Elle déploie ses ravissantes jambes et je ne peux me retenir d’y porter la paluche.
— Si le père Kauf ne te gavait pas de paf, je te proposerais la botte, soupiré-je.
Elle a une œillade en coin.
— Tu sais, lui, c’est la quantité ; pour la qualité, j’ai déjà rencontré mieux.
Est-ce une invite ?
Histoire de m’en assurer, j’y vais d’une légère séance de gligli-glinglin. Elle participe. Une surdouée. Pas du chiqué.
— Tu sais, flic, murmure-t-elle, il y a un truc qui me porte aux sens et que tous ces connards sont infichus de faire la plupart du temps…
— Quoi donc, ma belle ? Le casse-noisettes, le limonaire en folie, l’enjambement cosaque ?
— Debout, tout simplement. C’est mon vice.
— Ça tombe bien, j’en raffole.
— Te dessape pas, surtout !
— Penses-tu, je sais vivre !
Et nous voilà comme deux petits drôles, elle adossée au mur, une piote levée, moi, arc-bouté, pas la peine de te faire un dessin, à lui jouer l’Introduction de Werther, au grand dam de la cloison fortement éprouvée par mes assauts vigoureux. Et la môme qui hurle sa joie de vivre. Et qui me mord, la petite sauvage, partout où ses dents peuvent m’atteindre : la bouche, le menton, même le blair, tu te rends compte d’à quoi je vais ressembler (Des moudus m’écrivent que les expressions telles « d’à quoi, l’à quel point », etc., ne sont pas françaises. Je les sais gré de me préviendre) en fin de journée, moi, entre les coups de boule de l’un et les morsures de l’autresse ?
Compte tenu qu’elle est professionnelle, je lui déploie le tout superbe grand jeu. C’est Apocalypse Zob de gala.
Une dame qui a sa licence licencieuse, si tu veux retenir son attention, faut pas s’économiser. J’y vais dans les grandes troussées mémorables. Elle est si légère, si souple, si coopérante qu’on peut pratiquer un boulot de classe. Je ne saurais donner une note à ma prestation, ne pouvant me montrer à la fois juge et partie, pourtant, si l’on me poussait, en mon âme et conscience, la main sur la braguette, j’admettrais qu’elle mériterait un 16/20 et, pourquoi pas, un 17. La fillette en est d’accord.
Pour ce genre de royale troussée, bien que je ne sois pas militariste, je trouverais opportun l’assistance d’une marche militaire. Des cuivres, des tambours, un air allègre et bien rythmé siéraient vachement à cet enfilage vertical. Mais les radios en diffusent de moins en moins, il faut donc se résigner à calcer sur du Sardou ou du groupe ricain.
Ayant conclu la séance avec autorité, je porte à bout de nœud la donzelle jusqu’à son lit, profitant d’un chant du cygne qui s’éternise, et la largue en souplesse. La chère Mélanie reprend souffle, me félicite que bravo, bravo, on ne trouve plus de tringleurs aussi fiables et performants. Ses abonnés sont de vieux vaniteux pour qui la simple éjaculation de rongeur constitue un exploit dont ils se vantent pitoyablement, poussant même l’outrecuidance jusqu’à demander à la partenaire « si c’était bien », certains de la réponse affirmative, qu’ils reçoivent d’ailleurs, ce qui les incite à davantage de générosité.
Kaufmann n’a toujours pas donné de ses nouvelles, ce qui n’est pas un mal, compte tenu de notre emploi du temps.
Mélanie se fringue et nous partons guillerettement, elle pour aller allumer les bougies d’un gâteau d’anniversaire, moi pour faire un peu d’enquête sur le pouce avant de regagner mon gîte.
Comme nous arpentons l’avenue George-Vé en direction des Champs-Zé, la gentille camarade d’embroque pousse une légère exclamation.
— La voiture de Baby Kaufmann ! m’annonce (du pape)-t-elle en me montrant une imposante Chevrolet bleue, à toit crème portant une plaque diplomatique. Le véhicule est remisé sous un arbre dépouillé par l’automne, comme l’écrit joliment Albert Sous-main dans une poétrie vachement chiée et que j’ai dû apprendre par cœur jadis.
