Et on a continué à aller par monts et par vaux, autrement dit en amont comme en aval. Façon imagée de parcourir un monde sans villes, sans pollution et sans autoroutes. Précieux souvenir.
À titre d’exemple
« Il allait par monts et par vaux, cherchant périls et aventures, il traversait d’antiques forêts, de vastes bruyères, de profondes solitudes. »
Chateaubriand,
Le Génie du christianisme, 1802.
Jeu(x) de main,
jeu(x) de vilain(s)
les jeux de main finissent presque toujours mal
Quel parent ne l’a pas dit un jour à des enfants agités, pressentant que le chahut allait dégénérer en bagarre ? Des enfants qui se battent sont des garnements qu’il est tentant de traiter de vilains . Pourtant cet adjectif ne détient pas la clé de cette mise en garde.
Il faut remonter à l’époque médiévale et à l’organisation féodale qui distinguait deux catégories de paysans, les serfs et les vilains, seuls ces derniers étant de condition libre. C’est cette paysanne au jupon troué, moquée par des militaires, que chantait Brassens : « Les sabots d’Hélène Étaient tout crottés Les trois capitaines L’auraient appelée vilaine ». Habitant la campagne, le vilain s’oppose au bourgeois des bourgs, devenus des villes, et, roturier, il s’oppose au noble titré.
Vilain vient du latin villanus, de villa « ferme, domaine agricole ». Le latin disposait de deux autres mots pour désigner les habitants de la campagne. Paganus, qui donnera païen, parce que les habitants des campagnes étaient aux yeux de l’Église obstinés dans leurs croyances anciennes. Rusticus, de rus « campagne » nous a donné rural, rustique et rustre. Rustre, rustaud, et vilain partageaient l’idée de brutalité, de grossièreté, opposée à l’urbanité supposée des habitants de la ville (urbs) .
La bassesse a été associée au comportement des manants qui utilisaient leurs poings pour vider leurs querelles alors que les nobles, les seigneurs, autorisés à manier l’arme blanche, s’affrontaient lors de duels ou de tournois. Le mépris social injuste a fait que vilain est allé qualifier ce qui est laid, moralement ou physiquement.
À l’opposé des jeux vulgaires des campagnards, on a dit, à la suite du jardinier de La Fontaine, ce sont jeux de prince lorsque les puissants se divertissaient en satisfaisant leurs caprices au mépris des humbles, des faibles, jeux de vilains ou jeux de prince, chacun tient son rôle dans la comédie humaine, et le plus « vilain » n’est pas celui qu’on croit.
À titre d’exemple
« Sur la terre il n’aimait pas “chahuter” avec son fils. “Jeux de mains, jeux de vilains”, disait-il. »
Paul Guth,
Mémoires d’un naïf, 1953.
donner des indications, aider à trouver
C’est la pierre de Rosette qui mit Champollion sur la voie de l’interprétation des hiéroglyphes. Le policier cherche l’indice, le médecin le symptôme qui le mettra sur la voie, qui l’aidera à trouver la solution. On peut penser qu’il s’agit du cheminement de la pensée qui conduit à la lumière. Cette fausse piste vous égarera, vous fourvoiera…
La voie dont il est ici question appartient au vocabulaire de la chasse à courre et désigne depuis le XIII esiècle les signes, trace odorante ou empreintes, qui témoignent du passage d’un animal et renseignent la meute lancée à sa poursuite. Comme le rappelle Furetière dans son Dictionnaire, « En termes de chasse on appelle voies, l’endroit par où le gibier a passé, quand on le suit à la piste, ou par l’odeur ou l’impression qu’il a laissée dans l’air. On a remis les chiens sur les voies . La voie se dit particulièrement du cerf. »
Dans la chasse « à cor* et à cri », on appelle attaque le moment où les chiens sont mis sur la voie de l’animal. Lorsqu’ils perdent cette voie, ils sont mis en défaut ; cela peut se produire par une ruse du cerf qui revient sur ses traces et brouille sa piste, ou lorsque le gibier donne le change* . Les chasseurs recommandent la « curée chaude », sur les lieux de la mort, ordonnée par le commandant au cri de hallali : une partie de la bête est laissée aux jeunes chiens pour leur apprendre à goûter la voie de l’animal.
Cette voie, ce chemin à suivre, peut se perdre, si les chiens sont à bout de voie . On peut de même s’écarter du droit chemin lorsque la raison s’égare. Le substantif latin via qui a donné voie, est à l’origine de plusieurs verbes exprimant cet écart à la norme. On peut dévier, se fourvoyer ou se faire dévoyer, l’essentiel est de finir par trouver sa voie !
À titre d’exemple
« Dans la malle, si on l’ouvrait, il n’y a rien de suspect ? rien qui puisse intriguer la police ou la mettre sur la voie ? »
Jules Romains,
Les Hommes de bonne volonté, t. I, 1932.
choisir avec le plus grand soin
Il y a bien longtemps que les volets ne volent plus. Au Moyen Âge, les archers envoyaient sur l’ennemi des volets : le mot signifiait « flèche ». Et nous disons encore « une volée de flèches ». Autre volet disparu, celui qui flottait au vent, un bout d’étoffe ancêtre du bavolet et surtout des volants .
L’idée première du vol en l’air s’affaiblit lorsqu’on parla de volets pour des panneaux de bois qui étaient mobiles, mais restaient sagement fixés. En effet, on peut ouvrir et fermer ces volets que nous connaissons encore, mais pas les lancer.
Un emploi de volet, cependant, resta associé à ce qu’on pouvait lancer « à la volée » : c’est celui sur lequel, en secouant bien fort, on triait de petits objets, des graines par exemple. Cette espèce de tamis ou de van pour vanner, lui-même léger, fut associé à l’envolée de ce qu’on triait en le secouant, pour éliminer la paille ou diverses impuretés.
Trier sur un volet était une opération rurale simple, courante mais apparemment efficace, puisque à partir du XVI esiècle — par exemple dans Rabelais — l’expression s’emploie au figuré pour « choisir le meilleur ». Cependant, les volets modernes servant à protéger les fenêtres et à intercepter la lumière, ils n’ont rien à faire avec le choix minutieux et la sélection du meilleur. Ce qui fait que ce qui est trié sur le volet est peu compréhensible, sinon en imaginant une trieuse à volets, machine qui reste à inventer !
À titre d’exemple
« Les expéditions vers Tahiti étaient composées à dessein d’intellectuels éminents, triés sur le volet, de savants, de fervents lecteurs de l’ Encyclopédie . »
Jean-François Revel,
La Connaissance inutile, 1988.
faire naître la discorde, les disputes
Zut, zinzin, zigzag, zigouigoui… Nombre de mots qui commencent par un z ont quelque chose d’amusant, d’exotique, de curieux. Mais d’où vient zizanie, synonyme de discorde ? Le verbe semer qui l’accompagne pourrait bien être un indice.
C’est au Moyen Âge que s’est francisé le latin zizania, lui-même pris au grec zizanion, l’ivraie, cette graminée nuisible qui envahit les champs de céréales. Rapidement, zizanie prend les sens figurés de « méchanceté » et de « discorde ». En latin chrétien, ce fut le symbole de la jalousie. La valeur métaphorique de cette mauvaise herbe est déjà présente, en grec puis en latin, dans les Évangiles.
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