On comprend donc alors que seules des personnes d’une méticulosité extrême peuvent s’y essayer (à condition, quand même, d’avoir pas mal de temps à gaspiller).
Par ailleurs, l’expression n’évoque pas un seul cheveu, mais plusieurs. Autant dire que la méticulosité de l’individu qui coupe les cheveux en quatre doit être extrêmement bien ancrée pour arriver sans craquer à enchaîner l’action sur plusieurs cheveux.
Par extension, à cause de la difficulté de l’exercice qui n’est incontestablement pas à la portée de tous, la locution a revêtu plus récemment le second sens proposé.
Il faut arrêter de couper les cheveux en quatre et regarder les choses simplement. Le président (Nicolas Sarkozy) a utilisé une belle formule. Les Canadiens sont nos amis, au sens le plus fort du terme […]. Et les Québécois sont nos frères, a déclaré M. Fillon dans une interview à TV5Monde.
Agence France-Presse,
La Presse, 19 octobre 2008
107. Ménager la chèvre et le chou
Ménager des intérêts contradictoires.
Le verbe « ménager » est ici pris dans le sens de « traiter avec égards, ne pas déplaire, prendre soin de », comme dans ménager la susceptibilité.
Des esprits éveillés diront que, dans les endroits plutôt secs où on élève des chèvres, il n’y a pas de cultures de choux. C’est vrai, mais qu’importe ? Lorsqu’une chèvre se trouve face à un chou, que fait-elle ? Eh bien, elle le mange !
Si les deux sont ainsi opposés depuis le XIII esiècle (sous la forme « savoir passer la chèvre et le chou [18] Notez que quand le loup est face à une chèvre, cette fois c’est la chèvre qui est mangée. L’expression originale (savoir passer la chèvre et le chou) est une allusion au fameux problème très ancien du paysan qui doit passer de l’autre côté de la rivière et garder intacts un loup, une chèvre et un chou, alors que son frêle esquif ne peut transporter à chaque traversée qu’un seul des trois en plus de lui. Si vous ne la connaissez pas déjà, je vous laisse en trouver la solution.
»), c’est simplement pour montrer la difficulté qu’il y a et l’habileté qu’il faut à une personne pour obtenir que le chou reste intact et la chèvre peu revendicative ou, plus généralement, pour satisfaire deux parties ayant des intérêts opposés.
Michel Arsenault ménageait la chèvre et le chou dans ses conversations au sujet du financement de Carboneutre, une firme infiltrée par la mafia.
Brian Myles — Le Devoir , 30 octobre 2013
108. Les chiens aboient et la caravane passe
1. Formule employée lorsqu’on est sûr de soi et qu’on dédaigne les obstacles que d’autres cherchent à mettre sur notre chemin.
2. Elle s’emploie également lorsqu’on fait semblant de ne pas être atteint par une insulte ou une critique quelconque.
Savez-vous ce qu’est un douar ? Le Robert en donne la définition suivante : « Agglomération de tentes disposées en cercle, que les Arabes nomades installent temporairement. » On peut donc le considérer comme un petit village ; on le rencontre en Afrique du Nord ou dans le Moyen-Orient, d’où provient ce dicton persan.
Peut-être n’est-ce plus le cas, mais autrefois, les douars, principalement des campements nomades, étaient peuplés de quantités de chiens dont le rôle réel n’était pas de servir d’animaux de compagnie (ils étaient considérés comme de viles créatures et leurs maîtres leur jetaient plus volontiers des pierres), mais de donner l’alerte lorsque approchaient des étrangers.
Or, jusqu’au XIX esiècle, ces régions étaient parcourues par de très longues caravanes de chameaux, pouvant comporter quelques centaines de ces animaux bossus qui avançaient en file indienne de leur pas nonchalant.
Lorsque ces longues processions passaient à proximité des douars, elles étaient accueillies par les aboiements des chiens qui s’y trouvaient. Imperturbables du haut de leurs deux mètres, les chameaux ignoraient superbement les chiens et continuaient leur chemin.
Pendant que les chiens aboyaient, la caravane de l’entreprise passait tranquillement son chemin.
Le Figaro — Article du 15 octobre 2007
109. Un chien regarde bien un évêque
1. On ne doit pas s’irriter d’être regardé (par une personne de plus basse condition).
2. Une personne humble doit pouvoir s’autoriser à aborder une personne haut placée.
La célébrité, quelle qu’en soit la cause, impose quelques contreparties. Quand on fait ce qu’il faut pour être regardé, admiré, photographié, il n’y a aucune raison d’en être irrité. Ainsi, si les célébrités refusaient de l’être, la montée des marches au festival de Cannes, par exemple, ne pourrait pas être ce qu’elle est.
Autrefois les pontes de l’Église, dont les évêques, attiraient le regard et la curiosité. Lorsqu’ils passaient dans un lieu, tels des princes entourés de leur cour, les gens modestes devaient baisser les yeux par respect. Mais pas les chiens, pauvres animaux encore plus humbles que leurs maîtres, et incapables de comprendre le pourquoi de ces attitudes imposées. Ceci conduit à considérer que si un chien, forcément de très basse condition, peut s’autoriser à regarder un évêque sans que celui-ci puisse en prendre ombrage, alors n’importe qui devrait pouvoir le faire.
Vous allez me dire : l’image est compréhensible, mais pourquoi un chien et un évêque au lieu d’un chat et un roi [19] C’est vrai, ça, pourquoi ? Puisque dans la version anglaise de l’expression a cat may look at a king , c’est bien un chat qui peut regarder un roi.
, par exemple ? Il n’y a pas de réelle explication, mais le lexicographe Pierre Enckell cite Beroalde de Verville qui, en 1610, écrivait ce qui semble être la première attestation de l’emploi de cette formule : « Un chien aboie bien à la lune, et une chèvre regarde bien un ministre, et un chien un évêque dont moult il s’ébahit. »
Et après tout, un chien regarde bien un évêque, pourquoi un étudiant n’écrirait-il pas à un grand et illustre professeur d’université ?
L’Escume des nuits — Numéro 4, février/mars/avril 2005
Un très mauvais temps.
Le qualificatif « chien » sert à marquer l’excès, comme en témoignent l’humeur de chien, le mal de chien et la vie de chien. Toutes ces locutions reposent sur l’idée que le chien est une sale bête, un animal méchant et méprisable.
Certains musulmans se servaient et se servent toujours de l’injure « chien de chrétien » (ou « chien de roumi » autrefois) pour désigner un Occidental ; Voltaire l’utilise aussi au XVIII esiècle.
En Palestine, au I ersiècle, l’expression « chien de païen » était couramment utilisée, paraît-il. Dans l’Évangile selon Matthieu, il est écrit que Jésus a dit : « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens » et « Il n’est pas juste de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens. »
Autant dire qu’en certains endroits et à certaines périodes, le joyeux aboyeur n’était pas bien considéré.
Sans que ce soit une certitude, il est possible que les expressions avec « de chien » viennent d’une inversion de celles formulées avec « chien de » ou « chienne de ». En effet, on dit aussi « chienne de vie » ou « chien de pays », par exemple. M mede Sévigné, Molière ou Voltaire, encore, utilisaient souvent ces expressions.
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