— Block a fait l’imbécile. Il est parti jouer les détectives privés à Bangkok, histoire de prouver les matches truqués. Il n’est pas passé inaperçu, avec ses allures de tantouze, à se déhancher au milieu du cartel du jeu. Ils ont attendu qu’il rentre à Paris pour s’occuper de lui. Les tueurs ont été identifiés. Ils ont quitté la France, mais ils ont été repérés en Espagne. Leur arrestation ne devrait pas tarder. C’était un simple contrat pour eux, on n’arrêtera jamais les commanditaires.
La boucle était bouclée, trois morts, trois assassins, trois mobiles.
Nous avions terminé notre verre en silence.
À côté, le Premier ministre proposait de licencier le roi, de former une république et de devenir président.
Witmeur m’avait proposé de relancer en me défiant du menton.
Le patron vint déposer les deux Bush.
Witmeur avala la sienne en deux traits et m’encouragea à en faire autant.
— Magne-toi, la nuit n’est pas finie, on a encore du travail.
— Du travail ?
— On rentre sur Bruxelles, je dois enregistrer ta déposition avant minuit.
— Vous plaisantez ? Je suis à moitié saoul.
— Et alors ? Moi aussi. Ça ira plus vite.
Il se leva et chancela.
Je devais mieux tenir l’alcool que lui. Nous sortîmes du bistro et il me tendit les clés de la voiture.
— Je vais pisser. Tiens, prends le volant, c’est plus prudent.
Il partit se soulager dans le caniveau et j’en fis de même.
Nous arrivâmes tant bien que mal à destination vers une heure du matin.
Une préposée et un flic en uniforme somnolaient dans le local de garde. Une odeur de soupe à la tomate prenait à la gorge, un néon en fin de vie clignotait au plafond et un haut-parleur invisible crachotait les messages que s’échangeaient les voitures de patrouille.
Witmeur salua ses collègues et me pria de le suivre. Nous montâmes dans son bureau.
— Assieds-toi.
Il ouvrit une armoire chargée de dossiers et y prit un classeur volumineux. Je notai que mon nom était inscrit au marqueur bleu sur la couverture, suivi d’une série de lettres et de chiffres.
— Bon, voyons ce qu’il y a là-dedans.
Le ton de sa voix s’était durci.
Je jouai au naïf.
— C’est mon dossier ?
— Je le crains.
Il chaussa une paire de lunettes et se mit à feuilleter le dossier en énumérant les chefs d’accusation.
— Déclarations mensongères, délit de fuite, non-assistance à personne en danger, faux et usage de faux, abus de confiance, non-présentation à une convocation judiciaire, usurpation d’identité, dissimulation de preuves, faux témoignages, entrée et séjour illégal dans un pays souverain, stationnement interdit, excès de vitesse.
Je l’interrompis.
— Excès de vitesse ?
Il releva la tête.
— 147 kilomètres-heure, le mercredi 24 août à 15 h 39, sur la E40, entre Ostende et Bruxelles.
— Soit.
— Violation de domicile, insultes à un agent de la force publique dans l’exercice de ses fonctions.
— Insultes ?
Il souleva ses lunettes.
— Tu m’as dit d’aller me faire foutre.
— J’étais en colère.
— Conduite en état d’ébriété.
Je m’insurgeai.
— C’est quoi, cette histoire ? Conduite en état d’ébriété. Quand ça ?
— Ce soir.
— Vous rigolez ?
Il referma le classeur.
— Dans quelques jours, le scandale des matches truqués éclatera et tu deviendras une star. Tu feras la une des canards, tu seras un héros. Le lieutenant Barnès aussi.
Je vis une ouverture.
— Vous aussi, dans quelques jours, vous pourriez devenir un héros.
Il leva un sourcil.
— Ah bon ? Pourquoi ?
— J’ai quelque chose pour vous. Un paquet. Je vous offre la possibilité d’arrêter un gros trafiquant.
