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Georges-Jean Arnaud: L'éternité pour nous

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Georges-Jean Arnaud L'éternité pour nous
  • Название:
    L'éternité pour nous
  • Автор:
  • Издательство:
    Éditions Fleuve Noir
  • Жанр:
  • Год:
    1960
  • Город:
    Paris
  • Язык:
    Французский
  • Рейтинг книги:
    5 / 5
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L'éternité pour nous: краткое содержание, описание и аннотация

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« — J’étais à bout. Vous m’avez prise de vitesse. C’est peut-être la preuve de votre génie. Mais que vous le vouliez ou non, nous sommes complices. Seulement, je veux que vous sachiez une chose. Jamais je ne supporterai que vous ayez quelque pouvoir sur moi. J’accepte vos conditions. Je ne peux pas faire autrement. Dans l’état actuel des choses, je serais arrêtée et condamnée. Vous m’en avez persuadée. Mais je lutterai. Jusqu’au bout. »

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G.-J. ARNAUD

L'éternité pour nous

CHAPITRE PREMIER

Sous mes doigts moites, le charleston style 1925 prenait des accents de marche funèbre. Les touches du piano étaient poisseuses, et je soupçonnais Paul, le barman, d’être venu ânonner « Au clair de la lune » pendant que je n’étais pas là.

Deux couples achevaient de déjeuner sur la terrasse. Un petit homme en veston-cravate buvait une menthe à l’eau à l’intérieur. Depuis une heure, il lisait le journal et en était aux petites annonces. Rien n’était plus mortel qu’un mardi dans cet établissement de second ordre où Brigitte et moi avions trouvé un engagement pour deux mois.

C’était à Toulouse qu’un imprésario que connaissait Brigitte nous avait donné le tuyau. La première fois que nous entendions parler de Marseillan-plage.

— C’est entre Sète et Agde, sur la côte, nous avait indiqué notre bienfaiteur. Si vous faites affaire, envoyez-moi cinq mille francs.

Ce que j’avais fait depuis quinze jours. Nous nous étions présentés le premier juillet sans beaucoup d’espoir. Mais par chance, les deux emplois n’étaient pas occupés. Le travail était simple mais fatigant. Je devais jouer de deux heures à sept heures, et de huit heures à onze heures. Le dimanche, j’allais jusqu’à une heure du matin mais j’avais avec moi un accordéoniste-clarinettiste et un batteur.

Brigitte chantait en soirée. De plus, le samedi et le dimanche, elle faisait une démonstration de strip-tease. Toujours après minuit. Les consommations étaient alors automatiquement renouvelées et le prix doublé.

Nous étions nourris, logés, et recevions huit mille francs par jour. Brigitte et moi songions aux jours difficiles de l’hiver et nous économisions le plus possible.

Je jouais machinalement en regardant du côté des dunes. L’établissement était construit trop loin de la mer pour qu’on puisse l’apercevoir, et je ne pouvais m’en consoler. Je humais à pleines narines le vent marin qui, chaque après-midi, arrivait jusqu’à l’hôtel-restaurant après avoir drainé des odeurs de pins et de tamarins.

Agathe Bernier est sortie de la cuisine où elle avait dû composer le menu du lendemain avec le chef. Paul, le barman, s’est mis à essuyer les verres avec ardeur. J’ai continué d’effilocher maussadement « La fille de Londres ».

Elle s’est approchée de la petite estrade, s’est encadrée entre le palmier en pot et le micro. Je lui ai jeté un coup d’œil en coin, presque indifférent, mais mon cœur battait plus vite.

— Vous dormez, Jean-Marc, dit-elle de sa voix mordante.

Ses grands yeux noirs exprimaient une ironie méchante. Elle referma sa bouche et sur ses lèvres rouges subsista un pli moqueur.

J’ai haussé les épaules.

— Vous croyez que je vais me décarcasser pour ça ?

Je lui désignai le petit bonhomme à la menthe qui était en train de s’égarer dans la page sportive.

Mais elle ne m’écoutait pas, restait pensive et c’était assez extraordinaire. Cette grande fille au corps souple n’était pas faite pour la rêverie. Ses cheveux noirs, coupés court, la robe turquoise à bretelles accroissaient cette impression. C’était une femme d’affaires, active et dure quand il le fallait.

Brusquement, sous mes doigts, naquit un air nostalgique. Elle se secoua et me fixa :

— Ah non, il ne manquait plus que ça ! Qu’est-ce que c’est ?

