Daniel Pennac - Journal d'un corps

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Journal d'un corps: краткое содержание, описание и аннотация

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13 ans, 1 mois, 8 jours
Mercredi 18 novembre 1936
Je veux écrire le journal de mon corps parce que tout le monde parle d'autre chose.
50 ans et 3 mois
Jeudi 10 janvier 1974
Si je devais rendre ce journal public, je le destinerais d'abord aux femmes. En retour, j'aimerais lire le journal qu'une femme aurait tenu de son corps. Histoire de lever un coin du mystère. En quoi consiste le mystère ? En ceci par exemple qu'un homme ignore tout de ce que ressent une femme quant au volume et au poids de ses seins, et que les femmes ne savent rien de ce que ressentent les hommes quant à l'encombrement de leur sexe.
86 ans, 9 mois, 16 jours
Lundi 26 juillet 2010
Nous sommes jusqu'au bout l'enfant de notre corps. Un enfant déconcerté.

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73 ans, 1 mois, 21 jours

Dimanche 1 erdécembre 1996

Au fond, j’assiste quotidiennement à la respiration de mes reins.

73 ans, 1 mois, 28 jours

Dimanche 8 décembre 1996

Hier soir, incident, chez les A., où nous dînions pour la première fois. Un croisement intempestif de mes jambes a débranché mon bazar. Mon pied gauche a fait sauter le tuyau. Ça s’est mis à couler le long de mon mollet droit et à se répandre en flaque autour de mon pied. J’ai fait mine de laisser tomber ma serviette, j’ai plongé sous la table, épongé, rebranché. Ni vu ni connu. Me méfier de ça, désormais. En partant, j’ai escamoté la serviette. (À tout prendre, mieux vaut laisser le souvenir d’un voleur de serviette que celui d’un convive qui pisse sous la table.)

73 ans, 2 mois

Mardi 10 décembre 1996

On parle beaucoup de maladie autour de moi. « Toi, tu ne peux pas comprendre, tu n’es jamais malade ! » Une des vertus de ce journal aura été de préserver tout un chacun des états de mon corps. Mon entourage y a gagné en bonne humeur.

73 ans, 2 mois, 2 jours

Jeudi 12 décembre 1996

Je suis une clepsydre.

73 ans, 2 mois, 4 jours

Samedi 14 décembre 1996

Ma peau supporte mal les points de sparadrap qui maintiennent la sonde contre ma cuisse. Elle s’irrite. Ça s’infecte. Je les ai plusieurs fois changés de place, puis j’ai changé ma sonde de jambe. Résultat, mes deux jambes ressemblent à des bras de camé. Il faudra trouver une autre solution.

73 ans, 2 mois, 5 jours

Dimanche 15 décembre 1996

Trouvé la solution en voyant passer sur le Champ-de-Mars un banc de cyclistes moulés dans leurs cuissards. Demain je cours acheter cette culotte qui leur fait une seconde peau. La sonde s’y trouvera naturellement plaquée à la cuisse ; plus besoin de sparadrap.

73 ans, 2 mois, 7 jours

Mardi 17 décembre 1996

Ça marche. Le lycra maintient la sonde contre ma peau. Mona rit en me voyant. Mon beau cycliste ! J’ai un cul de loutre. Cette culotte de cycliste, je l’ai achetée dans un magasin de sport sur lequel régnait un jeune homme à la bonne santé ostensible. Nous avons eu un différend. Je me suis aperçu trop tard (au poids de ma cheville) que ma poche était pleine. Il fallait la vider. J’ai donc demandé au jeune homme la direction des toilettes. Il a répondu : Pas de toilettes pour la clientèle. J’ai évoqué l’urgence, il a répété : Pas de toilettes pour la clientèle ! Comme je lui tournais le dos sans insister, je l’ai entendu conclure : À chacun sa merde.

Je me suis dirigé vers le rayon des chasseurs et, tout en faisant mine de farfouiller à hauteur d’homme, j’ai vidé le contenu de la poche dans une botte de chasse verte à rabat et museau de cuir fauve, tout ce qu’il y a de chic.

73 ans, 2 mois, 10 jours

Vendredi 20 décembre 1996

À la brasserie, où j’invite maître R. pour célébrer l’issue d’une affaire dans laquelle elle a défendu mes intérêts, je lui propose, comme il se doit, de s’asseoir sur la banquette et moi sur la chaise. Elle est jeune, intelligente, enjouée, radieuse, charmante. Comme nous n’avons plus guère à nous entretenir du dossier qui nous a fait nous rencontrer, la conversation prend bientôt un tour plus personnel. Et assez vite — comment dire ? — , assez vite j’en viens à oublier cette foutue sonde entre mes jambes, mon âge, et même, ce qui est pire, notre différence d’âge. Jusqu’au moment où, se décalant légèrement sur la banquette, la jeune femme me laisse découvrir nos deux visages côte à côte : le sien, en face de moi, frais, jeune, épanoui, laiteux, rosé ; le mien dans le miroir, rabougri, ridé, jauni, vieux. Jeune pomme, vieille pomme.

