Georges-Jean Arnaud - Traumatisme

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En apparence, c'était une histoire tragique, celle d'une famille bouleversée par le geste criminel du fils. Tous les personnages semblaient touchants, sympathiques. Le père d'abord, qui, voulant assumer des responsabilités qu'il a quelque peu négligées avant le drame, fuit en compagnie de son fils, pour le protéger, essayer de comprendre ses mobiles et gagner un sursis pour laisser à la justice humaine le temps d'être moins passionnée.
La mère, effondrée, restée seule avec une fillette lucide qui tente de retrouver les fugitifs par tous les moyens. Pour les aider vraiment ? Pour les trahir ? Chacun veut masquer une certaine vérité aux autres, se débat de façon pitoyable tandis que les policiers poursuivent leurs recherches.

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G.-J. ARNAUD

Traumatisme

CHAPITRE PREMIER

Lorsqu’elle sortit du magasin avec son sachet de nougat à la main, la petite fille aperçut la 404 grise de l’autre côté du boulevard, sur le parking. Le conducteur croyait la dissimuler entre un énorme camion-citerne de la Shell et un transporteur de primeurs, mais Sylvie l’avait repérée tout de suite.

Elle traversa posément au passage pour piétons, se dirigea vers la Peugeot, le regard fixe. Mal à l’aise derrière son volant, Tabariech jeta un coup d’œil en coin à son patron. Le commissaire adjoint Lefort fronçait les sourcils, à cause de la petite silhouette en blue-jean jaune et en chemisette blanche.

Sylvie Barron s’immobilisa net devant le capot de la 404. Sous la frange châtaine, deux yeux assurés examinaient l’un après l’autre les visages des deux hommes.

— Elle m’énerve, grogna Tabariech. Je vais aller lui dire deux mots.

— Ne bouge pas, surtout. C’est tout ce qu’elle attend… Provoquer un esclandre.

— Vous n’y pensez pas ? Une gosse de huit, neuf ans… Elle n’est pas capable de ça.

— Si, fit Lefort entre ses dents serrées, oh ! si. Elle nous hait, tu comprends ? Depuis six mois, elle a fini par comprendre que nous étions ses pires ennemis.

— Sa mère lui monte le coup, oui…

— Même pas. À cause de nous, tout son monde s’écroule, s’effrite. En quelques mois, cette gosse est devenue une adulte.

Il sortit un mouchoir déjà froissé, s’épongea le front, le cou, sa poitrine velue que la chemise largement ouverte découvrait. Il lut une expression de mépris sur le visage de la petite fille. Il enfouit le mouchoir dans sa poche, se tourna vers l’arrière.

— On ne peut même pas se dégager en reculant. Un crétin a collé son vélomoteur à moins de deux mètres.

La petite fille leur tourna brusquement le dos et se dirigea vers la petite caravane attelée à une Simca 1300 déjà ancienne. Les deux policiers soupirèrent en même temps de soulagement.

— Au moins, si on pouvait alerter la gendarmerie, les motards. Notre boulot serait bougrement simplifié, murmura Tabariech, peut-être pour la vingtième fois depuis leur départ de Paris.

Lefort se contenta de hausser ses épaules massives. Ça ne servait à rien de le dire. Plus personne ne croyait à cette affaire, et son chef, le commissaire principal Parrain, lui avait recommandé la discrétion. La mise en place du dispositif habituel provoquerait inévitablement des remous à l’échelon supérieur.

— Cette femme sait que nous la suivons. Elle ne commettra aucune imprudence. Pas après six mois d’un comportement impeccable, poursuivait l’inspecteur. Elle va nous promener tout l’été. Avec son passeport, elle peut passer en Espagne ou en Italie, voire plus loin encore. Son mari et son fils peuvent se cacher dans un de ces pays-là.

— Je n’y crois pas. Les Barron sont encore en France. On peut très bien se cacher dans notre pays. Passer la frontière n’est pas aussi aisé que tu le penses.

De l’autre côté du boulevard, toutes les vitrines affichaient le mot « nougat » à perte de vue. Tabariech avait la gorge sèche. Une chaleur de four étreignait Montélimar.

— La voilà !

Une femme jeune d’allure, cheveux blonds coupés court, mince, pour ne pas dire maigre, approchait de la Simca, ouvrait la portière arrière pour déposer un cabas bien rempli.

Céline Barron se glissa derrière son volant en souriant à sa petite fille.

