— Boris, à propos de notre projet…
Lassef se crispa, pressentant une reculade.
— J’en parlais avec Bérangère, hier soir, elle me faisait remarquer qu’il y avait déjà eu remake. Elle dit : c’est aléatoire…
Boris s’emporta :
— Bon Dieu, Jules, il y a eu je ne sais combien de versions des Misérables avant celle qu’a tournée Hossein voici quelques années, et on en prépare une nouvelle ! Vous ne savez pas que certains chefs-d’œuvre sont inépuisables ? I-né-pui-sables !
— Je sais, je sais, mais il faudrait tout de même faire sondages.
— Si vous faites sondages, faites-les vite et prenez votre décision. En cas de dérobade de votre part, je monterai l’affaire avec un autre produc. J’amène des financiers de poids dans cette histoire, ce qui la rend facile à réaliser.
— Je n’ai pas dit « non » ! plaida Zakouskine, lequel appartenait à cette catégorie de gens qui, lorsqu’ils ne FONT pas, ne veulent pas laisser FAIRE.
— Alors, si vous ne dites pas « non », dites « oui », lança « l’Illustre » qui détestait les atermoiements.
L’aspect « contrat » de ses entreprises le rebutait et, bien souvent, il préférait consentir de gros sacrifices financiers plutôt que de perdre du temps à ergoter.
Il lâcha son sempiternel « Salut ! » qu’il mettait à toutes les sauces et, furibard, apostropha Léon :
— Ta pute est en train de nous scier la branche ! Tu la baises mal ou quoi ? Ah ! les connasses, quelle épidémie !
— Elle s’impatiente, répondit Yvrard. Il s’agit d’un coup de semonce.
— Ça veut dire quoi ?
— Ne lui avais-tu pas promis l’amour ?
— Si, mais…
— Le lui as-tu fait ?
— Non, mais puisqu’elle semblait heureuse de tes prestations…
— Hors-d’œuvre, mon Boris ; de simples hors-d’œuvre ; il lui faut à présent le plat de résistance, en l’occurrence toi. Mais n’aie aucune inquiétude, je vais arranger cela.
— Que vas-tu faire ?
— C’est mon problème. D’ici trois jours, tu auras signé avec Julot.
Il semblait si sûr de lui que Boris se mit à penser à autre chose.
Comme Napoléon, il possédait un esprit « à tiroirs » et pouvait passer d’un problème à un autre sans que le précédent n’encombre sa pensée.
Dans l’après-midi, la Bérangère « vint au coït », selon une habitude qui commençait à s’instaurer. Chaque fois elle espérait enfin connaître l’ivresse dans les bras du Maître et « demandait après lui » ; Léon sortait toujours un prétexte quelconque pour expliquer l’absence ou le forfait de « l’Illustre ». Une déception teintée d’impatience se manifestait alors sur le visage de la « merveilleuse ». Léon, que le corps de l’idiote inspirait l’entreprenait vivement pour lui faire passer l’aigre goût de la désillusion et croyait y parvenir. L’appétit croissant et le débridement sexuel de la dame Zakouskine le stimulaient.
Mais l’impétueuse n’oubliait pas son dû et, au cours des ablutions chargées de réparer sa vertu, ne manquait pas de récriminer.
Ce jour-là, elle manifesta d’entrée de jeu sa mauvaise humeur, assurant que les dérobades de Lassef n’étaient pas « correctes » et comportaient même un côté insultant.
— Il écrit une nouvelle pièce qui l’accapare entièrement, plaida Léon.
Elle fit des commentaires peu obligeants.
Le côté garce de la Bérangère transparaissait dans ses considérations acides, elle passait de la déception avouée à la menace informulée avec un art que ne laissait pas présager sa sottise.
Léon l’écoutait, un sourire miséricordieux aux lèvres. Il regardait « grimper la mayonnaise » avec jubilation. Quand elle eut bien vitupéré, il la renversa en riant sur le lit, lui ouvrit les jambes et entreprit de la déguster. Elle raffolait de ce genre de caresse, ayant été longtemps pensionnaire au cours de son adolescence, Yvrard mettait beaucoup de fougue discrète dans cette pratique, si bien que Bérangère partit en râlant bête à la conquête du plaisir.
