1 ...7 8 9 11 12 13 ...25 Ainsi, le lendemain matin, me voilà en train de traverser la forêt dense sur un sentier pour rejoindre la route. Je veux essayer aujourd’hui de faire le tour de l’île en auto-stop. Partout dans les branches j’entends des piaillements et des chants, et pourtant il n’y a pas beaucoup d’oiseaux qui s’offrent à ma vue. J’arrive alors à la route. L’île a un périmètre de 40 kilomètres, et donc si nécessaire je pourrais toujours rentrer à pied, car Georgetown la ville principale de l’île grouille de gens et de voitures, la campagne ici semble plutôt abandonnée.
Je me rends à pied au premier temple qui est le temple aux serpents, bouddhiste et de style chinois, avec les toits relevés aux deux extrémités en forme de corne et couverts de tuiles. Presque tout le bois est peint en rouge. Dans la cour intérieure sont plantés toutes sortes de buissons souvent dans des vases de céramique. Je dépose alors mes chaussures à côté de l’entrée du temple et m’assois un instant devant le Bouddha principal. Nulle part je ne remarque de serpents alors que les pêcheurs avaient affirmé qu’il y en avait des centaines ! Je demande alors à un moine qui s’approche et me montre sans rien dire un buisson dans l’enceinte du temple, pas loin de là où je suis assis. En m’approchant, je comprends que ce que j’avais pris pour une variété de plantes avec un bourgeon fleuri est en fait un petit serpent vert. Et il n’est pas le seul ! La moitié du buisson grouille de vie et me dévisage gueule ouverte et en tirant la langue ! Je sursaute alors et demande : « Ils ne sont pas venimeux au moins ? » « Ils le sont, mais ils ne mordent pas dans un temple ! », me répond-t-il. Quel humour ! Pourquoi ne mordraient-ils pas dans un temple? Est-ce qu’il veut me faire accéder au nirvana par un raccourci ? Il me fait ensuite faire un petit tour et me montre les différentes sortes de serpents dans leurs buissons respectifs, ce qui me fait penser un peu à des images masquées où quand on a trouvé le premier on trouve les autres plus vite. Ils s’étirent même dans des étagères de bois et autour des porte-manteaux. Pourquoi de tels temples ? Les fidèles font-ils preuve de compassion et d’un amour sans borne pour tous les autres êtres vivants? Ou bien le chemin de l’illumination intérieure doit-il être aussi accessible aux animaux ?
Mon voyage en auto-stop se poursuit malgré le faible trafic, le plus souvent d’un village à l’autre, ce qui me donne l’occasion de visiter presque tous les temples. Le prochain est celui du Bouddha gisant tout en or qui fait plus de 30 mètres de long et me sourit. Il est recouvert d’une énorme halle. Le temple des mille Bouddhas est en même temps un monastère, dans la haute tour duquel doivent se trouver mille statues de Bouddha dans des niches. Tout le complexe est construit sur la pente et ressemble à un parc géant. La voiture suivante me dépose au pied du téléphérique devant le guichet, et je décide de m’offrir un petit luxe. Je monte dans cette cabine dont le plancher à l’intérieur est composé de marches, qui se déplace sur des rails et est reliée par un câble à une autre cabine qui se trouve en haut pour le moment. Elle se met soudain en mouvement en cahotant et croise bientôt l’autre à mi-chemin à un endroit qui permet l’évitement. Je suis à plus de 800 mètres d’altitude au-dessus du niveau de la mer, et au loin je peux voir la terre ferme ainsi que des navires qui mouillent dans l’étroit chenal, tandis que derrière moi se dressent quelques chaines de montagnes recouvertes d’une épaisse forêt vierge. Dans les cimes des arbres s’ébat un clan de singes en poussant des cris stridents.
Le lendemain les étudiants sont de retour. Depuis que je loge ici dehors, la bande de plage ne cesse de rétrécir. Le professeur m’explique que dans trois jours ce seront les grandes marées, que l’eau atteindra son plus haut niveau et fera disparaitre complètement la plage, et que donc il ne me restera plus qu’à aller dormir directement dans la forêt vierge. Le professeur a alors une idée : si je veux, je peux dormir sous le toit du troquet des pêcheurs, car le propriétaire est une de ses connaissances et sera certainement d’accord. Ainsi l’après-midi je prends mes cliques et mes claques et me mets en chemin direction la ‘salle de jeux’. Comme le propriétaire ne veut rien pour l’hébergement, je lui achète du poisson frit pour qu’on ne puisse pas dire que je ne suis pas client. Et quelle n’est pas ma joie d’avoir déménagé en cette nuit à venir ! Un orage tropical qui semble ne pas vouloir s’arrêter, s’abat si violemment que j’ai peur que les éclairs frappent la cabane ou que la tempête la fasse s’envoler en mer !
