Georges-Jean Arnaud - Haut-vol

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« — Si nous attendons la nuit, nous sommes perdus. Les rebelles sont des spécialistes de la jungle. Ils ne nous laisseront aucune chance.
Maung soupira :
— Que proposez-vous ?
— De rejoindre la piste. La mitrailleuse couvrira notre départ. Nous foncerons vers la route. C’est notre seule chance. »

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— Ça fait dix ans.

— Nous avons recommencé ailleurs. Partout où ça craquait et où les gens cherchaient à fuir. Il n’y a pas cinq ans, c’était Hanoï.

— Nous ne pouvons pas continuer indéfiniment dans cette voie.

Ludwig ricana :

— Tu te fais vieux, Clifton ! Tu ne pourras pas voler indéfiniment. Dans cinq ans, ce sera fini. Tu seras bien obligé de rentrer au pays. Si tu n’as pas un peu de pognon à gauche, que feras-tu ?

Le pilote haussa les épaules.

— Nous n’allons pas tout perdre parce que nous emmènerons cette femme.

— Si… C’est un engagement inquiétant. Quand on se laisse attendrir une fois, il n’y a pas de raison pour ne pas recommencer et les gens qui ont besoin de nous se méfieront.

— Qui saura qu’elle se trouve dans l’appareil ? Les envoyés de Formose ne vont pas fouiller le poste tout de même. Ils seront trop heureux de récupérer leur général.

Son compagnon s’approcha de lui, le visage contracté.

— Il y a plus de quinze ans que tu te trouves en Asie, et tu fais semblant d’ignorer que les nouvelles vont vite. Slade le premier ne tiendra pas sa langue. Les gens apprendront sans tarder. On ne nous confiera plus des missions de ce genre, et nous continuerons de travailler pour la Sandy jusqu’à ce qu’on nous balance.

— C’est bon, dit Clifton. Je t’achète le passage de cette fille cinq mille dollars.

Incrédule, son compagnon restait sans paroles. Philip pensait à Slade qui l’attendait dehors. La nuit arrivait et ils n’y voyaient presque plus dans la soute.

— Tu es d’accord ?

— C’est de la folie !… Cinq mille dollars.

— Je suis pressé, dit Clifton entre ses dents. C’est oui ou non, si tu refuses je passe outre. Nous nous casserons certainement la gueule et serons en parfaite condition pour ramener le général à Bangkok.

— Tu le fais au chantage ?

Clifton tourna les talons. Il était sur le terrain quand Marsch hurla, depuis, la porte de la cabine.

— Ramène-la, ta p… Mais tu pourras compter tes billets une fois arrivé, jusqu’à ce que ça fasse les cinq mille dollars.

Le pilote sourit. Marsch était furieux et le voyage serait certainement mouvementé. Mais il avait gagné. Slade avait allumé ses phares et tournait autour de la voiture, la carabine entre ses mains.

— Alors ?

— Je viens avec vous à Palawbum. Je rentrerai à pied.

L’Anglais sursauta.

— Je vous raccompagnerai.

CHAPITRE II

Marsch se redressa et, mal réveillé, mit un certain temps à lire l’heure. Il réussit à repérer la petite aiguille phosphorescente sur le douze, et la grande sur le cinq. Il jura et se leva. Le bourdonnement qui l’avait sorti de son sommeil s’amplifiait.

— Clifton qui revient avec la femme, dit-il à mi-voix.

Il alluma un des plafonniers, fit la grimace en voyant sa tête dans un hublot. Il avait liquidé une bouteille avant de s’endormir, sans manger. La porte de la carlingue n’était même pas fermée et il faisait frais dans l’appareil.

Les phares de la voiture se posèrent sur le Douglas et l’Allemand apparut à la porte. Clifton se rendit compte qu’il était seul. La jeune femme sauta à terre et chercha sa valise à l’arrière.

Slade dodelinait aussi de la tête. L’Américain leur avait payé un bon repas, dans la seule auberge acceptable de Palawbum. Il avait bu comme un trou. D’abord parce que l’alcool était gratuit, et parce qu’il lui fallait retourner à l’aérodrome de nuit. Maintenant il allait les laisser, et rentrer seul au bourg. Il eut une nausée. Mais ce n’était pas à cause de l’alcool.

