (en dévotions, puisque espagnole).
Soudain elle s’interrompt au mitan d’une phrase qui n’avait nul besoin d’être terminée d’ailleurs et agitant trois kilogrammes de bracelets passés à son poignet droit, elle crie :
— Hello, Walti !
On se détronche et on voit se pointer un superbe garçon d’à peu près mon âge, noir mais avec une chevelure décrêpée, regard bleu, ce qui accroît sa beauté, portant des lunettes cerclées d’or qui lui donnent un aspect intellectuel. Il est très élégant : blazer de commodore agrémenté d’un écusson d’université, pantalon de flanelle grise, chemise à fines rayures blanches et bleues, cravate tricotée bleu marine.
Il s’approche, à la fois réservé et souriant. M. Colgate le voit, pile il lui signe un contrat pour sa pub. J’ai déjà vu des dents blanches, mais en considérant les siennes, tu comprends que Bonux, Persil, Ariel et consœurs ont raison : faut pas confondre blanc et blanc !
— Voici Walter Equal, le nous présente Mme Kaufmann. A propos, vous ai-je dit que mon nom est Daisy ?
On se révèle à notre tour : Véra, Antoine, tout bien. Poignées de louches françaises ponctuées de « Hello » ricains. L’arrivant fait un guili sous le menton d’Apple, lequel paraît le connaître et frétille.
On papote. Daisy nous demande si nous sommes mariés. Je réponds que Véra est ma cousine. Elle se trouve à Marbella en compagnie de son papa chez qui je travaille : import-export. Nous venons faire un petit break, manière d’échapper au stress à l’affût dans les bureaux des hommes d’affaires. Et eux ?
Daisy explique que son mari est un haut fonctionnaire américain, spécialisé dans les contacts avec l’étranger. Il se trouve provisoirement à Paris. Elle ignore que c’est certes toujours vrai, mais qu’il est allongé dans un tiroir de la morgue, ce qui te prouve bien qu’un malheur qu’on ignore n’est pas encore un malheur. Quant à Walti, il fait dans la banque et assure la liaison entre un groupe suisse et la Decline’s American Bank Corporation. Il vient de divorcer et il s’est permis une escapade à Marbella manière de se changer les idées.
A la manière dont la Daisy le regarde, on comprend qu’elle s’y emploie, n’étant pas raciste une fois passé les services d’Émigration américains. Mémère doit aimer la carambole. S’emplâtrer ce beau Noir au regard bleu, aux cheveux lisses et brillants comme truffe en lamelles doit être délectable pour la gentille chère grosse mémère à chien-chien rubaneux. Peut-être pas tant jouissif de vraie jouisserie, mais fortifiant.
Elle raffole trop la picole, la bouffe, les fanfreluches et les horribles mignons yorkshires de poche pour y aller franco du panard, Daisy. Je la devine à harnais, comme les dadames du temps jadis : corset, combinaison. Je hais ! Intolérable, la combinaison ! Et le corset, donc, instrument moyenâgeux ! Reliquat de croisades. Survivance de la ceinture de turpide chasteté, oh ! la la ! Descendant ras de moule, je le vois bien ! Aplatissant l’inaplatissable : le volume est déplaçable, mais pas comprimable, jamais longtemps en tout cas. Et donc il la calce, la veuve qui s’ignore encore. Et tiens ! Je vois radiner un groume, portant un plateau menu, en argent simili. La manière que de loin, il mate Mme Kaufmann, je comprends que c’est pour elle.
La very mauvaise nouvelle ! Tu veux parier ? Je profère un mot d’excuse et lui bondis au-devant.
— C’est pour Mme Kaufmann, n’est-ce pas ? lui demandé-je en espagnol, car je ne suis pas à une langue près.
Il fut un temps, je causais que le français, mal d’ailleurs, mais ça présentait des difficultés. Alors j’ai décidé de parler cent vingt-huit langues et dialectes pour faciliter les contacts z’humains, plus perdre de temps en oisives traductions répétitives. On vit le siècle de la promptitude, n’oublie pas.
Le groume répond affirmativement. Je ramasse le télégramme sur le plateau et lui vote un bifton de cent pesetas qui n’ôte rien à sa gravité de futur torero. L’Espago se marre peu. Toujours soucieux, t’auras observé. De là qu’on dit grand d’Espagne. A cause de la constipation qui continuellement les crispe. C’est purement intestinal, leur tristesse, les Espingos, parole ! Pas plus grands que toi et moi ; beaucoup plus petits au contraire. Mais ça n’a aucune importance ; à quoi sert d’être long ? Comme dit Scut qui a tout dit : « On ne peut plus se mettre les mains sur la tête. »
J’enfouille le message tandis que le gamin retourne à la réception.
Alors que je regagne ma place, je surprends un curieux manège : le copain noir verse quelque chose dans le godet de la chère Daisy. Boulot d’artiste, espère. Il a eu un geste pour caresser le petit brimborion de cador. Et, en exécutant ce mouvement, il a vidé le contenu d’une capsule dans le dry martini. Faut réellement posséder mon œil de lynx pour apercevoir la manœuvre d’illusionniste, tant tellement elle fut exécutée divinement. Tu parles d’un manipulateur, ce mec ! Je voudrais le voir avec un pacsif de cinquante-deux brèmes en pognes, ce boulot !
Heureusement, je vais le biter en renversant le glass de la Daronne au moment de m’asseoir. Fastoche, il est précisément au bord de la table basse.
Mais le sort en décide différemment. A l’instant précis où je rejoins le groupe, Daisy rafle son verre et te le gloupe à la russe, descendez on vous demande ! J’en suis tout bêta. Santonio se convoque pour une conférence intime. Deux attitudes sont envisageables. Ou bien je marque le coup, saute sur l’ami Walter, gueule qu’on mande un toubib, rameute, déclenche, bref, joue les terre-neuve, ou bien je m’écrase et je laisse venir.
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