Jean Maillet - 365 expressions de nos grands-mères

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Jean Maillet connaît ses classiques ! Il part à la recherche des origines parfois surprenantes des expressions préférées de nos grands-mères. Celles qui ont bercé notre enfance et qui nous charment encore aujourd'hui par leur désuétude et leur originalité.
Ethnologue de la langue française, il mène l’enquête au fil des pages pour nous révéler ce qu'était
. Malicieuses, imagées, ces expressions sans âge font encore notre bonheur quotidien et témoignent de la richesse de notre langue. Jean Maillet nous offre ainsi un merveilleux voyage dans l’histoire populaire du français !
Jean Maillet est spécialiste de la langue française, il a publié de nombreux ouvrages dont

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JEAN MAILLET

365 expressions de nos grands-mères

Pour Jean-Pierre RODRIGUEZ,

affectueusement,

au nom de nos valeurs partagées.

Une merveilleuse imagerie lexicale

Seulement les grands-mères, madame Rostaing, c’est comme le mimosa, c’est doux et c’est frais, mais c’est fragile. Un matin, elle n’était plus là.

(Marcel PAGNOL, Naïs)

Les vieux ne meurent pas, ils s’endorment un jour et dorment trop longtemps.

(Jacques BREL, Les Vieux)

Restent de nos grands-mères des souvenirs parfumés qui éveillent des mots ou que des mots éveillent. Ces mots ne sont jamais banals. Ils nous parlent d’un temps certes révolu mais, eux, ne meurent ni ne dorment. Ils continuent de faire vivre longtemps, très longtemps, même quand nous sommes à notre tour devenus vieux, l’enfant qui est en nous.

Manquerait plus que ces mots disparaissent ! Ils sont si pleins de malice et de poésie, d’une expressivité si vive et si vitale dans un monde où la langue s’affadit à mesure que la pensée se délabre ! Ils sont aussi parfois empreints d’une paillardise bon enfant, rarement vulgaire, alors que bien des formules d’aujourd’hui s’avilissent à mesure que les mœurs se corrompent.

Les expressions de nos grands-mères sont d’une inventivité sans cesse renouvelée : elles jouent de l’euphémisme, de l’hyperbole, de la métaphore, de l’ironie, de l’archaïsme, de la métonymie. Il leur arrive même de promouvoir de l’argot ou des régionalismes là où la langue académique manquerait d’éloquence. Elles coulent de source quand la parole moderne se tarit à force d’aller à vau-l’eau. À l’image de la musique dont elles épousent souvent rythmes et mélodies, les expressions de nos grands-mères savent exprimer l’inexprimable. C’est bien pourquoi elles nous enchantent. Revivifions donc ces locutions d’antan : elles méritent de nous survivre. Qui parle de nostalgie ? Il s’agit de renaissance. Qui parle d’obsolescence ? Il n’y a que résurrection, car les mots de nos grands-mères peuvent être des paroles en devenir.

ARGENT

Cracher au bassinet

« C’est toujours aux petites gens de cracher au bassinet ! » La rengaine revenait souvent dans la bouche de grand-mère, pourtant très économe mais dont les revenus, bien trop chiches, ne pouvaient empêcher que fussent douloureuses des ponctions considérées comme bien trop fréquentes. Il faudrait avoir « la bourse au roi de Chine », disait-elle, réinterprétant à sa façon le patronyme du célèbre banquier britannique.

