OCDE —
Perspectives économiques en Afrique 2007/2008
86. Vouloir faire passer un chameau par le chas d’une aiguille
Tenter quelque chose d’impossible ou d’extrêmement difficile.
Cette expression nous vient de loin, puisqu’il faut remonter au Christ pour en connaître l’origine.
Selon la Bible, à cette époque, il était un homme riche qui respectait scrupuleusement tous les commandements et souhaitait donc ardemment obtenir la vie éternelle, mais qui refusait de partager ses biens avec les pauvres, montrant ainsi son attachement profond aux biens matériels et montrant également que le renoncement à la richesse était difficile, voire impossible.
C’est à propos de ce riche que Jésus dit : « Je vous le dis, il est plus aisé pour un chameau d’entrer par le trou d’une aiguille, que pour un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » (Évangile selon saint Matthieu, XIX, 24.)
Cela dit, les propos du Christ, tels qu’ils sont généralement transmis par les apôtres, étant plus que mesurés, une telle comparaison paraît grossière. C’est pourquoi d’autres interprétations de ce qu’aurait prononcé Jésus ont été proposées. En effet, là où, dans le texte de l’Évangile, certains lisent « kamelos » (soit « chameau »), d’autres voient « kamilos » (soit « câble »). L’image n’est plus du tout la même, le câble n’étant jamais qu’un gros fil, ce qu’on ne peut pas vraiment dire du chameau.
On se rapproche donc déjà plus d’une tentative un peu moins désespérée d’arriver au but recherché, puisqu’un petit câble peut passer à travers le chas d’une très grosse aiguille, pour peu qu’on ait les deux à portée de main.
L’autre interprétation indique qu’il aurait existé à Jérusalem une porte d’entrée appelée le chas de l’aiguille beaucoup trop petite pour qu’un chameau bâté puisse y passer. Alors, il se peut qu’une traduction imparfaite du texte ait donné « chas de l’aiguille » au lieu de « trou de l’aiguille ». Et Jésus aurait évoqué une comparaison alors devenue acceptable et compréhensible.
Une autre idée abstraite pourrait être représentée par quelques-uns des innombrables symboles de l’Écriture, exemple : le trou d’aiguille à travers lequel le chameau est incapable de passer.
Antonin Artaud —
Le Théâtre et son double — 1938
87. Appuyer sur le champignon/ conduire le champignon au plancher
Accélérer ; conduire à toute vitesse.
Mais si cette expression argotique est utilisée principalement dans le monde automobile, c’est bien parce qu’elle en provient très directement, et ce, depuis la première moitié du XX esiècle.
En effet, aujourd’hui, les pédales de nos véhicules motorisés (accélérateur, frein, embrayage) sont généralement des plaques plus ou moins recourbées ; mais il faut se souvenir qu’autrefois, lorsque les premiers véhicules automobiles sont apparus, et pendant longtemps, la pédale d’accélérateur était constituée d’une tige métallique droite surmontée d’une demi-boule, l’ensemble ressemblant beaucoup à un champignon.
Alors celui qui voulait monter à l’ébouriffante vitesse de 80 km/h devait impérativement appuyer à fond sur le champignon de son bolide pour y arriver. Et lorsque le champignon était complètement enfoncé, en butée proche du plancher du véhicule, on conduisait « le champignon au plancher ».
Cette expression s’emploie aussi maintenant hors du monde des véhicules motorisés, lorsqu’il est question d’accélérer quelque chose, de « passer à la vitesse supérieure ».
Des prunes, j’en prends beaucoup. […] Bon, comme, en plus, j’avais tendance à appuyer sur le champignon sans vraiment m’en rendre compte, je viens d’acheter un régulateur de vitesse.
Libération — Article du 24 février 2010
88. Devoir une fière chandelle
Avoir une grande dette de reconnaissance envers quelqu’un.
Si quelqu’un vous sauve de la noyade ou vous empêche par tous les moyens d’aller assister à un exposé philosophique de Jean-Claude Van Damme, vous lui devez obligatoirement « une fière chandelle ».
« Fier » a ici le sens de « grand », « fort » ou « remarquable ». Quant à la chandelle, elle vient du cierge qu’il fallait autrefois obligatoirement allumer à l’église en témoignage de reconnaissance. À la fin du XVIII esiècle, on disait que quelqu’un devait une fière chandelle à Dieu lorsqu’il avait échappé à un grand péril.
Je dois aussi une fière chandelle à M. Williams sans lequel je n’aurais jamais pu faire cette merveilleuse expérience. S’il n’avait pas cherché à sauver sa peau comme il l’a fait, je n’aurais pas connu les joies du paradis.
Gore Vidal —
Myra Breckinridge — Robert Laffont — 1970
89. Le jeu n’en vaut pas la chandelle
1. Cela n’en vaut pas la peine.
2. Cela coûterait plus cher que cela ne rapporterait.
On trouve une forme très proche de cette expression au XVI esiècle. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque l’électricité n’existait pas encore et que ceux qui s’adonnaient aux jeux (cartes, dés, etc.) devaient s’éclairer à la chandelle, considérée comme un objet de luxe. Il était d’ailleurs d’usage, dans les endroits modestes, que les participants laissent quelque argent en partant pour dédommager du coût de cet éclairage. Et lorsque les gains étaient faibles, ils ne couvraient même pas le prix de la chandelle.
Lostec est tenté d’explorer les poches du défunt, mais des bribes de catéchisme lui reviennent en mémoire. Garder son job pour nourrir ses six enfants est, tout de même, prioritaire. Et puis, voler de l’argent à un mort porte la poisse. Le jeu n’en vaut pas la chandelle.
Michel Renouard —
Terminus Montparnasse — Éditions Jean-Paul Gisserot — 2006
1. Assister à des ébats amoureux, sans y participer.
2. Être seul avec un couple trop occupé et se sentir de trop.
Imaginez-vous au début du XIX esiècle, lorsque l’électricité et les lampes de chevet n’existaient pas. Vous êtes de la haute société et avez bien entendu du personnel de maison.
La nuit est là. Les chouettes ululent dans le lointain. Les escadrilles de moustiques se repaissent de votre sang. Soudain, malgré les boutons qui vous démangent, vous êtes pris d’une envie pressante de batifoler dans le lit conjugal, avec votre moitié ou votre illégitime, mais surtout pas dans le noir. Que vous reste-t-il à faire ? C’est très simple : vous appelez à la rescousse un de vos employés pour qu’il vous tienne un chandelier à proximité du lit pendant vos ébats.
Ce scénario était bien une réalité d’autrefois, le valet ou la soubrette devant bien sûr se tenir le dos tourné.
Et c’est bien là l’origine de cette expression, d’autant plus que, comme il s’agissait de relations amoureuses, il fallait y ajouter les sous-entendus érotiques d’une chandelle bien verticale.
Dans certaines cultures ou certains milieux (royaux, par exemple) où la virginité féminine devait être préservée jusqu’au mariage, le porteur de chandelle tenait un tout autre rôle. Cette personne de confiance devait éclairer le drap pour vérifier la présence de sang prouvant que la mariée était bien vierge.
De nos jours, celui qui « tient la chandelle » se sent de trop en compagnie d’un couple.
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