— Le « Rêve d’Amour » de Liszt.

C’est peut-être ma réponse qui donna un peu plus de chaleur à ses yeux. Son nez court et droit palpita. Elle était très sensuelle et s’en défendait parfois mal. On lui prêtait bon nombre d’amants. Il n’y avait pas de quoi les lui reprocher quand on avait vu son mari, Pierre Barnier. L’homme était tout simplement en train de crever d’une bonne cirrhose.

— Vous n’avez pas toujours été pianiste dans des établissements de second ordre ?

Jouant d’une main je sortis mon paquet de cigarettes. Elle prit un cendrier sur une table et le posa sur le piano. À cause des brûlures dont l’instrument était constellé.

— Que voulez-vous dire ?

Je clignai d’un œil à cause de la fumée.

— Vous avez fait des études ?

— Conservatoire de Paris. Et puis ?

Elle ne s’émut pas de mon insolence.

— Brigitte me disait que l’hiver, c’était dur pour vous.

C’était son obsession. Elle la traînait à partir du mois d’août. Parce que deux ans auparavant, nous étions restés quinze jours en ne mangeant que du pain et du sucre. Nous vivions avec deux cents francs par jour.

— C’est moins facile que l’été, ai-je reconnu.

La garce a eu alors une parole qui a peut-être tout déclenché. Elle a fermé les yeux comme une chatte, et j’ai eu l’impression qu’elle s’étirait de plaisir.

— Pour nous, c’est le contraire. Nous vivons agréablement avec ce que nous avons gagné pendant l’été. L’an dernier, j’ai passé un mois à Cannes. Vous connaissez ? C’est une ville merveilleuse.

Pour couvrir le bruit de sa voix, j’ai appuyé sur la pédale et je me suis lancé dans une série bruyante d’airs d’Offenbach. Le bonhomme à la menthe m’a jeté un coup d’œil désapprobateur, a replié son journal. Puis il a trottiné jusqu’au bar pour payer sa consommation. À la tête de Paul, j’ai deviné que le pourboire avait été minime.

Agathe Barnier s’est éloignée. Ses hanches ondulaient imperceptiblement quand elle marchait. Mais c’était suffisant pour glaner tous les regards mâles. Paul a bu un grand verre de bière pour l’oublier. Il soutient avoir couché avec elle, mais sa prouesse se perd dans un passé douteux.

J’ai joué sans arrêt jusqu’à cinq heures. J’avais droit à un petit entracte que je passais avec le barman. À condition de ne pas abuser, je pouvais boire de la bière gratis.

La salle et la terrasse étaient complètement désertes quand j’ai quitté mon tabouret. Paul a tiré son demi en me voyant approcher. Je lui ai tendu mon paquet de cigarettes, non moins traditionnellement.

— Le vieux va mal ! dit-il.

Il s’agissait du mari de la patronne. Il avait alors cinquante ans. Quinze ans de plus que sa femme.

— C’est pour ça qu’elle fait la gueule ?

Paul s’étrangla avec son demi.

— Tu penses ! Elle attend que ça. Mais il met son temps. Et je crois que chaque fois qu’il va plus mal, le lendemain il est tout guilleret.

Une seule fois j’avais vu le mari de la jeune femme. Avec Paul, nous étions allés aider la patronne à le changer de lit. Je n’étais pas près d’oublier ce lourd visage blême où la couperose avait fait un patient travail de découpage. À ce moment-là, il était à demi inconscient et n’avait pas remarqué notre présence.

— Tu sais qu’il réclame toujours de l’alcool ? Du vin. N’importe quoi dès qu’il va mieux.

Je ricanai.

— Elle doit s’empresser de le satisfaire ?

Paul regarda autour de lui avec prudence.

— Tout lui appartiendra quand elle sera veuve. Une sacrée affaire. Ce n’est qu’un établissement de second ordre, mais faut voir ce qui rentre dans les caisses.

De sept heures à minuit, la terrasse et la salle ne désemplissaient pas.

Paul riait en-dessous.

— Et tout ça, à cause des moustiques.

C’était vrai. L’établissement était placé de telle sorte que l’on pouvait laisser tout allumé et ouvert sans que les moustiques envahissent les lieux. Ce qui n’était pas le cas pour les autres installés plus loin.

— Voilà Brigitte, disait Paul à ce moment-là.

Je n’aimais pas qu’il l’appelle par son prénom, mais il se serait bien demandé pourquoi si je le lui avais signifié.

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