Le lendemain matin je remarque un grand attroupement dans la crique. Une barque conduite à la rame, du même genre que celle qui avait transporté les poteaux, arrive en marche arrière sur la plage. A la poupe est déposé un filet dont le bout est amené à terre et où il est fixé, pendant que la barque repart à la rame et le tend lentement. Il fait 1,50 mètres de haut et possède sur le haut des flotteurs cousus dans la corde qui le soutient. Il semble légèrement alourdi sur le bas. Pendant qu’un pêcheur le descend doucement dans l’eau, la barque décrit un demi-cercle, et lorsqu’il est complètement tendu, ils ramènent son extrémité vers la plage en ramant, où il est alors pris en charge par les hommes et les femmes qui tirent en même temps les deux extrémités sur la plage. Le filet est suspendu comme un rideau dans l’eau, et oblige les poissons qui se trouvent dans la partie supérieure à nager en direction de la plage. Là les enfants sont déjà dans l’eau jusqu’au ventre et essayent d’attraper les premiers avec des épuisettes. Plus l’espace délimité par le filet est petit, plus l’eau grouille de poissons qui s’enfuient parfois jusque sur la plage. C’est maintenant l’heure de la pêche miraculeuse : les poissons sont attrapés le plus souvent à mains nues et jetés au loin sur la plage, pour que tout se passe le plus vite possible. Là ils sont ramassés facilement, étant donné que leur peau glissante et visqueuse est pleine de sable. J’ai l’impression d’être à une fête foraine, tellement l’ambiance est décontractée ! A la fin tout est partagé.
*
Les pêcheurs me demandent si je veux sortir en mer avec eux pour aller pêcher. Une virée de trente heures en mer, bien sûr que je veux ! Le départ est prévu demain vers midi et le retour le lendemain après-midi ou le soir. Je regarde l’embarcation : elle fait peut-être neuf mètres de long pour trois de large. Partir avec en haute mer ? Très bien, mais qu’est-ce que je fais de mon argent, du billet et des papiers si on coule ou si ce sont des pirates et pas des pêcheurs ? Dans la matinée je vais donc à l’Office de Tourisme où je dépose mes traveller-chèques et le billet du bateau pour l’Australie dans leur coffre-fort, puis je confie mon passeport aux deux amis allemands que j’estime fiables et laisse mon sac à dos au bistrot. Je monte donc à bord en tongs, shorts de gym et chemise, la tenue officielle de travail des pêcheurs de Penang! Avant de démarrer, il faut encore faire le plein de diesel avec un fût qui est roulé par la passerelle jusqu’à l’embarcation, ensuite on aspire avec un tuyau, et la force gravitatoire fait le reste. Un petit camion vient de livrer de la glace que chaque équipage embarque sous forme de blocs de 1m x 0,5 m x 0,25 m, en les poussant sur les planches de l’appontement jusqu’à côté de l’embarcation. Ici on fixe une poulie à un des pilotis, avec par-dessus une corde avec une pince au bout pour descendre le bloc sur le pont du bateau. Pour éviter qu’il ne glisse à cause des mouvements, on le pose sur une natte en fibres de coco. Aussitôt une partie est hachée menu avec une hache, mise dans une grosse toile pour qu’elle ne fonde pas trop vite, et entassée dans les deux petites écoutilles. On procède plus tard de la même façon avec le reste qui étant plus léger à présent, et on le stocke entier. Plus tard on répartit le tout dans les différentes caisses et corbeilles avec le butin de la pêche. L’appontement s’allonge sur une bonne cinquantaine de mètres dans la baie, et permet ainsi aux embarcations de mouiller à l’autre bout aussi par basses eaux. En ce moment il y a une bonne douzaine de bateaux de pêche amarrés, certains par groupes de deux ou trois. Il règne une agitation fébrile, car les équipages préparent tout pour la prochaine sortie, et les enfants contaminés par l’excitation du départ gambadent partout. Pourquoi partent-ils donc tous à la pêche au même moment? Est-ce un moment favorable, un négociant aurait-il un besoin urgent de poissons, ou les embarcations ne sortent-elles et ne rentrent-elles que quand le niveau de l’eau est élevé? Le problème c’est que personne ne parle anglais ! On verra bien…
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