73 ans, 2 mois, 11 jours

Samedi 21 décembre 1996

En me relisant, me revient une des histoires les plus gracieuses de Tijo :

Deux clochards assis sur un banc voient passer une très jolie fille. Le premier dit au second :

Tu la vois la nana, là ? Eh ben hier, j’aurais pu me la faire.

L’autre : Tu la connais ?

Le premier : Non, mais hier j’ai bandé.

73 ans, 2 mois, 16 jours

Jeudi 26 décembre 1996

On me retire ma sonde demain. Dois-je m’attendre à un nouveau bloc vésical ? Le chirurgien auquel je pose la question m’offre une nuit blanche en répondant : J’espère bien que non, porter ça pendant un mois c’est déjà énorme, je ne vois pas ce qu’on pourrait faire de plus !

73 ans, 2 mois, 17 jours

Vendredi 27 décembre 1996

On me l’a donc retirée. Si le mot « suspense » a un sens, j’affirme avoir vécu là un des moments les plus « suspendus » de ma vie ! Repartira ou ne repartira pas, ma vessie ? Elle a hésité. Sensation étrange (imaginaire ?) d’un ballon qui se défroisse en se gonflant. Une douleur lointaine a grandi avec ce déploiement, promettant celle d’un bloc vésical. La douleur montait avec la pression. Elle commençait à irradier l’intérieur de mes cuisses. J’ai retenu mon souffle. Je me suis mis à suer par les tempes. Respirez ! criait l’infirmière. Mais arrêtez de vous contracter comme ça, détendez-vous ! Cherchant à vider mes poumons je n’ai pu vider que mes narines. Des larmes me sont venues. Puis le prépuce s’est gonflé et le barrage a cédé d’un coup, propulsant dans la cuvette une urine teintée d’un reste de sang mais drue comme un pissat de cheval. Vous voyez, a commenté l’infirmière, quand vous voulez !

Je voudrais faire un séjour dans chaque hôpital de France pour étudier de près cette langue qu’on parle aux malades.

73 ans, 3 mois, 2 jours

Dimanche 12 janvier 1997

Des hauts et des bas, ces derniers jours. Le bonheur de ne plus avoir ce truc entre les jambes largement atténué par la peur qu’on me l’y remette. D’où inspection permanente du jet. Quantité et intensité variables. Une fois ou deux un vrai jet d’arrosage, qui sonne joyeusement au fond de la cuvette et qu’accompagne une exultation de jouvenceau en pleine possession de ses moyens. Le reste du temps, piètre fontaine.

73 ans, 7 mois, 10 jours

Mardi 20 mai 1997

Rencontre violente avec un réverbère, ce matin. Je me promenais du côté de la Sorbonne. Soleil radieux. Sur le trottoir d’en face un groupe d’étudiantes souhaitait le bonjour au printemps. Elles étaient venues avec leurs seins, qui menaient une vie libre sous leurs chemisiers aérés et même, pour l’une d’elles, s’épanouissaient dans l’échancrure d’un marcel. Oh ! le joli camionneur ! Tout en marchant, je les regardais, ravi de n’être plus en état d’en désirer aucune. Émerveillement pur en quelque sorte. Le réverbère n’en a tenu aucun compte. Il m’a séché aussi brutalement que si j’avais été un vieux dégueulasse obnubilé par sa proie. J’en suis tombé à la renverse, presque évanoui. Elles sont venues à mon secours. On m’a relevé. On m’a assis à la terrasse d’un café. Le réverbère sonnait encore dans mon crâne. Je saignais. On a voulu appeler une ambulance. J’ai décliné. On est allé acheter désinfectant et sparadrap dans une pharmacie voisine. J’ai pu contempler tout mon saoul les seins de celle qui, penchée sur moi, me pansait. Pas d’ambulance, vraiment ? Non. Elles ont appelé un taxi qui n’a pas voulu me charger, à cause du sang sur ma chemise. Téléphoné à Mona, commandé un cognac en attendant son arrivée, plus une menthe à l’eau et deux cafés pour remercier les petites. Ça ira ? Vous êtes sûr que ça ira ? Oui, oui, ne vous inquiétez pas, ce n’est qu’un coup de réverbère après tout. Rires polis. Elles sont parties assez vite. Nous n’avions absolument rien à nous dire. De quoi aurions-nous pu parler ? Du réverbère ? De leurs études ? Elles ne devaient pas en avoir plus envie que ça. Du suicide de Romain Gary, l’impuissance venue ? Ou du soulagement de Buñuel, au contraire, quand il se sentit enfin libéré de sa libido ? Les petites retournées à la fac, j’ai commandé un second cognac, en l’honneur de Buñuel, justement. Si le Diable lui avait proposé une nouvelle vie sexuelle, disait-il, il l’aurait refusée en lui demandant plutôt de fortifier son foie et ses poumons pour boire et fumer tout son saoul.

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