— Ces sales flics sont là-bas, cachés en partie par le camion-citerne ! lança Sylvie avec hargne.

Stupéfaite, sa mère la considéra comme si elle ne la reconnaissait pas. La gosse comprit.

— Ce sont des sales flics ! Tu l’as dit toi aussi.

— Tais-toi, Sylvie. Il ne faut pas parler ainsi. Ce n’est pas très joli.

— Qu’est-ce que ça fait, maintenant ? répliqua la fillette. Nous sommes seules, toutes les deux, pour toujours. Quand on est poli, c’est pour les autres surtout. On me l’a appris en classe. Mais les autres, maintenant, ils ne veulent plus de nous.

Céline mit le moteur en route et embraya. Sylvie reprit son rôle de guide.

— Tu peux y aller. Le feu est au rouge derrière.

La femme commençait à s’accoutumer à cette caravane qui modifiait toutes ses habitudes de conductrice. Elle n’avait eu que très peu de temps pour s’entraîner.

— On reprend l’autoroute ?

— Non. Pas la peine. Nous allons rouler le plus longtemps possible, et nous nous arrêterons dans un joli coin pour déjeuner. J’ai acheté un poulet rôti.

Mais Sylvie se penchait vers le rétroviseur extérieur de droite.

— Ils sont derrière.

— Ça n’a aucune importance.

— Et si tu retrouves la piste de papa et Daniel ?

Céline tressaillit.

— Ne t’inquiète pas.

— On peut les immobiliser quelque part. Cette nuit, j’y pensais. En crevant leurs pneus, par exemple.

— Tu as une belle imagination, essaya de plaisanter la jeune femme. Pour l’instant, ils ne nous gênent pas.

— Moi, si. Je voudrais qu’ils meurent. Ils pourraient avoir un accident, brûler dans leur voiture.

— Sylvie ! reprocha doucement sa mère. Ne dis pas des choses aussi horribles.

Vers deux heures de l’après-midi, Céline ralentit encore sa vitesse déjà peu élevée. Elle se souvenait d’un endroit ombragé par une pinède, juste au bord de la route, un peu avant Lambesc. Si le coin était libre, elle pourrait s’y engager avec la caravane. Depuis qu’elle l’avait achetée, elle ne pouvait accomplir de longues traites, tant elle se contractait physiquement et moralement.

De loin, elle vit une voiture quitter le terre-plein et eut un sourire de soulagement. Elle s’y engagea en effectuant un large demi-cercle pour reprendre plus facilement la route plus tard.

— On mange dehors ou dedans ? demanda Sylvie.

— Comme tu veux.

— Dedans, alors. On ouvrira la baie sur les pins. Je vais mettre le couvert.

Le commissaire adjoint Lefort et l’inspecteur Tabariech dépassèrent la pinède, roulèrent pendant un kilomètre avant de découvrir une buvette modeste sur le bas-côté.

— On ne va quand même pas passer l’été à se nourrir de sandwiches, grogna Tabariech. On risque de se détraquer l’estomac pour pas grand-chose.

— Ils servent des steaks et des frites. Ça t’ira ?

Ils s’attablèrent sous les canisses. Tout à côté, sous quelques pins, des campeurs avaient installé quatre tentes. Groupés, ils menaient un joyeux vacarme.

— En principe, je dois partir le 20 juillet, dit Tabariech en plongeant ses lèvres dans un verre de rosé glacé. Vous croyez que ce sera possible ?

Lefort fit celui qui n’avait rien entendu. Songeur, il tirait sur sa Gauloise bout filtre, le regard tout au bout de la route, vers l’ouest. Il imaginait la fillette, la femme, en tête à tête dans cette petite caravane.

— Curieuse idée, d’avoir acheté cet engin ! lâcha-t-il soudain. On voit qu’elle n’est pas à l’aise. Je me demande…

— Vous croyez qu’elle a une idée derrière la tête ?

— Certainement. N’oublie pas qu’elle a ramassé le maximum de fric. Tout ce qu’elle pouvait en vendant ce qu’elle possédait. Une maison dans l’Yonne, des terrains, des meubles anciens de prix. D’après mes calculs, elle doit disposer de sept à huit millions anciens.

— À sa place, je ne serais pas tranquille, si elle a tout ce pognon en liquide.

— Drôle de petite bonne femme. Je l’avais crue abattue, finie pour la vie. Et, d’un seul coup…

Il se tourna vers la cuisine en plein vent où une femme en short préparait leur repas.

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