— Donc il est dans les parages, conclut ma vertibaiseuse.
Pourquoi avons-nous le réflexe de nous approcher de la bagnole ? Tu saurais m’y dire, toi ?
Toujours soit-il qu’on vient à elle et qu’on mate, d’un commun accord, l’intérieur.
La vie est ainsi, et les romans policiers également. On obéit à des déclics mystérieux.
Je suis le premier à apercevoir un tas gris, sous le puissant tableau de bord. Cela ressemble à des fringues.
Je tente d’ouvrir la portière qui ne m’oppose aucune résistance. Il s’agit bien de vêtements en effets (je mets un « s » à effet pour que ça fasse jeu de mots, tu comprends ?). A l’intérieur desdits, se trouve un homme mort : Baby Kaufmann.
Une balle dans la nuque. Peut-être deux, mais tirées coup sur coup, car le trou est large.
On avise des taches brunes sur le dossier, côté conducteur. Quelqu’un se tenait derrière lui, qui l’aura praliné après qu’il eut garé sa chignole.
Je sais bien qu’il fait nuit de bonne heure en cette saison, mais tout de même : en pleine avenue George-Machin, faut oser, non ?
M’man me regarde bricoler, intéressée. Mais c’est Antoine, notre mignon adopté qui m’interroge :
— Qu’est-ce t’fais, Tonio ?
— Occupe-toi de tes devoirs, lui réponds-je, importuné.
Ses devoirs consistent à chiader cinq lignes de voyelles (on lui a fait grâce de l’« Y », que j’ai toujours trouvé hybride, d’abord parce qu’il est étranger, et ensuite parce qu’il est à jambage, ce qui n’est pas catholique de la part d’une voyelle, ce genre de fantaisie étant l’apanage des consonnes).
Regrettant ma rebuffade, je corrige aussitôt :
— Je fabrique un jeu de cartes.
— Pour jouer à quoi ? demande le môme.
— A comprendre.
— A comprendre quoi ?
— Ce que je ne comprends pas.
— Et qu’est-ce tu comprends pas, Tonio ?
— Des tas de choses.
— T’es pourtant grand ! s’étonne mon petit, tout petit frangin, lequel croit encore que les adultes possèdent la science infuse.
Que veux-tu répondre ? Démolir ses illuses ? Comment éprouverait-il quelque appétit à grandir s’il sait d’avance qu’un homme est con et méchant ?
Lorsque je prétends confectionner un jeu de cartes, je ne mens pas. Effectivement, je découpe des rectangles dans du bristol. Ensuite, sur chaque carte ainsi obtenue, je dessine une silhouette à laquelle j’attribue un blaze.
Mon jeu comprend des rois : Le Vieux, Kaufmann, Sliffer. Des valets : Bob Landon, Pinuche, Béru, Santantonio. Des reines : Emily, Mélanie. Deux de mes rois sont morts, le même jour. L’un des valets m’a foutu un atout. Et la plus jolie des deux reines a disparu.
Le roi de trèfle Achille m’a appris que le roi de carreau Kaufmann était un haut personnage de la C.I.A., mais il ignore tout de ses rapports avec le roi de pique Sliffer. Quant au valet de carreau Bob, il n’en a jamais entendu parler. De plus, à l’ambassade ricaine, on m’a assuré que le roi de pique n’avait pas de fille et que, donc, la petite reine de cœur Emily s’est foutue de ma tronche, mais avec la complicité de Sliffer puisqu’il ne l’a pas démentie. J’en arrive à me demander si ce n’est pas elle qui, en mon absence, a gazé son faux papa, l’amenant involontairement à se rompre le cou en tombant. Qu’ensuite elle s’est barrée avec un complice qui l’attendait. Pourquoi a-t-elle laissé sa chignole ? Mais pour accréditer la thèse de l’enlèvement, bien entendu.
On parvient toujours à composer des hypothèses valables. Les faits, ça se triture, se malaxe, s’étire sous le rouleau à pâte de l’imagination, comme l’écrivait avant-hier M. Maurice Cabbageman (ou Chouhomme, voire même Chouman) de l’Académie à seize francs.
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