«Hé, M. Pollo! M. Pollo! Hé-Pollo! Hé-Hoh!» en secouant Adam par les épaules. Puis il vit sur cette tête maigre, aiguisant cette physionomie parcheminée, une espèce de rictus. Ça commençait haut, juste au-dessous des pommettes, et ça fendait le visage en deux sans écarter les lèvres, sans montrer la moindre incisive. Alors, il abandonna tout espoir, et fit appeler l’infirmière. Longuement, un à un, ils évacuèrent la pièce froide, tandis qu’on emmenait Adam titubant à travers les couloirs.
Au cœur de son sommeil, Adam sentit qu’ils partaient; ses lèvres bougèrent, et il faillit murmurer, «au revoir». Pas même un grognement ne sortit de sa gorge. Quelque part, au bas d’un cahier, un crayon à bille bleu écrivit un mot, en crissant doucement sur le papier: «aphasie».
Tandis qu’il passait un angle, puis deux, du couloir, agrippé par le bras tiède de l’infirmière, Adam entrait dans la légende. Il pensait peut-être, tout bas, tout ténu, longtemps avant ses cordes vocales gelées, qu’il était bien dans son domaine. Qu’il l’avait enfin trouvée, la belle maison rêvée, fraîche et blanche, bâtie en plein silence au centre d’un jardin merveilleux. Il se disait qu’il était heureux, tout seul dans sa chambre peinte en beige, avec une seule fenêtre d’où coulaient toujours les bruits de paix. Il n’était pas contre; il allait l’avoir, ce repos pérenne, cette nuit boréale, avec son soleil de minuit, avec des gens pour s’occuper de lui; des promenades au grand air et des sommeils souterrains; même, parfois, de jolies infirmières qu’on peut emmener, le soir, dans les taillis. Des lettres. Des visites, de temps en temps, et des colis pleins de chocolat et de cigarettes. Il y a la fête, une fois par an, le jour de la Fondation, le 25 avril, ou le 11 octobre. Noël et Pâques. Demain, peut-être, la jeune fille blonde reviendrait le voir. Seule, cette fois. Il lui prendrait la main et lui parlerait longtemps. Il lui écrirait un poème. Avant deux semaines, si tout allait bien, on l’autoriserait à correspondre. Puis ils pourraient aller se promener ensemble dans le jardin, vers la fin de l’automne. Il lui dirait, je peux rester ici encore un an, moins, peut-être; après ça, quand j’en sortirai, nous irons vivre dans le Sud, à Padoue, ou à Gibraltar. Je travaillerai un peu, et le soir, nous irons dans les boîtes, ou au café. Puis, de temps en temps, quand nous en aurons envie, nous retournerons passer un mois ou deux ici. On nous accueillera gentiment, et on nous donnera la plus belle chambre, celle qui a vue sur le parc. Dehors, le soleil fait craquer les feuilles mortes et la pluie cliqueter les feuilles vivantes. On entend un train. Les couloirs sentent le bouillon de légumes, on dirait que tout est creux, tiède et frais à la fois. C’est le moment de creuser son trou dans la terre, en écartant les brindilles et les grumeaux, avant de s’y enfouir, pieds les premiers, bien au secret, pour passer un hiver de malade. Après, il y aura la tasse de tilleul, et puis la nuit, fermée sur les nuages de la Dernière Cigarette comme sur les fumées magiques de Simbad. À la rigueur, une cloche sonne. Un moustique rôde autour de la lampe avec un bruit de polisseuse à marbre. C’est le moment d’abandonner la terre aux termites. C’est le moment de fuir à l’envers, et de remonter les étapes du temps passé. L’on est pris dans la stupeur des soirées d’enfance, comme dans de la glu; et l’on se noie au milieu du brouillard, après quelque repas, en face d’une assiette décorée de houx, étrangement vide, où traînent encore des plaques de potage. Puis viendra le temps des berceaux, et l’on meurt étouffé dans les langes, suffoquant de petitesse et de rage. Mais c’est anodin. Car il faut aller plus loin encore, rétrograder dans le sang et le pus, jusqu’au ventre de sa mère, où, bras et jambes en posture de l’œuf, l’on s’endort la tête contre la membrane de caoutchouc, d’un sommeil obscur peuplé d’étranges cauchemars terrestres.
