Georges-Jean Arnaud - Haut-vol

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« — Si nous attendons la nuit, nous sommes perdus. Les rebelles sont des spécialistes de la jungle. Ils ne nous laisseront aucune chance.
Maung soupira :
— Que proposez-vous ?
— De rejoindre la piste. La mitrailleuse couvrira notre départ. Nous foncerons vers la route. C’est notre seule chance. »

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G.-J. ARNAUD

Haut-vol

CHAPITRE PREMIER

Le vieux D.C. 3 tournait autour du terrain depuis quelques minutes. Cinq cents mètres plus bas, une dizaine de personnes s’étaient rassemblées devant le hangar démantibulé. Au milieu des soldats birmans un seul Européen, le responsable de l’aérodrome, un Anglais nommé Slade.

Philip Clifton, le pilote, fit la grimace.

— Un peu court tout de même. Demain il faudra fourrer la queue de l’appareil dans le hangar si on veut soulever cette vieille carcasse.

L’œil gauche de l’aide-pilote, Ludwig Marsch, resta vide d’expression. L’Allemand était borgne et portait un œil de verre. Les paupières du droit se plissèrent.

— Tu y vas ?

— Évidemment !

Les soldats birmans s’enfuirent de tous côtés en voyant l’appareil rouler vers eux. Seul Slade resta en place. Il se demandait si les deux hommes auraient de l’alcool à lui offrir.

Ludwig sauta à terre le premier, lança son pied dans l’herbe poussiéreuse et jura. Il n’eut pas un regard pour l’Anglais, se contentant d’inspecter le hangar d’une moue dégoûtée.

Philip Clifton le rejoignit. Slade n’avait pas fait un pas vers eux, gardait sa rigidité toute britannique.

— On ne va pas pouvoir s’en débarrasser, supputa l’Allemand avec hargne.

Ni l’un ni l’autre ne connaissaient Slade, mais on leur avait parlé de lui à Mandalay où ils avaient fait le plein. Les réserves de Palawbum étaient pratiquement inexistantes.

Clifton s’approcha de l’Anglais et se présenta. L’autre s’inclina sèchement.

— Slade. Commandant de la base.

Marsch ricana. Le gouvernement birman n’avait aucune rancune envers les Anglais. Avec un humour tout à fait asiatique, ils avaient bombardé l’ancien major responsable d’un terrain qui voyait cinq avions par an. Slade rougit violemment, mais il avait trop envie de whisky pour le prendre de haut.

— À votre entière disposition. Vous logerez chez moi.

— Il n’y a pas d’hôtel à Palawbum ?

— Non… Des auberges pour caravanes seulement…

— Et l’avion ?

Slade désigna les soldats birmans.

— Ils en auront la garde.

Marsch cracha de côté.

— Merci. Nous coucherons à bord.

— Mais… Vous serez très mal installés. Vous ne vous reposerez pas parfaitement.

— On a l’habitude. Nous avons tout ce qu’il faut à bord.

Slade passa sa langue sur des lèvres sèches. Marsch l’étudiait en coin. Le major était porté sur le whisky, leur avait-on dit à Mandalay.

— De quoi boire et manger, dit-il avec douceur.

Philip Clifton intervint brusquement.

— Où se trouve le général Nangiang ?

— Au poste militaire. Vous désirez le voir ce soir ?

— Non, dit le pilote. Nous nous envolerons demain au lever du soleil. Qu’il soit exact, c’est tout ce que nous lui demandons.

Slade mâcha l’air à vide pendant quelques secondes, puis se décida.

— Il est très affaibli par sa longue marche. Il devra faire le voyage allongé sur un brancard.

— C’était prévu, dit Ludwig en allumant une cigarette. Comprenez bien, mon vieux, que les quarante mille dollars, nous voulons les gagner. Le vieux mandarin sera chouchouté comme un prince.

Clifton avait l’air de désapprouver la brutalité de son compagnon. Slade décida de ne plus s’adresser qu’à lui.

— Le général a deux gardes du corps. Ils vous accompagneront jusqu’à Bangkok. Vous le saviez déjà ?

— Oui, dit Clifton en se demandant où l’autre voulait en venir.

— Cela ne fera jamais que trois personnes et vous pouvez en emmener d’autres.