Au plus intense de sa pâmoison, Léon interrompit ses voluptueuses manœuvres.
— Ah ! comme tu es une magnifique bête d’amour ! balbutia-t-il. Oh ! à propos, il faut que je te montre quelque chose qui va follement t’exciter.
Il sortit du tiroir de sa table de chevet une photographie 13 x 18 en noir et blanc et la tendit à sa partenaire. L’image la représentait aux prises avec les quatre grotesques de chez la mère Ripatons dont chacun s’employait à occuper ce qu’il pouvait du « territoire » de la donzelle. Elle se tenait à genoux, les mains à plat sur le lit. Les deux gros personnages myopes jouaient les Rémus et Romulus, glissés sous ses mamelles pendantes ; le plus vigoureux du quatuor la prenait en levrette avec une expression à la « saint Michel terrassant le dragon », cependant qu’elle pratiquait une fellation mutine au dernier protagoniste, lequel s’enorgueillissait d’un long sexe en arc de cercle.
— N’est-ce pas superbe ? s’exalta Léon. Il m’est arrivé comme à tout un chacun de visionner des films hard, je n’y ai jamais trouvé une telle intensité érotique !
— Mais… mais… Ça sort d’où ? parvint-elle à articuler.
— Je l’ai prise avec mon petit Minox qui ne me quitte jamais. Tu te rends compte si l’agrandissement est net pour une pellicule grande comme le quart d’un timbre-poste ! Je te la donnerais bien, mais si ton mari la trouvait, ce serait la fin de ton ménage.
La Bérangère fut très bien.
Elle se rhabilla sans précipitation, l’air songeur. Puis elle revint au lit sur lequel gisait la photo et la regarda attentivement. Ensuite elle sourit à Léon.
— Il faut que je m’en aille, dit-elle. Adieu !
— Pourquoi « Adieu » ? Nous nous reverrons sur le tournage de La Guerre et la Paix , non ?
— Bien sûr.
Boris signa le contrat quatre jours plus tard. Il insista beaucoup auprès de Léon pour que son ami lui dise de quelle manière il avait obtenu le revirement de Bérangère, mais Yvrard ne voulut rien lui avouer.
Il était là pour le protéger, pas pour l’épouvanter.
* * *
Albertine Lecoq rutilait dans une robe de satin rouge qui faisait grincer des dents. Elle racontait ses ballonnements provoqués par le Champagne dont elle raffolait, et qu’elle était contrainte de battre désormais pour en chasser le gaz. La tablée feignait de la prendre en pitié, mais chacun riait sous cape et son époux finit pas lui déclarer galamment qu’elle les gonflait avec ses ballonnements. Elle se tut, vexée pour un moment. Le vieil Alfred en profita pour faire une déclaration :
— Sais-tu, Boris, que notre film publicitaire emballe tous ceux à qui je le montre ? Il m’est venu une formidable idée promotionnelle, mes amis. Je vais réunir mes plus importants clients et leur montrer notre chef-d’œuvre. Je convierai également les médias. Et savez-vous où aura lieu la projection ? Au Palais des Festivals de Cannes ! Oui, mon cher Boris, je vais louer ce haut lieu pour un film de cinquante-cinq secondes ! Toute la France en parlera. J’affréterai un Airbus depuis Paris pour embarquer tout mon monde à Nice. Après la séance, je donnerai une réception au Négresco . Buffet gigantesque où les pâtes Lecoq seront à l’honneur dans des interprétations culinaires extravagantes : nouillettes au caviar, spaghettis au saumon, raviolis fourrés au foie gras, tortellinis aux truffes ! Vous voyez le style ? Tout ça sous des flots de champagne.
« Nous lancerons la fête, toi, Yvrard et moi, et quand elle battra son plein, nous foncerons discrètement chez le petit Maximin qui a ouvert le restaurant le plus original du monde : dans un théâtre ! Ça t’excite, non ? Là, nous retrouverons les quelques cinquante personnes les plus importantes du lot, soigneusement triées et discrètement invitées. Bien entendu, nous n’aurons pas touché aux pâtes afin de ne pas gâcher nos admirables faims qu’il faudra réserver à la somptueuse cuisine de ce surdoué.
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