En soirée, comme nous ne savions pas comment la douane de Penang, notre destination nous accueillerait et qu’il valait mieux être ‘clean’, nous fumâmes les restes de haschich de John. Singapour n’était pas loin et chacun savait qu’il était impossible d’obtenir là-bas un visa quand on portait des cheveux longs ! C’est pourquoi je demandai à John, bien que cela me soit difficile, de me couper les cheveux et par là-même réduire à néant l’œuvre de deux années de ’croissance’ ! Mais à cela s’ajoutait un autre problème : en fouillant dans mon sac à dos, j’en extirpai le revolver au grand étonnement de John qui ne s’y attendait pas. « Qu’est-ce que tu veux faire avec ça ? » me demanda-t-il. En le soupesant avec la main, je lui répondis : « Puisque je n’en ai pas eu besoin jusqu’à présent, il n’y a pas de raison que j’en aie plus besoin dorénavant ! » Le hublot était ouvert afin de permettre à l’air frais du large de pénétrer dans notre cabine où il faisait très chaud. Je le lançai alors à toute volée dans la Mer Andamanne, la poignée de cartouches suivit le même chemin. Je n’entendis même pas le plouf dans l’eau, tant le Rajula sillonnait la mer à grande vitesse. « Si tout le monde faisait de même, il règnerait bientôt la paix sur terre ! », dit John.
Vingt heures plus tard nous accostâmes à George Town, un port de l’île de Penang, pas loin de la terre ferme malaisienne. Terminus. C’était là que se séparaient nos chemins. John partit pour Kuala Lumpur où il connaissait un hôtelier et espérait pouvoir y trouver un petit job. Sayonara, quant à lui se perdit dans la cohue et je ne devais plus le revoir. Au premier coup d’œil l’Asie du sud-est se distinguait de l’Inde par ses rickshaws différents : en effet en Inde les passagers sont assis derrière, et ici ils sont assis devant, dans une sorte de grand fauteuil avec deux roues de côté. Le conducteur est donc assis derrière, sur une partie arrière de vélo presque normal qui est raccordée au fauteuil par un axe articulé. Pour effectuer les manœuvres il se sert d’un grand arceau fixé derrière le dossier du ‘sofa’. C’est là que se trouvent également les leviers de frein, la sonnette ou le klaxon en balle de caoutchouc. Je pris mes quartiers dans un hôtel pas cher où quelqu’un qui ne comprenait pas le moindre mot d’anglais m’avait amené. J’avais la sensation de me retrouver au Japon avec ces cloisons intérieures en carton-pâte. Autres pays, autres normes sismiques, me dis-je, tout en déposant mes bagages avant de partir en reconnaissance et à la recherche de nourriture.
A l’entrée de la ville s’étendait une cité sur pilotis. A en juger aux douzaines de péniches et de voiliers de transport en bois qui tanguaient entre le môle, (la digue qui protège contre la mer), et les bâtiments sur pilotis, vivaient là leurs propriétaires, ainsi que les équipages avec leurs familles. Certaines de ces ‘maisons à échasses’ étaient inoccupées et en mauvais état, sans doute du fait que la navigation à moteur rendait difficile l’existence des navigateurs à voile. Beaucoup de sans-abris ou de réfugiés de la guerre du Vietnam et des pays limitrophes s’étaient installés ici et menaient une existence misérable. Les enfants jouaient ‘au chat’ sur les passerelles qui entouraient les maisons et de là sautaient dans l’eau, avant que le ‘chat’ ne les rattrape. Pour eux au moins c’était le paradis…
La ville regorgeait de boutiques. Penang était une zone de libre-échange où presque tous les habitants essayaient de tirer profit de cette situation. Un bac conduisait à la terre ferme qui était proche, mais il fallait d’abord passer par la douane. Dans cet enchevêtrement de boutiques de toutes sortes je trouvai une ‘agence de voyages’, où l’on me confirma qu’il n’y avait pas une place de libre pendant deux mois sur le navire qui se rendait de Singapour à Fremantle en Australie. On me recommanda alors de réserver plutôt ici. On pouvait obtenir en règle générale un visa de transit pour Singapour, mais seulement valable un jour. Ici en Malaisie je pouvais rester trois mois sans visa, mais la gérante de l’agence me consola en me disant qu’à la dernière minute il arrivait que des billets soient annulés et donc restitués. J’avais donc encore une chance de partir plus tôt et donnai trente dollars d’acompte ainsi que mon adresse à l’hôtel Aung Youn, en promettant de revenir bientôt pour que le billet ne me file pas sous le nez !