L’aide-pilote avança son visage goguenard. Son œil de verre, frappé en plein par le soleil couchant, luisait et agaçait Slade.

— On peut en fourrer encore une vingtaine, trente même. Quand nous avons évacué les Français d’Hanoï, on se demandait parfois si on arracherait le vieux zinc. Mais cette fois, il n’y a que trois places.

Il cogna de son poing dans la paume de son autre main.

— Trois.

— Ce n’est pas pour moi que je vous demande, balbutia Slade troublé par tant de virulence.

Seul Philip Clifton était capable de supporter l’Allemand, et encore bien souvent avec peine. Marsch se calma et son œil valide se fit sournois.

— Pour qui alors ?

L’Anglais jeta un regard désespéré autour de lui. Les soldats birmans s’intéressaient surtout à l’avion. Leur chef, un lieutenant, fumait à l’écart, l’air dédaigneux.

— Nous avons des consignes strictes, dit encore l’Allemand. Pour gagner nos quarante mille dollars tous frais payés, le général doit voyager seul en compagnie de ses deux gardes du corps et de nous deux. C’est tout. C’est un passager pour où ?

— Bangkok précisément.

— Hé bien, c’est quarante mille dollars. Il peut les banquer ? Non ? Au revoir et merci, terminé. Clifton, on va aller se jeter un godet.

Ironique :

— Monsieur le commandant de la base est certainement trop occupé par ses fonctions pour nous accompagner.

— Suffit, Ludwig ! Venez boire un verre avec nous, Slade.

Ce dernier lutta quelques secondes avec désespoir. Il aurait tant voulu refuser. Mais il n’y avait plus une seule bouteille d’alcool d’un prix abordable dans Palawbum. Les marchands chinois les vendaient vingt dollars chacune, et c’était ce que le gouvernement de Rangoon lui donnait par semaine. Depuis deux mois il n’avait pas été payé.

En montant dans l’appareil, il expliqua à Clifton qu’il avait signé un contrat d’instructeur pour l’aviation civile et militaire. Il attendait toujours, depuis deux ans, l’appareil qui devait être affecté à la base.

— Je me contente de maintenir l’aérodrome en état pour le grand jour.

Il ajouta, désabusé :

— Grand jour qui ne viendra certainement jamais.

— Et vous restez ? s’étonna le pilote.

— J’ai trois ans à faire encore… Mon contrat…

Ludwig dévissait une bouteille de whisky et déballait des gobelets en carton paraffiné. Il en tendit un à Slade et le lui remplit tellement que l’alcool déborda sur les doigts de l’Anglais. C’était plus insultant que les paroles. Le major en trembla, au point qu’il continua de répandre le liquide.

— Hé ! gaffe, milord, ça vaut cher cette denrée !

Slade but et le miracle habituel se produisit. L’alcool lavait tout le reste. Ils s’installèrent plus confortablement.

— Qui est ce passager, Slade ? demanda Clifton.

— M… ! jura Marsch, vous n’allez pas remettre ça, non ? On n’en parle plus. Même s’il nous filait mille dollars, on risque trop à ce petit, jeu. Certainement un Européen avachi par le climat et l’alcool, si ce n’est par l’opium. Fermez votre clapet, Slade, et dites-nous s’il y a un b… dans le coin.

— Il ne s’agit pas d’un Européen, dit Slade en regardant le fond de son gobelet vide. Clifton le lui remplit.

— Un Birman ? Un Chinetoque ?

— Une femme… Une Eurasienne.

Même le borgne fut intéressé.

— Jolie ? Jeune ?

— Oui… Miss Sara… Sara Tiensane. Elle vit à Palawbum depuis quelques mois. Mais elle veut se rendre dans le sud. Peut-être à Hong-Kong.

Ludwig Marsch éclata de rire.

— Toutes les mêmes ! Une fois là-bas, elles s’aperçoivent que pour vivre il ne leur reste plus qu’à faire la p… Je peux lui trouver une maison de danse… Du très bien… Mais elle prendra un autre avion… Pas celui-ci.

Clifton faisait sauter la bande d’un paquet de cigarettes, en tendait une à Slade.

— D’où vient-elle ?

— Sa mère était Chinoise, son père anglais, je crois. Elle a essayé de vivre en Chine, puis elle a passé la frontière. Je… Je crois qu’il faut qu’elle aille plus loin.

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