Adam, tout seul, étendu sur le lit sous une stratification de courants d’air, n’attend plus rien. Il vit énormément, et ses prunelles regardent le plafond, là où, il y a 3 ans, l’hémorragie du 17 a percé. Il sait que les gens sont partis, assez loin, maintenant. Il va dormir vaguement dans le monde qu’on lui donne; en face de la lucarne, comme pour répondre aux six croix gammées des barreaux, une seule et unique croix pendille au mur, en nacre et en rose. Il est dans l’huître, et l’huître au fond de la mer. Bien sûr, restent quelques ennuis; il faudra faire la chambre, donner pour les analyses d’urine, répondre aux tests. Et l’on est toujours à la merci d’une libération inopinée. Mais avec de la chance, c’est pour longtemps, à présent, qu’il est fixé à ce lit, à ces murs, a ce parc, à cette harmonie de métal clair et de peinture fraîche.
En attendant le pire, l’histoire est terminée. Mais attendez. Vous verrez. Je (notez que je n’ai pas employé ce mot trop souvent) crois qu’on peut leur faire confiance. Ce serait vraiment singulier si, un de ces jours qui viennent, à propos d’Adam ou de quelque autre d’entre lui, il n’y avait rien à dire.
UN CYCLONE À LA JAMAÏQUE
en arrière jusqu’aux bossoirs pour reprendre son élan; mais à chaque charge nouvelle, sa course devenait plus limitée. Le porc la cernait. Tout à coup, et principalement parce qu’il était surpris de sa propre témérité, il lança un cri épouvantable, et fondit sur elle. Il l’avait coincée contre le cabestan, et pendant l’espace d’un éclair il put la mordre et la piétiner. C’est une chèvre très assagie qui fut alors emmenée dans ses quartiers; mais les enfants étaient disposés à l’aimer à jamais, pour les coups héroïques qu’elle avait portés au vieux tyran.
Toutefois, il n’était pas absolument dépourvu de sentiments humains, ce cochon. Le même après-midi, étendu sur le grand panneau, il était en train de manger une banane. Le singe du bâtiment, se balançait au-dessus de lui, au bout d’une corde lâche. Et, guignant cette proie, il se laissa glisser aussi bas que possible, de manière à la lui arracher des pattes. On n’aurait jamais pu penser que le masque immobile d’un porc pouvait exprimer une telle stupeur, un tel désespoir, un sentiment si piteux d’injustice.
Las de la vie
M. Jean-François Gourre, âgé de 54 ans, exerçant la profession de représentant de commerce pour une marque de savonnettes, a été trouvé noyé hier après-midi par la brigade des sapeurs-pompiers. La thèse de l’accident devant être repoussée, l’enquête a conclu au suicide. Le malheureux aurait mis fin à ses jours en se jetant d’une barque de louage. Quand le corps a été repêché, la noyade remontait à trois jours. Il semble que M. Gourre, honorablement connu dans les milieux commerçants, ait cédé à une crise de neurasthénie. À sa famille ainsi qu’à ses amis nous présentons nos plus sincères condoléances.
BEN BELLA ACCUEILLI
TRIOMPHALEMENT À ORAN:
“Il nous faut un parti unique.”
à Tizi-Ouzou, 100.000 kabyles acclament le G.P.R.A.
ENTRE NANDELIEU ET LE TRAYAS, LE FEU COUPE LA VOIE FERRÉE EN PLUSIEURS POINTS
De nombreux train sont stoppés. Plusieurs villas menacées. Un camping est évacué à la hâte.
GRÈVE GÉRÉRALE DES MARINS MARSEILLAIS JUSQU’À DEMAIN APRÈS-MIDI
Les départs des navires pour la Corse et pour l’Afrique sont suspendus jusqu’à nouvel ordre.
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