Mon futur était donc assuré et je voulais maintenant m’occuper de mon présent, c’est-à-dire manger ! Comme je ne connaissais pas les prix et que je venais d’échanger seulement quelques dollars américains contre des dollars malaisiens, je m’étais laissé surprendre. En observant la population dans les rues, j’avais l’impression qu’il y avait ¼ d’Indiens, ¼ de Chinois et la moitié de Malaisiens qui sont peut-être un mélange des deux…Comme je connaissais la cuisine indienne, je me décidai pour la cuisine chinoise. Il suffisait de regarder les panneaux des restaurants pour savoir quelle cuisine était servie, et le cuisinier pour reconnaitre en plus de ses origines la qualité de ses plats : plus il était gros, meilleurs étaient les aliments ! On me porta alors la carte en anglais, mais elle aussi était comme du chinois pour moi, c’était le cas de le dire ! Comme les noms des plats ne m’évoquaient rien, le cuisinier m’emmena dans la cuisine où je lui montrai dans les casseroles ce que je voulais manger. Il me prépara une assiette composée et me donna des baguettes pour manger et une grande cuillère en porcelaine en forme de petit bateau pour la soupe ! En attendant d’être servi, j’observais les autres clients se saisir des baguettes et je les enviais presque de les voir les manier avec tant de dextérité. Quant à moi, chacune des deux baguettes ‘menait sa propre existence’, si bien que mon repas ne tarda pas à refroidir ! Je remarquais que quand les clients n’avaient plus grand chose dans le bol ou dans l’assiette, ils la mettaient devant la bouche et enfournaient le reste avec les deux baguettes côte à côte. Je fis alors de même en commençant dans une certaine mesure par la fin. J’étais surpris par la bonne préparation des plats. On dégustait ce que l’on mangeait, les épices ne servant qu’à relever le goût. Par-dessus cela une bière bien fraiche, vu que l’alcool était autorisé et que même les Indiens présents semblaient s’en accommoder facilement ! Au moment de payer et de faire la conversion, je constatai qu’ici les prix étaient doubles de ceux pratiqués en Inde, ce qui était bon à savoir pour mes estimations de frais !
Je me baladai alors encore un peu dans les rues et découvris des halles couvertes qui grouillaient à ce moment de la journée d’enfants et d’adolescents vêtus de blanc. Ils s’entrainaient au judo, ce qui était peu courant en Allemagne à l’époque. C’était impressionnant de voir des bambins en saisir d’autres, les jeter en l’air d’un geste adroit et puis les immobiliser sur le sol. Il régnait ici une discipline de fer, car tous se mettaient en ligne droite et saluaient le maitre en faisant une révérence très respectueuse. Celui-ci faisait de même à son tour, ainsi que tous les combattants qui se saluaient avant et après le combat, et quelle qu’en soit l’issue ! L’idée de base de savoir se défendre en toutes circonstances me paraissait très bonne, mais je trouvais encore plus important d’apprendre le respect mutuel et le fair-play dans toutes les situations, même quand on perd ! Il arrivait que ces exercices aient lieu en plein air. Il y avait alors partout les tatamis nécessaires, sauf à la plage où le sable suffisait ! J’ai rencontré ces salles d’entrainement jusqu’en Thaïlande. Tout le sud-est asiatique semble s’adonner au judo, de même que chez nous on est adepte du football.
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