Je lui relatai le marché que j’avais passé avec Rachid et lui fis part de l’échange de colis.
Il parut intéressé.
— Qu’est-ce qu’il y a dedans, à ton avis ?
— Faux papiers, diamants, héroïne, je ne sais pas. Du lourd en tout cas.
— File-le-moi, je vais le faire ouvrir par le labo.
— Il est en bas, dans ma valise.
— OK, on y va.
Il se leva.
D’un geste, il expédia le classeur dans la poubelle.
— Ce qu’on peut pondre comme paperasse.
Je me levai à mon tour, sous le coup de l’émotion.
— Merci, monsieur Witmeur.
Il me répondit en m’adressant un clin d’œil.
Une information que j’avais laissé passer me revint.
— À propos, qui est ce Barnès dont vous parliez ?
— Cette. Lieutenant Christine Barnès, elle travaille au Service central des courses et jeux de Nanterre. Ça fait quatre ans qu’elle fait le sous-marin pour piéger les truqueurs de paris. Tu la connais mieux sous le nom de Christelle Beauchamp. On s’en jette un petit dernier avant d’aller dormir ?
Véronique passa la tête par la porte de mon bureau.
— Monsieur Witmeur est arrivé.
— Merci, Véronique. Faites-le entrer.
Il avait eu raison.
Durant une semaine, les journaux belges n’avaient parlé que de moi et de mes exploits.
J’étais passé à la radio et au journal de vingt heures. J’étais devenu une star, un héros, un demi-dieu. J’avais élucidé les meurtres de Nolwenn Blackwell, de Richard Block et de Shirley Kuyper. De plus, de manière indirecte, j’avais permis le démantèlement d’une filière de paris illégaux et de trucages en tous genres. Mes voisins me saluaient avec déférence, les femmes minaudaient sur mon passage, mes confrères se réjouissaient de cette heureuse tournure et une marque de café soluble m’avait proposé d’apparaître dans une de leurs publicités.
De son côté, tenue par son devoir de réserve, le lieutenant Barnès était restée muette. Seuls quelques communiqués officiels relataient avec sobriété les grandes lignes de l’enquête.
En fin de semaine, j’avais pris l’initiative de l’appeler sur son portable.
— Bonjour, lieutenant Barnès, c’est Hugues Tonnon.
Sa réponse avait claqué.
— Capitaine. Capitaine Barnès.
— Pardonnez-moi. Toutes mes félicitations, capitaine.
— Merci. Comment allez-vous, monsieur Tonnon ? On dirait que les choses s’arrangent pour vous.
Sa voix s’était radoucie et je m’étais quelque peu détendu.
— En effet. C’est d’ailleurs pour cette raison que je vous appelle. Je tenais à vous remercier pour l’aide que vous m’avez apportée au cours de cette histoire. Sans vous, je ne sais pas comment je m’en serais sorti.
Elle avait marqué une pause.
— Je n’ai fait que mon travail. Pour être honnête, vous aussi, vous m’avez bien aidée. Sans vous, je n’y serais pas arrivée. Je serais sans doute encore occupée à tourner en rond.
Comme le climat me semblait favorable, je m’étais jeté à l’eau.
— Je voulais aussi vous présenter mes excuses pour ce qui s’est passé, capitaine. Je suis impardonnable, j’ai profité de la situation, je me suis laissé aller à mes plus bas instincts. J’aurais dû me contrôler. Croyez bien que je regrette mon attitude.
Le silence qui avait suivi mon mea culpa m’avait paru interminable.
— Hugues ?
— Oui ?
— J’accepte vos excuses.
J’avais poussé un soupir de soulagement. En plus des remords sincères que j’éprouvais, l’idée de me faire attaquer en justice par un officier de police pour agression sexuelle me taraudait depuis que j’avais appris sa véritable identité.
— Je vous remercie.
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