Métaphoriquement, le mot a pu être employé dans l’idée que les percepteurs prélevaient sur les contribuables à la manière dont un tailleur travaille la matière, retranchant certaines de ses parties. D’ailleurs, pour désigner un contribuable, on disait alors un taillable .
Le taux de la taille pouvant être fixé de manière arbitraire et la nature des corvées dépendant du bon vouloir du seigneur, on a accolé aux mots de la soumission l’expression à merci soulignant ainsi que les serfs étaient dans la dépendance totale, à la « merci » de leurs maîtres.
La société féodale ayant disparu, la corvée, la taille comme la gabelle furent abolies en France à la Révolution. Pourtant, l’exploitation subsiste et l’expression, qui a traversé les siècles, est toujours vivante.
À titre d’exemple
« Il y avait des garçons que tout le monde pouvait frapper — taillables et corvéables à merci. D’autres dont on pouvait se moquer ; certains qu’il suffisait d’appeler par un sobriquet pour les voir quitter la partie et disparaître. »
Mouloud Feraoun,
Le Fils du pauvre, 1954.
sur le lieu du travail, au travail
Sur le tas se dit de pratiques qui s’ajustent à une situation concrète de travail plus qu’elles ne répondent à des protocoles. L’expression s’applique en particulier à l’apprentissage d’un métier au contact des professionnels. Faut-il comprendre que ces contacts se multipliant, ils finissent pas former ce tas qu’on appelle communément l’expérience ? Pas exactement.
L’origine du mot tas n’est pas certaine. Considéré parfois comme un emprunt au mot néerlandais désignant un amas de blé, ce mot est aussi rapproché de la famille du latin stare « se tenir debout, immobile ». Depuis son apparition, le mot tas évoque l’amas, l’accumulation, évoluant vers l’idée de grande quantité ( des tas : « beaucoup »).
À la Renaissance, le mot est passé dans le vocabulaire de la construction. Le terme tas de charge renvoie à la masse de pierre sur laquelle prend appui l’arc d’une voûte. Toujours en architecture, tas a aussi servi à désigner la masse d’un ouvrage de pierre en construction, et, de là, le chantier sur place. Dans ce contexte, la taille qui s’effectue sur le tas, et non pas dans l’atelier, se fait à l’endroit même où les pierres vont servir à édifier les murs.
L’expression s’est appliquée à tout type de travail, et l’apprentissage, la formation « sur le tas » se font de manière improvisée, par observation et expérimentation. Sur le tas évoque dès lors le lieu du travail, quel qu’il soit, ce qui explique la fortune de l’expression en argot, où l’on peut mettre une fille sur le tas, en l’occurrence sur le trottoir, ou se faire prendre sur le tas, c’est-à-dire en flagrant délit.
S’il est vrai que c’est en forgeant qu’on devient forgeron, les travailleurs ont appris qu’il est parfois efficace, pour obtenir son dû, de faire grève sur le tas !
À titre d’exemple
« On apprenait le boulot sur le tas, en regardant faire les anciens qui n’étaient pas avares en coups de pieds au cul. »
Gérard Boutet,
Paroles de nos anciens, 2013.
je reconnais mon erreur
Voilà bien une situation ironique : on emploie l’expression au temps pour moi afin de reconnaître qu’on s’est trompé, et aussitôt, on se voit accusé de commettre une faute d’orthographe…
En effet, cette expression, familière pour l’Académie française, est le plus souvent écrite sous la forme autant pour moi . Elle se comprend alors comme une manière concise de dire « j’ai commis autant d’erreurs que vous » ou « je me suis trompé et mérite autant que vous d’être sanctionné ». L’explication, séduisante, ne correspond pas à la vérité. L’Académie reconnaît que cette graphie « est courante aujourd’hui, mais rien ne la justifie ».
L’emploi du mot temps — du latin tempus, au sens de « durée » — loin d’être fautif, s’explique pourtant. Au temps ! est un commandement propre au langage militaire. Prononcée au cours d’un exercice de maniement des armes, lorsqu’une faute a été commise ou qu’un mouvement a été mal exécuté, l’expression ordonne la reprise du mouvement au temps précédent ou depuis le début.
On lit ainsi sous la plume de Courteline, observateur amusé des mœurs de la caserne : « Recommencez-moi ce mouvement-là en le décomposant. Au temps ! Au temps ! » (Le Train de 8 h 47) . C’est dans ce sens que s’entend également au temps pour les crosses (ordre donné quand les crosses de fusil ne sont pas retombées en même temps) durant les répétitions de prises d’armes.
Au sens figuré, l’expression permet de concéder la nécessité de reprendre un raisonnement où une erreur a été constatée, et signifie qu’on va reconsidérer les choses depuis le début.
On voit quel faux problème pose cette double graphie, et au temps pour moi, pourtant impeccable, est souvent tenue pour fautive. À ceux qui redouteraient d’employer cette expression, craignant la faute, on peut donner ce conseil : facilitez-vous la tâche en optant pour la formule latine mea culpa !
À titre d’exemple
« Un peu plus tard, il avait fait une erreur dans un raisonnement délicat et il avait dit gaiement : Au temps pour moi . »
Jean-Paul Sartre,
Le Mur, 1939.
à bon droit, avec fondement, raison
Du titre de transport au champion qui défend son titre en passant par le titre d’un film, on s’y perd. De quel titre s’agit-il dans cet à juste titre, qui signifie « avec raison, à bon escient* » (autre bizarrerie) ?
Le mot titre provient du latin titulus qui avait le double sens d’« inscription » et de « distinction (par le rang, le statut) ». Il désignait à l’origine une affiche ou un écriteau porté au bout d’un bâton dans les triomphes militaires et sur lequel étaient inscrits en gros caractères le nombre de prisonniers et les noms des villes prises.
Si le mot titre a conservé en français les valeurs d’inscription et de désignation honorifique, il a pris de nombreux autres sens. Dès le XIII esiècle, titre désigne en effet ce qui établit un droit, et particulièrement un écrit conférant le droit à une possession, une dignité ou une fonction. Furetière nous rappelle que le titre de noblesse est l’« acte authentique par lequel on prouve son droit, sa noblesse ». Et nous parlons toujours de titres de propriété ou de titres de séjour .
Ce sens a donné naissance aux expressions à bon titre, à juste titre, « à bon droit », « légitimement », étant entendu que la personne qui agit à juste titre est reconnue comme étant fondée à agir de la sorte. De même, l’interrogation à quel titre ? revient à demander de quel droit on a agi.
Et c’est à juste titre qu’on peut s’interroger sur le sens précis des mots qu’on emploie spontanément, dans des expressions qui auraient bien besoin de sous-titres.
À titre d’exemple
« Persicaire haïssait la “mesure française”. Il estimait, à juste titre, que notre langue est la plus apte aux poèmes, la plus propice à tirer juste, la plus cruelle, la moins poétique, en un mot. »
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