Cracher au bassinet , c’est donc donner de l’argent mais à contrecœur. L’expression, apparue au XIX esiècle, a remplacé cracher au bassin , que l’on trouve dès le XVI esiècle, d’abord dans les Contes et discours d’Eutrapel de Noël du Fail (1585), juriste et écrivain breton : « […] vous cracherez dans le bassin tout ce que vous avez jamais humé et dérobé, comme faisait l’empereur Vespasien, qui disait ses receveurs ressembler une éponge […] ». Au moins Du Fail proposait-il dans ce même ouvrage une manière de consolation puisque, selon lui, « […] quand la bourse s’est rétrécie, la conscience s’élargit ». En parlant de « ce que vous avez dérobé », Du Fail rattache l’expression à l’origine étymologique que lui attribueront Noël et Carpentier en 1831 dans leur Philologie française ou Dictionnaire étymologique . Il s’agirait d’une locution employée à la cour des Miracles « dans le langage des gueux et des filous » qui devaient « venir déposer dans un bassin qui était placé aux pieds du chef suprême [le Roi de Thunes ou Grand Coëre], l’offrande ou rétribution à laquelle chacun des membres de leur société était tenu ». La même Philologie française fait aussi allusion à « ces aumônes qu’à certains jours solennels on ne peut honnêtement se dispenser de faire en jetant par compagnie quelque pièce d’argent dans le plat des marguilliers ». Le verbe cracher , employé seul, a eu dès le XV esiècle le sens argotique de « parler » (cf. infra Tenir le crachoir à quelqu’un On a vu que cracher eut, dès le XV e siècle, le sens populaire de « parler, dire [21] » (voir supra , cracher au bassinet ) et, plus précisément, « dire de manière affectée et méprisante » : « Maistre Florentin Teste-molle, / Crachant tousjours loy ou chapistre […] » (Guillaume Coquillard, L’Enquête d’entre la simple et la rusée , v. 887, 1478). Cette équation linguistique entre cracher et « parler » (comme entre « baver » et « bavarder ») explique le sens de tenir (ou conserver ) le crachoir : « garder la parole sans laisser à son interlocuteur la possibilité de placer un mot ». Bien que le mot crachoir existe au moins depuis Rabelais (« Fiantoient au fiantoir, pissoient au pissoir, crachoient au crachoir, toussoient au toussoir […] » ( Tiers livre , ch. XV, 1546), l’expression tenir le crachoir à quelqu’un ne semble pas antérieure au XIX e siècle, l’une des premières attestations figurant en 1846 dans le Dictionnaire des mots les plus usités dans le langage des prisons , supplément à un ouvrage écrit par un détenu anonyme : L’Intérieur des prisons . On peut penser qu’elle devint encore plus familière lorsque, dans les années 1890, les premières lois furent votées interdisant de cracher dans les lieux publics, lieux qui furent, dès lors, équipés de crachoirs. , tenir le crachoir ) puis « faire des aveux », notamment sous la contrainte, avant de signifier « payer », donner de l’argent de mauvaise grâce se révélant aussi pénible que d’avouer ce que l’on aurait voulu garder secret.

Au prix où est le beurre

Le beurre fut longtemps considéré comme un produit de luxe réservé aux nantis (l’huile également, bien que dans une moindre mesure). Les pauvres, eux, devaient souvent se contenter de saindoux (graisse de porc fondue) pour faire leur cuisine. Le beurre est ainsi devenu dans bien des expressions le symbole de l’argent, de l’aisance, du profit, voire de l’abondance, comme mettre du beurre dans les épinards , « améliorer ses revenus », faire son beurre , « réaliser de bons bénéfices », vouloir le beurre et l’argent du beurre (et la crémière par-dessus le marché) , « ne pas vouloir choisir entre deux profits opposés », l’assiette au beurre , « source de profits plus ou moins honnête et souvent liée au pouvoir politique », etc. Dans au prix où est le beurre ! , il devient une sorte de référence pour exprimer la cherté de la vie, l’exclamation venant toujours à propos pour clouer le bec à l’enfant gâté qui, passant devant l’une de ses vitrines préférées, quémande bonbon ou joujou :

« Dis, grand-mère, tu veux bien me l’acheter ? Regarde, c’est pas cher ! » Et l’aïeule de répliquer : « Ben voyons, au prix où est le beurre ! »

Paradoxalement, l’équation « beurre = argent » est contredite dans compter pour du beurre , « être considéré comme une quantité négligeable ». L’expression, probablement issue de jeux enfantins, semble se rattacher à une autre, plus ancienne, ne pas vendre son beurre , signifiant « faire tapisserie » en parlant d’une jeune fille qu’aucun danseur ne vient inviter dans un bal : « Manquer un quadrille, faute de cavalier, c’est une véritable humiliation pour une personne qui n’est pas trop disgraciée par la nature. À S…, on appelle cela (passez-moi l’expression ) ne pas vendre son beurre . Quand une jolie femme a eu le malheur de “ne pas vendre son beurre”, il faut qu’elle y pense au moins huit jours entiers avant de s’en consoler. » (E. Dupré, Le Docteur Caritan in Revue contemporaine , 1857).

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