1 ...8 9 10 12 13 14 ...27 Vers sept heures du soir je suis de retour. Les deux grands enfants avaient insisté pour descendre avec moi et jouer un peu avec les braises. Philémon a déjà vidé les deux alambics et les braises se consument à côté des appareils. « Jusqu’à huit heures la douane pourra passer pour contrôler si tout est en règle. Je dois tenir un registre exact. Tous les matins je dois passer à la gendarmerie de Castillon prendre les papiers et les ramener le soir. A partir de 19h30 tu peux prendre la bonbonne, car après ils ne viendront plus parce qu’ils doivent en suite descendre à St. Girons ». Nous parlons encore un moment de l’art de brûler, pendant que les enfants allument un feu de camp avec les restes de bois et des braises. Je raconte à Philémon l’histoire d’un pharmacien, qui, après la guerre avait distillé de l’alcool clandestinement et s’était fait prendre parce-que des clients étaient devenus aveugles. « Ça arrive avec des fruits à pépins comme des pommes. On doit les distiller deux fois, car il y a des alcools de fusel qui se créent. Mais mes machines distillent deux fois, n’aie crainte ! » Je lui demande qui avait prêté son nom pour qu’il ait pu brûler mes prunes afin de lui passer un bout de fromage et paye à Philémon ma redevance. Une somme ridicule comparé à la valeur de la gnôle ! Les enfants avaient entre-temps inspecté les appareils et mis les doigts dans le récipient contenant le pèse-alcool puis se les étaient léchés. Ils font une grimace et se secouent. Je crois qu’il vaudrait mieux rentrer…
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D’autres vaches ont vêlé et nous trayons la moitié des brebis. Le bac de refroidissement s’avère idéal. Mais désormais notre chaudron en cuivre est devenu trop petit ! Depuis un certain temps, il se trouve en bas dans la nouvelle fromagerie sur un trépied, au-dessus d’un brûleur à gaz. Il nous faut une cuve plus grande. Mais un grand chaudron en cuivre coûte un argent fou, comme je l’apprends chez Savignac, le chaudronnier chez lequel nous avons acheté notre premier chaudron. La plupart des petits fromagers transforment un ancien tank à lait en acier inoxydable en enlevant le revêtement et l’isolation du dessous afin d’y installer un brûleur de gaz. Ils me donnent l’adresse d’une laiterie qui va bientôt fermer.
Qu’est-ce qu’une laiterie fait avec des tanks à lait ? Je l’apprends une fois sur place : pour que l’usine soit sûre de collecter du bon lait auprès des fermiers, elle met des tanks à leur disposition et les répare ou les échange tout de suite s’ils tombent en panne. Il y a des douzaines de tanks à lait défectueux dans un hall, toutes tailles confondues. Et le tout doit disparaître au prix du kilo, qui n’est pas élevé ! Au milieu de toute cette ferraille, je découvre un engin qui ressemble beaucoup à mon refroidisseur. Et c’en est un, ou presque. C’est l’un des premiers tanks à lait qui a été mis au point en se servant du même principe que pour mon réfrigérateur : un réservoir de 300 litres en inox dans un bain-marie refroidi par un groupe frigorifique. En plus, il y a l’évacuation juste au milieu, ce qui me permet de le placer sur un trépied spécial en utilisant même mon ancien brûleur à gaz ! Comme bouchon, je prends une bonde de baignoire tout à fait normale avec un rond en inox dessus qui couvre le caoutchouc. Comme sur ce tank il n’y pas beaucoup de métal, j’achète la cuve pour peu d’argent et le bac en plastique servira de bassin aux enfants. Comme cette fois-ci j’ai la remorque avec moi, j’en profite pour prendre aussi un tank de 200 litres comme stockage pour le miel. Apparemment il est cassé.
