Georges-Jean Arnaud - Subversive Club

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Le Dynamics-Club est un de ces clubs élitiques internationaux, créés aux Etats-Unis pour développer par tous les moyens le respect et le progrès du libéralisme économique.
Sous des dehors culturels et philanthropiques il n’est en fait qu’une arme de guerre des Multinationales contre la liberté de choix des peuples européens.
Maxime Carel, le héros de ce roman de politique-fiction, le découvrira au cours d’une aventure cauchemaresque.
Le Commander agissant pour le Sénat américain mène parallèlement une enquête sur les motivations du Club et sur l’origine des grosses subventions que cet organisme privé peut recevoir.

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G.-J. ARNAUD

Subversive Club

CHAPITRE PREMIER

La Peugeot 604 s’engouffra dans la rampe du parking souterrain après que Maxime Carel eût provoqué l’ouverture de la porte basculante grâce à un appel de phares codé. Une fois dans son box, il prit sa serviette en cuir, sortit de la voiture, vérifia en hâte la fermeture des portières, marcha rapidement vers l’ascenseur. Il réfrénait une envie folle de courir pour se retrouver au plus vite dans son appartement.

A son étage, ne sachant ce qu’il avait fait de ses clés il sonna, récidiva en trouvant que Benedicta mettait une trop grande nonchalance ibérique à accourir.

— Madame est là ?

— Oui, Monsieur.

Leurs amis et relations n’en revenaient pas. Une bonne espagnole qui s’exprimait dans un français parfait. Ils ne savaient s’ils devaient les envier, question service, ou les plaindre question standing.

Pas de Patricia dans le living. Elle lisait dans le bureau, une cigarette aux lèvres. En jean et polo de coton. Cent douze francs sur le dos. Plus dix francs peut-être pour le slip. Pas de soutien-gorge. Parfois elle l’irritait. En tant que directeur des Laboratoires de la Française de Recherches Ferroviaires il dépassait les quinze mille mensuels. Et sa femme refusait de porter plus de cinq cents francs de fringues sur le corps. Pour Benedicta, il avait fallu qu’elle reprenne ses études de sociologie pour l’accepter.

— Salut, dit-elle.

Elle cligna d’un œil, rendit l’autre, mauve et allongé, soupçonneux.

— Tu as picolé ?

— Rien du tout… Mais j’ai enfin la date. Mardi prochain. Huit jours à New York tous les deux.

Patricia secoua ses nattes brunes. Ce jour-là elle y avait attaché deux billets de dix francs en guise de papillons. « A vingt-six ans » pensa-t-il attendri. De quoi scandaliser toutes leurs relations.

— Huit jours à New York tout seul, dit-elle tranquillement.

— Hein, quoi ? Tu ne viens pas ?

— Moi je veux bien, mais eux ne veulent pas.

Posant les pieds sur le bureau Empire, une petite folie, elle ouvrit un tiroir, sortit leurs passeports, pointa un doigt sur son mari :

— Toi tu as le visa, pas moi.

— Non !

— Si, mon vieux. Ils ont un fichier sans bavures à l’Immigration… Ils se sont souvenus que j’ai été inscrite à Lutte Ouvrière dans le temps. Et voilà.

Maxime envoya promener sa serviette, attrapa le téléphone à deux mains.

— J’appelle Montel, il doit être chez lui.

Le président du Dynamic Club était effectivement rentré. Il n’eut pas la réaction qu’espérait Maxime.

— C’est vraiment très désagréable que votre épouse ne puisse vous accompagner…

— Mais vous savez bien qu’elle n’appartient plus à Lutte Ouvrière depuis trois ans ? Vous croyez qu’il n’y a rien à faire ?

— Je ne le pense pas… Je peux toujours essayer… Je connais quelqu’un à l’ambassade… Un Dynamicien, lui aussi… Bien sûr, il y a l’ambassadeur lui-même, mais c’est un Rotarien… Je vous rappelle, cher ami.

Le petit air indifférent de Patricia alertait son mari. De ce voyage à New York elle n’avait vu que le côté loisirs, oubliant que chaque matin il devrait assister aux séances du Dynamic Club International. Elle n’aimait guère son appartenance à ce genre de clubs, trouvait ça ridicule et enfantin, surtout le parrainage obligatoire pour l’admission, la composition même, tous les membres ayant fait obligatoirement preuve d’un dynamique fairplay pour réussir dans la vie. « Quelle réussite, disait-elle, sinon celle des affaires et de l’exploitation humaine. » Et frustrée de son voyage, elle allait le taquiner encore plus, ne pas ménager ses sarcasmes. Parfois elle exagérait.

