Soudain une détonation claqua à quelques mètres. Il se colla dans l’humus gras du sol. Dans sa frousse il aurait souhaité s’y ensevelir, devenir une de ces innombrables larves qui s’y agitaient.
Il releva la tête. Le sous-officier se tordait sur le sol à droite de lui. La balle était entrée dans ses reins, et sa chemise kaki se souillait rapidement d’un rouge foncé. Maung n’osait plus bouger.
Les feuillages bruissèrent tout autour de lui, mais il ne vit personne. Il ne lui restait qu’une ou deux balles dans son automatique.
Brutalement éclatèrent les rafales de la mitrailleuse. Stupéfait il vit les balles traçantes l’encadrer dans une odeur de phosphore. Il voulut crier, mais tout aussi rapidement la mitrailleuse tira dans une autre direction.
Maung comprenait parfaitement. Le camion était assiégé de toutes parts. Les rebelles les avaient tenus en haleine un peu plus loin, tandis qu’une grosse partie de leurs effectifs se glissaient avec des précautions infinies autour du G.M.C. Ils avaient mis plusieurs heures pour parcourir les trois ou quatre cents mètres nécessaires, mais ils avaient réussi. Peut-être s’étaient-ils enfoncés profondément dans la jungle qu’ils connaissaient à merveille, pour converger ensuite vers le camion.
Et brusquement la jungle parut s’écarteler. Une formidable explosion coucha quelques arbres devant le fonctionnaire, tandis qu’une lueur d’un rouge sombre se substituait à la lumière solaire.
— Ils l’ont fait sauter, pensa Maung.
Il rampa à reculons, s’enfonça parmi des broussailles. Une fois à l’abri il s’immobilisa.
— L’avion !… L’avion ! murmurait-il.
C’était son seul espoir. Quels qu’ils soient, les hommes de l’équipage ne refuseraient pas de le recueillir. Il ne pouvait songer à rester dans la jungle, même à y attendre le départ des rebelles. Le sous-officier lui avait déclaré que les Karens du village faisaient cause commune avec les rebelles.
Le crépitement de l’incendie lui parvenait, ainsi que de nombreuses détonations. Les soldats devaient être abattus sans pitié.
Maung gémit et s’enfonça plus profondément dans sa cachette. Il regarda son automatique d’un air hébété. Il lui restait deux balles.
Du fond de sa cachette, il essaya de voir ce qui se passait sur le terrain, mais le rideau de verdure était trop épais. Il rampa dans les ronces et les broussailles, ne progressant que d’un mètre à la fois.
Peu à peu le ronflement de l’incendie devenait moins fort, et il pouvait même entendre les rebelles s’interpeller joyeusement en langage karen. Tout était certainement fini, et il n’était que le seul survivant.
Enfin, il aperçut la clairière du terrain. Elle était inondée de soleil. C’était une oasis de lumière, et tout au fond se trouvaient des hommes peut-être amis. D’un dernier effort il parvint à la lisière, observa plusieurs minutes de pause. Tout paraissait calme. Les rebelles étaient derrière lui. L’avion lui paraissait merveilleux. Il oubliait que ce n’était plus qu’un vieux zinc rouillé par quinze ans de jungle.
D’un bond il surgit sur l’aire d’atterrissage, ébloui, confiant. Il commença de courir de toutes ses forces. Il pleurait de bonheur et de désespoir. Il n’entendit pas siffler les balles, et celle qui le frappa en pleine euphorie le tua net, sans qu’il s’en rendît compte.
— Cette fois, dit Marsch avec joie, le terrain est complètement déblayé. Ils ont fait sauter le camion et il ne doit pas rester un seul survivant parmi les soldats.
Sara regardait, elle aussi, au-dehors. Les flammes s’élevaient maintenant très haut au-dessus de la jungle, et léchaient les branches des grands arbres.
— L’incendie va se propager, murmura-t-elle.