Arrivé chez nous, je renverse la cuve le fond en haut et y pose deux anneaux de fer de différents diamètres venant de vieilles roues de charrette. Puis je coupe trois bouts de fer plat que je glisse de chant entre le fond de la cuve, légèrement conique, et les anneaux. Je les colle d’abord ensemble avec le poste à souder pour les souder correctement une fois tout assemblé. Ensuite je colle trois cornières en fer dessus comme renfort et trois autres en guise de pieds et en plus un support pour le brûleur à gaz. Une fois que tout est consolidé, je pose le support par terre et mets la cuve dessus.
Pour le chauffe-eau à gaz, dont j’ai fait passer le tuyau d’évacuation vers l’extérieur au-dessus de la fenêtre, afin de ne pas percer le mur de 90 centimètre d’épaisseur, nous avons installé deux bouteilles de gaz butane avec un détendeur à changement automatique dans la fromagerie. J’y ajoute le tuyau du brûleur à l’aide d’un T. Deux bouteilles de gaz sont nécessaires, car en cas de consommation accrue, le gaz résiduel peut geler dans la bouteille. On constate d’abord que la bouteille de gaz est humide à l’extérieur puis commence à givrer. Quand les bouteilles sont stockées en plein air, il faut prendre du propane. Il est très important de prendre l’habitude de garder la porte toujours ouverte pendant le chauffage, en raison d’un risque d’intoxication ! Bien sûr, il y a des brûleurs de sécurité qui coupent quand la teneur en CO dans l’air est trop élevée. Mais ils sont très chers !
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Je veux démonter complètement le tank de 200 litres. Je prends le coupe-boulons et je coupe le premier des deux tubes en cuivre qui mènent au compresseur. Je sursaute de surprise, parce que le réfrigérant, le fréon, gicle vers l’extérieur dans un nuage givrant et il ne veut plus s’arrêter ! Tout aux alentours se couvre de givre. Dommage pour la couche d’ozone ! Le gaz aurait normalement dû être aspiré et recyclé, mais je pensais que le circuit de refroidissement était vide ! Ce n’est pas une consolation lorsque j’apprends que les professionnels font pareil…
Je découpe la paroi extérieure avec la disqueuse, enlève l’isolation et puis la pose à plat sur le sol. Avec une craie je marque une ligne sur les deux côtés longitudinaux à 5 centimètres du bord. A côté de ces marques, je mets deux bouts de poutrelles, prenant la plaque en sandwich, bien serrée avec deux serre-joints. Puis je remonte le bord de 5 cm, en martelant à coups de massette, perpendiculairement à la plaque. Doucement, petit à petit, pour que tout reste bien lisse et qu’il n’y ait pas d’ondes ! Puis la même chose de l’autre côté. Ensuite, les deux côtés étroits jusqu’à ce que les bords soient pliés vers le haut sur les quatre côtés. Dans un coin, j’entaille le bord et le remets à plat afin de former un bec d’écoulement, car cette plaque, placée sur un cadre vissé contre le mur, servira désormais de table de moulage. Là-dessus je pose les moules garnis des toiles avant de les remplir de caillé. Le lactosérum se déverse par le bec dans un bidon de lait situé en dessous.
En raison de la nouvelle cuve plus grande, il est difficile de pêcher le caillé, surtout parce que jusqu’à dix fromages doivent être faits à la fois. D’une façon ou d’une autre, je dois évacuer d’abord une partie du lactosérum… La cuve est à environ 20 cm au-dessus du sol. Une fois le brassage fini (que je fais avec une sorte de pagaie en bois), je pose un bidon de lait vide à côté de la cuve et pose un moule dans le lactosérum sur le caillé à l’intérieur. Lentement, il sombre. Puis je remplis d’eau un tuyau long de 2 mètres et épais de 32 millimètres, je ferme les deux bouts avec les pouces et je plonge une extrémité dans le moule flottant dans la cuve, tandis que je tiens l’autre dans le bidon vide. Puis j’enlève les deux pouces à la fois, et le lactosérum s’écoule tout seul par gravité dans le bidon. Le bidon plein, je bouche l’ouverture et mets le tuyau dans le suivant. Pour éviter que le tuyau ne glisse hors de la cuve, j’ai glissé dessus un petit pneu en caoutchouc dur provenant du jeu de mécano de mon garçon.
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