Le mot possédait plusieurs significations : comme adjectif, il renvoya d’abord à l’idée de valeur, de ce qui vaut beaucoup. Il s’est ensuite employé pour « valant, ayant la valeur de », d’où notre expression qui signifie littéralement « ne pas avoir un sou qui ait de la valeur ».
Vaillant s’appliqua ensuite a une personne qui a du courage. Au Moyen Âge, on prénommait les petits garçons Vaillant, et prince Vaillant est toujours admiré. D’un soldat valeureux, on disait au XVII esiècle, « il est vaillant comme l’épée qu’il porte ». Avec le temps, le mot est devenu littéraire ; on lui préfère aujourd’hui les adjectifs courageux ou brave . De nos jours, vaillant s’emploie en effet plutôt pour qualifier une personne qui a de l’ardeur au travail, ou une personne malade ou âgée qui est cependant capable d’agir. Mais on continuait à employer l’adjectif pour la valeur financière, au point que le vaillant, nom masculin, désigna à la fin du Moyen Âge l’ensemble des biens que l’on possède, le capital.
« Un sou est un sou », disent les Français, mais certains sous, de mauvais aloi*, valent moins que d’autres. La bonne monnaie a de la valeur, alors que, comme l’a dit La Rochefoucauld dans ses Maximes, « ce n’est pas toujours par valeur alors que les hommes sont vaillants ».
À titre d’exemple
« Cet homme eut assez de courage pour prendre notre tuilerie à bail sans avoir un denier vaillant. »
Honoré de Balzac,
Le Médecin de campagne, 1833.
risquer le tout pour le tout, recourir aux derniers moyens
Lorsque l’on se trouve dans une situation difficile, qu’on se sent acculé, il peut arriver que l’on doive payer d’audace et faire appel à des moyens ultimes, tenter sa dernière chance. Cela peut s’appeler jouer son va-tout .
Des moyens aussi radicaux évoquent le joueur invétéré qui, pour se refaire, doit recourir à des solutions extrêmes. Le terme va-tout apparaît ainsi sous la plume de Madame de Sévigné, qui appartenait à une société dans laquelle le jeu, et en particulier les jeux de cartes, occupaient une place importante. C’est bien à l’univers des cartes que cette expression figurée doit son origine : au sens propre, elle veut dire « tout miser en une seule fois ». On risque gros dans l’espoir de ramasser autant, de sortir d’une mauvaise passe.
Jouer ou risquer le tout pour le tout ou encore jouer sa dernière carte sont des expressions synonymes également empruntées au même domaine. Ainsi, dans jouer le tout pour le tout, le second tout de la formule désigne au départ la troisième partie, la « belle », où le joueur jusqu’alors malchanceux décide de risquer dans un dernier coup tout ce qu’il a perdu.
Va-tout présente une forme étrange, mais son cas n’est pas unique. On trouve la même construction avec une forme du verbe aller dans va-t-en-guerre, manière imagée de nommer une personne belliqueuse, ou dans la locution adverbiale à la va-vite . Ce va-tout est à mettre en relation avec à tout va, « sans limite », aujourd’hui très courant, qui vient de la formule utilisée dans les casinos pour indiquer que la mise n’est pas limitée ou que l’argent sur le tapis est remis en jeu.
Transposée de la table de jeu à la vie quotidienne, l’expression gagne en intensité. Elle nous rappelle que dans la vie, qui ne hasarde rien n’a rien !
À titre d’exemple
« Mais si les gouvernements sont assez fous pour jouer leur va-tout et risquer la ruine totale, plutôt que de céder. »
Roger Martin du Gard,
Les Thibault, L’Été 14, 1936.
se perdre, se désorganiser, péricliter
Bien étrange, ce vau sans e, qui n’a aucun rapport avec l’enfant de la vache. Comme le latin valles ou vallis, dont il provient, le val ( vau dans l’ancienne langue) est une forme de paysage : une zone plus basse entre deux plus élevées. Mais il se trouve que dans ces vaux coule et court de l’eau, qui se déplace selon la pente et vient de plus haut, autrement dit des monts. Alors, le val change de sens et suit celui du cours d’eau. Vers le mont, à mont, c’est non seulement plus haut, mais aussi avant. À val, c’est plus loin, après, vers le fleuve et, par le fleuve, vers la mer.
Aval, « en suivant la pente », s’est prononcé avec un l voyelle, quelque chose comme vaw, écrit vau au XVI esiècle : on dit alors à vau de route « en dévalant la pente » ( dévaler, c’est encore val ), mais aussi à vau de vent, à vau de pays et à vau-de-l’eau . Seule cette manière de parler a survécu, on ne sait pourquoi. Si l’expression avait gardé son sens concret, « descendre un cours d’eau dans le sens du courant », elle n’aurait peut-être pas survécu. Mais elle suggérait à la fois la descente, d’où l’échec, et le laisser-aller. Ses contenus exprimaient la crainte d’un risque universel, celui d’être entraîné et impuissant dans une évolution désastreuse.
Oubliant qu’on peut descendre sportivement et très activement des rapides en kayak, l’expression dénonce le laisser-aller et l’échec de ceux qui dévalent la pente. À vau-l’eau est le titre d’un roman pessimiste et réaliste de Huysmans. Avec le verbe aller, cette expression qui joue le rôle d’adverbe fait partie des façons de dire l’échec et la passivité devant les difficultés de la vie.
À titre d’exemple
« Ni le lendemain, ni le surlendemain, la tristesse de M. Folantin ne se dissipa ; il se laissait aller à vau-l’eau, incapable de réagir contre ce spleen qui l’écrasait. »
Huysmans,
À vau-l’eau, 1882.
à travers tout le pays ; de tous côtés, partout
Les monts ne sont pas en relation obligée avec les veaux. Avec les vaux, un peu plus. Moins banal que montagne, mont inclut toute élévation de terrain, de la colline à l’Himalaya. Le contraire, ou plutôt le complémentaire des monts, ce sont les plaines et les vallées. De même que l’usage a privilégié montagne sur mont, il marque une préférence pour vallée par rapport à val .
De ces quatre mots, seul val change de forme, lorsqu’on prononce son pluriel. On peut hésiter entre val de Loire et vallée de la Loire, mais au pluriel, on n’a plus le choix : les Vaux-de-Cernay . L’avantage de n’avoir qu’une syllabe donne à mont et val, au pluriel monts et vaux, l’occasion de représenter par une expression rapide la totalité de la surface terrestre, hormis celle des eaux. Parcourir montagnes et vallées est descriptif et clair, mais nous préférons dire par monts et par vaux, plus vif, plus dansant peut-être, exprimant mieux les errances, les surprises du voyage sans but précis.
L’association de ces deux monosyllabes, monts et vaux, a eu, vers les XV eet XVI esiècles, un succès remarquable pour exprimer la totalité : promettre, faire croire, jurer les monts et les vaux, faire les monts et les vaux, autrement dit, « la totale ». Pour « monter et descendre », et même « aller et venir », c’était aller à mont et à val, ou à val et à mont. Ne (ni) mont ni val, c’était « rien du tout ». Parfois, le mot plaine remplaçait val, mais, allez savoir pourquoi, c’est le val puis les vaux qui ont gagné la partie.
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