— Trop d’humidité là-dedans. J’espère que Fang va nous filer le reste du pognon. Il n’est pas encore cinq heures, mais puisqu’il est certain de ne plus être importuné…
Cependant personne n’apparaissait sur le terrain. Marsch mâchonnait sa cigarette avec nervosité. Est-ce que Fang allait le faire languir jusqu’au bout ? C’était un Chinois, et, par pur sadisme, il pouvait attendre les cinq heures sonnant. Il se souvint qu’il restait des boîtes de bière achetées à Mandalay. Il traversa la carlingue. Le général dormait toujours, semblait-il. Tsin était repartit lui aussi au pays des rêves.
Il creva la boîte de deux trous et but à la régalade. Il emporta le restant avec lui, le tendit à Sara qui but longuement. Il faisait une chaleur insoutenable dans l’avion. La jeune femme avait la figure décomposée et paraissait lasse. Elle avait déboutonné son corsage et il regardait la naissance de ses seins. Mais le souvenir de l’étreinte du matin lui revint et il lui tourna le dos. Plus l’heure du départ approchait, plus il se sentait fébrile. Pourrait-il arracher l’appareil au sol ? Bien sûr, il voyait comment s’y prendre. Coller la queue du D.C. 3 dans l’extrême coin, emballer les moteurs jusqu’à ce que le train se torde presque, et desserrer les freins. Le train d’atterrissage ne tiendrait pas le coup. Il en transpirait d’avance et ses mains salies poissaient. Il les essuya contre sa combinaison ouverte sur son torse poilu.
Sara poussa brusquement un cri.
— Un homme qui court vers nous.
Ludwig sursauta et se colla au pare-brise.
Il ne reconnaissait pas la silhouette. Il craignait le pire, un désastre des rebelles, Fang en train de courir vers l’appareil pour s’y mettre à l’abri.
Soudain le fugitif fut pris dans le réseau des balles. Elles soulevaient de petits flocons de poussière autour de lui.
— On dirait qu’il ne les entend pas. Il devrait courir en zigzag.
L’homme tomba et ne bougea plus.
— Ce n’est pas Fang, dit Ludwig avec indifférence.
Le Chinois arriva quelques minutes plus tard. Il paraissait très satisfait.
— Nous nous sommes débarrassés de ces Birmans. Aucun n’en a réchappé et les rebelles le regrettent presque.
Comme il fixait Sara, elle frissonna de la cruauté cachée de cet homme.
— Les rebelles les ont encerclés et ont fait sauter le camion. Ce dernier a pris feu. Il y avait beaucoup d’essence à bord et tout a été détruit.
Il examina le général avec attention.
— Il ne nous reste plus qu’une heure pour conclure notre marché.
Ludwig l’observait à la dérobée. Le ton ironique du lieutenant ne lui avait pas échappé. Finalement, il se décida à parler.
— Pourquoi attendre plus longtemps ? Les soldats birmans ne sont plus une menace pour vous. Le général sera aussi bien au village qu’ici.
Fang feignit la surprise.
— Mais notre accord ? Nous avions conclu pour cinq heures.
Marsch pinça les lèvres.
— Je tiens à m’envoler rapidement.
— Le soleil est encore haut.
C’était certain. Le Chinois jouissait de la situation. Il n’avait plus rien à craindre des soldats, et son hélicoptère n’arriverait que dans quelques heures. Marsch fut pris de soupçon. L’homme pouvait essayer de le duper, emporter le général et les deux cent mille dollars. Pourquoi pas ? Les rebelles pilleraient l’avion et personne ne saurait jamais pourquoi le D.C. 3 s’était posé là. On lierait les deux disparitions sans chercher à approfondir les faits.
Fang paraissait s’amuser énormément.
— Vous ne pouvez pas vous envoler immédiatement, dit-il.
Marsch devint hargneux.
— Il faut déblayer le terrain. Il y a quatre cadavres. Ils pourraient causer des dégâts à votre appareil. Si vous donnez quelques dollars aux rebelles, ils s’en chargeront.
L’Allemand alla jeter un coup d’œil à la porte et tressaillit. Une dizaine d’hommes s’étaient groupés en rond et discutaient en fumant.
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