De retour à l’hôtel qui s’était un peu animé, je remarquai quelques jeunes filles attroupées et en train de discuter entre elles ou avec les clients. On aurait dit des teenagers plutôt jeunes et habillées à la mode mini, apparemment d’après moi les filles de la famille du patron, ou leurs amies ou encore leurs nièces, faisant office de petites mains en cas de besoin. Toutes me saluèrent extrêmement cordialement, et je fis de même en retour sans pouvoir dire un mot dans leur langue qui m’était totalement étrangère. Une fois dans ma chambre, je fus intrigué à la vue de quelque chose qui m’était passé inaperçu auparavant : dans les cloisons en papier mâché il y avait des boulettes de papier toilette qui semblaient obturer des orifices. Je me demandais si quelqu’un aurait par hasard tiré avec un fusil à chevrotines. En libérant un trou et en regardant à travers, je pouvais voir en détails dans la chambre qui jouxtait la mienne et qui était inoccupée. Je refermai le trou.
En bas on entendait résonner des rires. Je me rendis dans le couloir et je vis en bas quelques hommes qui venaient d’arriver sans bagages et réglaient leur chambre. S’agissait-il d’hommes d’affaire pressés ? Quelques jeunes filles les précédaient, apparemment pour leur montrer leurs chambres. Je descendis boire une bière et observai le remue-ménage de cette heure pas encore trop tardive. Une des filles s’assit à mes côtés. Je pensais qu’elle voulait me poser les questions habituelles. Mais allez-donc essayer de comprendre quelques mots de chinois ! Devais-je l’inviter à prendre une bière avec moi ? Mais ce n’était encore qu’une enfant, bien qu’elle ne fît pas son âge. Quel est en fait l’âge limite ici pour boire de l’alcool? Je revins ensuite dans ma chambre pour dormir, mais l’agitation de l’hôtel ne cessa pas et toute la nuit j’entendis des pas, des rires, des gémissements et des bruits de porte dans cet établissement plutôt bruyant. Je songeai à en chercher prochainement un autre et finis par m’endormir. A mon réveil le lendemain matin, je remarquai des boulettes de papier toilette sur mon lit ! Quelqu’un avait donc ouvert les orifices de l’autre côté et essayé de m’observer. Comme je me demandais ce qui pouvait bien se passer ici, il me vint soudain une lueur d’esprit : je me trouvais dans un bordel ou un hôtel de passe comme on dit aussi ! Cela expliquait la literie changée de frais et le prix bon marché des chambres. Ce qui justifiait le prix, c’était le supplément ! J’avais pour ainsi dire ‘loué l’assiette vide’, comme en Italie où on paye le couvert à part. J’avais dédaigné le plat principal ! Penang, la ville sans taxe ! Ici tout s’achète et même l’amour est détaxé !
Comme j’avais indiqué à l ‘agence que c’était mon domicile, je restais néanmoins encore deux jours dans cet hôtel dont j’étais sûr que tout le monde en ville connaissait l’existence en tant que bordel. L’employée a dû me prendre pour un étalon ! Le troisième jour je reçus un appel de l’agence me demandant de m’y rendre de suite, car deux billets avaient été restitués. Singapour avait immédiatement appelé l’agence pour demander confirmation. Le navire devait lever l’ancre dans deux semaines ! C’est ainsi que je payai sur le champ les 145 dollars encore dus et qui faisaient de moi le détenteur aux anges d’un billet de bateau pour l’Australie ! Le navire s’appelait ‘Australasia ‘et la traversée devait durer sept jours, ce qui me permettait de déterminer la date de mon arrivée à Fremantle! C’est ce que je fis, et puisque j’étais dans les calculs, je fis le compte en même temps de ce qui me restait et le divisais par 14. Je vis alors que j’avais plus que ce que je dépensais quotidiennement et me dis à quoi bon emporter de l’argent en Australie, alors que là-bas il est par terre dans la rue! Peut-être pas partout, mais je m’y rendais pour en gagner un peu ! Peut-être que tout homme normalement constitué aurait commandé maintenant en plus du ‘couvert’ le ‘plat principal‘ et gâté ces jeunes écolières pendant deux semaines.