— N’insiste pas, dit-elle, ça m’ennuierait de devoir mon visa à un honorable Dynamicien.

— Mais ils me doivent bien ça !

— J’oubliais que l’entraide, la solidarité sont inscrites au programme… Tu ne trouves pas que ça fait franc-maçon ?

— Rien de comparable.

Il alluma un Wilde Havana. Dans son bureau il n’osait pas. Depuis que le grand patron lui avait fait remarquer que ces cigares non terminés avaient un air trop décontracté. Pourtant il les aimait. Comme les Gauloises filtres mais elles aussi déplaisaient au patron. Question d’odeur. Il n’admettait que les blondes made in U.S.A.

— Donc tu pars mardi ?

— Tu sais, une semaine c’est vite passé…

— Quel hôtel ?

— Le Sheraton-Russel.

— Tiens…

Pourquoi disait-elle « tiens » ? Il mourait de curiosité mais ne voulait pas risquer une discussion désagréable.

— Tu sais à qui appartiennent les Sheraton ?

— Bien sûr que je le sais, fit-il bougon. Tout le monde sait ça surtout dans le monde des affaires.

— I.T.T., dit-elle en martelant chaque lettre. I.T.T., I.T.T.

— Oui et alors ?

La main de sa femme tendue vers lui basculait régulièrement à gauche et à droite.

— Il n’y a rien entre I.T.T. et la K.U.P. ?

— Que vas-tu chercher là ?

— Lorsque deux multinationales se rencontrent… ça donne une super-multinationale, non ?

— C’est toi qui inventes tout ça.

— Non. Je lis tout simplement. C’est quand même ahurissant. Dans cette maison, on doit dépenser trente à quarante francs par jour pour les journaux, hebdos et revues… Aussi bien politiques que littéraires et artistiques… Et tu les survoles… Tu vis dans ta Française de Recherches Ferroviaires, filiale de la K.U.P., sans même te soucier de ton avenir… Et si I.T.T. met le grappin sur la K.U.P. C’est quand même curieux que le Dynamic Club vous reçoive dans un Sheraton.

— Ecoute…

Patricia sourit, lénifiante. Il soupira, sachant que si elle faisait un effort pour changer de conversation elle ne désarmait pas pour autant.

— Tu seras le seul homme sans femme, n’est-ce pas ?

— Je ne sais pas.

— Oh ! moi je sais. Montel aura la sienne ainsi que Perney de Viel. En revanche la délicieuse Clara Mussan, veuve de trente ans et P.-D.G. d’une entreprise de travail temporaire… viendra sans homme et pour cause…

— Jalouse ?

— Non, mais j’ai quelque peu réfléchi… Montel possède bien une entreprise de transports, n’est-ce pas ? Non seulement des camions mais des wagons de toute nature ? Et sa maison travaille régulièrement pour ta société ? C’est-à-dire pour la K.U.P. ? Et Clara Mussan fournit surtout du personnel à la K.U.P., non ?

— Et alors ?

— Eh bien, dit-elle, je me demande s’il s’agit d’une réunion du Dynamic Club ou d’un voyage organisé pour cadres supérieurs ou assimilés de la K.U.P.

Elle retira une jambe de sur le bureau, le temps de fouiller dans la poche de son jean étroit, en retira son paquet de tabac gris et son papier à cigarettes, commença d’en rouler une. Elle ne fumait pas autre chose depuis l’âge de dix-huit ans et avait toujours son grand succès dans les réceptions. Il n’avait jamais pu s’y habituer et lorsqu’elle sortait son tabac, instinctivement il tournait la tête.

— Il y aura d’autres délégués français qui n’auront rien à voir avec la K.U.P.

— En es-tu vraiment certain ?

— On va boire un verre ?

— Si tu veux.

Il revint dans le living, passa derrière le bar constitué avec une vieille caisse de bistrot 1900, posa deux verres le long des petites balustres en bois tourné.

— Vraiment un pastis ?

— Vraiment.

— Pour moi, un scotch.

— Crois-tu qu’ils en auraient eu au Sheraton-Russel ?

— Très certainement… On trouve tout ce que l’on désire…

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