Marsch sauta sur l’herbe et s’approcha. Il avait déboutonné sa combinaison sur son torse poilu. L’air frais lui faisait du bien et il avait envie de massacrer quelqu’un. Il empestait le whisky.

— Et la pépée ?

Sara Tiensane se retourna et l’Allemand ricana. Slade n’avait pas menti. Elle était belle. Malgré ses cheveux nattés. Il imaginait sans peine qu’ils devaient, une fois libres, lui descendre au creux des reins.

— ’Soir ma jolie !

Clifton eut un rire nerveux.

— Je vous avais prévenue. Il est d’une grossièreté inimaginable, qui l’a rendu célèbre dans tout le sud asiatique.

Marsch allumait sa cigarette, l’air goguenard. Slade regardait autour de lui, cherchant les soldats birmans. Ils devaient être cachés dans les buissons, peut-être même endormis. Parce qu’il était Anglais et major, il n’aurait jamais demandé à l’officier de se faire accompagner par deux ou trois de ses hommes. S’il n’avait été qu’un simple natif, tout aurait été moins compliqué.

L’Allemand pivota légèrement pour échapper à l’éblouissement des phares, et pour mieux détailler la jeune femme. Celle-ci suivit son mouvement. Elle paraissait tranquille, ni dédaigneuse ni choquée. Elle le dévisageait seulement, et tout de suite il la soupçonna de s’attarder sur l’éclat insolite de son œil de verre. À moins que Clifton l’ait déjà mise au courant.

— Eh bien, à demain matin ! murmura Slade.

Le pilote lui avait proposé de rentrer avec sa voiture et de venir le rechercher le lendemain matin. Par simple amour-propre, il le regrettait.

Marsch, malgré son ivresse, perçut la peur du bonhomme. Il s’approcha de lui.

— Vrai que les Dacoïts sont cruels ? J’ai cru entendre un coup de feu tout à l’heure.

Slade ouvrit la portière de la Ford et se glissa à l’intérieur. L’Allemand ricana en apercevant le canon de la carabine.

— Vous savez vous en servir ? Je croyais que dans l’armée anglaise, il n’y avait que des traîneurs de sabre.

Le moteur de la voiture éclata. Slade fit une impressionnante marche arrière pour reprendre la route de Palawbum.

— Il crève de peur ! dit Ludwig.

— C’était inutile de le lui rappeler, dit Clifton d’un ton naturel.

La porte de l’appareil découpait un rectangle flou sur l’herbe. L’intérieur était pauvrement éclairé par une seule lampe.

— Inutile de décharger nos batteries, grogna l’Allemand en se laissant choir dans l’un des fauteuils. Au fait, as-tu vu le général ?

— Oui. Il faudra dévisser cette rangée de fauteuils pour pouvoir caser son brancard. Même deux, pour circuler autour. Il est très affaibli et appréhende le voyage.

— Et ses gardes du corps ?

— L’un s’appelle Tsin, l’autre Tamoï. Deux costauds qui me paraissent armés jusqu’aux dents.

Ludwig désigna un des fauteuils à la jeune femme :

— Asseyez-vous. Il y a de la place.

C’était la première parole aimable qu’il avait pour elle. Il la suivit de son œil critique, tandis qu’elle s’installait face à lui, de l’autre côté du passage. Il sourit parce que la robe découvrait ses genoux nus. L’imperméable cachait le haut de son corps. Clifton sortait de la soute avec des boîtes de bière et des gobelets.

Marsch grogna :

— Il n’y a pas autre chose ? La bière tiède, très peu pour moi.

— J’ai enfermé le whisky. Demain, nous aurons une rude journée et ce n’est pas le moment de te saouler.

L’Allemand se dressa, menaçant :

— Clifton, méfie-toi ! Nous sommes associés pour l’heure. Je veux boire un dernier verre avant de dormir.

Le pilote ouvrait une boîte de bière. Il la tendit à Sara en même temps qu’un gobelet.

— Excuse-moi, mon vieux. Prends la clé et crèves-en ! Notre invitée ne met pas du tout en doute tes possibilités.

Mouché, l’aide-pilote alluma une cigarette et posa ses pieds sur le dossier du siège suivant. La jeune femme but une gorgée de bière, puis se tourna vers Marsch.

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