Au lieu de cela je me rendis à la gare routière pour acheter un billet pour Bangkok en Thaïlande. En chemin, comme le soleil tapait parfois fort, je me procurai un grand chapeau de paille que j’entourai de ma peau de cobra qui faisait d’habitude office de bandeau dans les cheveux. Dix jours en Thaïlande..., ce ne serait pas rien! J’avais mon sac à dos sur mes épaules et le bus n’attendait que moi pour démarrer. Il était 11 heures et il devait arriver en Thaïlande à 1 heure du matin. C’était un bus thaïlandais avec suffisamment de place pour mettre les jambes et toutes les places étaient occupées. Sauf que j’ignorais que les véhicules thaïlandais n’ont pas de silencieux, juste le collecteur d’échappement. Je sursautai donc au moment où le chauffeur mit le moteur en marche. On aurait dit le bruit d’un avion qui décolle et toute conversation était impossible. De toute façon dans le bus aucun passager ne parlait l’anglais, et encore moins l’allemand. Tout au plus le bruit épargnait-il au chauffeur l’usage du klaxon ! Les gens et les bêtes se précipitaient à l’écart de la route à l’approche du bus, du moins en Malaisie. En Thaïlande tous les véhicules étaient si bruyants que les êtres vivants riverains avaient appris à vivre avec le boucan ! Plus le véhicule était bruyant, plus grand était le prestige du chauffeur, ce qui me faisait penser à mon ‘époque-mobylette’ ! Ici ce n’est pas l’étoile sur le radiateur qui compte, mais le boucan du coude du pot ! Comme tous ses collègues dans tous les pays du monde, le chauffeur du bus se prenait pour le conducteur parfait qui n’attendait que d’être découvert pour la compétition. La route lui appartenait ! Chez nous on appelle parfois les conducteurs de poids lourds les ‘rois de la route’. Ici on peut les cataloguer de ‘tyrans de la route’. J’étais assis tout à l’arrière, car j’avais été le dernier à acheter son billet, ceux-ci ayant été vendus conformément aux numéros des sièges à partir du premier et en remontant. Cela me laissait donc encore assez de chance de m’en sortir en cas de choc frontal, à condition toutefois que l’on ne s’arrêta pas, vu qu’un autre pourrait alors nous foncer dedans par derrière! Je riais de moi-même. Je n’avais qu’à ne pas monter si je craignais quelque chose, je ne devrais même pas être là !
Le bus traversa à toute vitesse de beaux paysages. Pendant un moment nous longeâmes le tracé de la côte et vîmes de temps en temps des plages de sable blanc, avant de remonter en direction des écueils d’où notre regard survolait le bleu de la mer. Après le passage de la frontière, quelques passagers descendirent et d’autres montèrent, de plus en plus nombreux, si bien que le couloir fut bientôt plein. C’était sans doute là le revenu supplémentaire du chauffeur. A un certain endroit monta un vieil homme, certainement un paysan, avec un enfant de six ans environ. Comme ils s’assirent par terre, et pour lui laisser un peu de place sur le bord du siège, je me serrai contre mon voisin et nous prîmes le gamin sur les genoux. L’homme paraissait éreinté par le travail avec ses mains calleuses et sillonnées de rides. Il ne parlait évidemment pas l’anglais, et à l’arrêt suivant je leur offris un thé. Nous reprîmes la route. A un moment donné vers 23 heures, le bus s’arrêta au milieu de l’obscurité pour faire descendre l’homme et son petit-fils. Il me proposa de l’accompagner dans son village qui était à quelques heures de marche d’ici, c’était quelqu’un du bus qui me traduisait. Si seulement il avait fait jour…! Toutes sortes de choses me traversèrent alors l’esprit, les tigres, le Viêt-Cong… Quand le bus redémarra, je me dis que j’avais peut-être raté là la chance de vivre une grande aventure. Au lieu de cela je me rendais dans la plus grande ville du pays!...
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