Je me redressai.
L’appartement était calme et silencieux. Malgré cette tranquillité apparente, je pressentais un danger sans pouvoir en déterminer la cause.
Un léger craquement se fit entendre. Je patientai quelques secondes, les sens en alerte. Le bruit se renouvela. Je compris qu’il était à l’origine de mon réveil et du sentiment d’insécurité qui m’envahissait.
Je tendis l’oreille et tentai de le localiser. Il se reproduisit. Il ne provenait pas de l’appartement, mais de la porte d’entrée.
Je me levai et m’approchai sur la pointe des pieds. Au moment où je l’atteignais, le craquement retentit à nouveau, plus présent, plus sonore, plus menaçant. Je reculai d’un pas et vis avec effroi que l’encadrement de la porte tremblotait.
Mon cœur bondit hors de ma poitrine. Quelqu’un tentait de forcer la serrure au pied-de-biche.
Je me retournai pour repérer mon téléphone. Il n’était nulle part. Je me rappelai que Christelle Beauchamp l’avait emporté dans sa chambre.
La porte vibra de plus belle.
D’un regard circulaire, j’explorai le salon à la recherche d’une arme de fortune.
Un parapluie était accroché sur le rebord d’une commode. Je fis quelques pas et m’en emparai. Au passage, je saisis le sac de couchage et l’enroulai en partie autour de mon avant-bras en vue de me protéger d’une éventuelle attaque au couteau.
Je fis face à la porte, gorgé d’adrénaline.
Un long grincement résonna et la serrure céda. Des particules de bois volèrent dans le salon et la porte s’ouvrit à la volée.
Un homme fit irruption.
Je ne l’avais jamais rencontré, mais il ne m’était pas inconnu.
Le teint mat, les cheveux embroussaillés, le front ruisselant, il était plus grand que je ne l’aurais imaginé. Outre sa taille et sa carrure imposante, l’énorme pistolet qu’il braquait sur moi m’impressionnait au plus haut point.
Roberto Zagatto.
En quelques fractions de seconde, les dernières pièces du puzzle se mirent en place. Je revis le joueur de football à la télé.
Un buteur n’est rien sans son passeur.
Je me rappelai ce que Christelle Beauchamp m’avait dit.
À Johannesburg, Nolwenn a passé plus de temps seule dans sa chambre qu’avec Zagatto.
Enfin, tel un flash, je me souvins qu’elle m’avait également confié qu’un soir, Zagatto était venu chez elle avec Nolwenn.
Les détails qui m’avaient échappé.
Les détails qui allaient tout faire basculer.
Les détails qui allaient me coûter la vie et celle de Christelle Beauchamp.
Je tentai de crier, en vain. Une balle de golf était coincée dans ma gorge.
Zagatto avança d’un pas. Une haine mêlée de surprise se lisait sur son visage.
Il ne se posa aucune question. Un obstacle se dressait sur son chemin et il fallait le surmonter.
Ce sont des footballeurs, ces types-là, pas des génies.
Sans un mot, il leva le bras et dirigea le canon de son arme dans ma direction.
— Lâche ton arme, écarte les bras et allonge-toi sur le ventre.
Je ne réalisai pas immédiatement que ce n’était pas Zagatto qui avait parlé, mais une voix vaguement familière qui avait éclaté dans son dos.
Zagatto ouvrit de grands yeux, hésita un instant, puis lâcha son arme.
Je jetai un coup d’œil derrière lui et vit apparaître Witmeur.
Il avait enfilé un gilet pare-balles. L’épaule agressive, le regard belliqueux, il tenait à deux mains un pistolet pointé sur le footballeur. Il pénétra dans le salon, aussitôt suivi par une colonne d’hommes armés équipés comme lui de gilets pare-balles.
Il s’adressa une nouvelle fois à Zagatto.
— Allonge-toi par terre, les mains derrière le dos, et joue pas au héros.
Des flics n’en finirent pas d’entrer dans le salon. Ils devaient être une dizaine.
L’un d’eux s’empara d’un talkie-walkie et éructa.
— C’est bon, on le tient, flag, appelle Kees et dis-lui qu’ils peuvent arrêter l’autre.
Zagatto s’allongea sur le ventre et mit les mains derrière le dos. L’un des flics intervint, posa un genou dans son dos, pendant qu’un autre lui passait les menottes.
Witmeur observait la scène d’un air entendu.
Lorsqu’il estima que tout danger était écarté, il se tourna vers moi.
Je pris conscience que j’étais à moitié nu, cloué sur place, pétrifié, brandissant le parapluie d’une main, le sac de couchage de l’autre.
Witmeur secoua la tête.
— Dites-voir, Tonnon, vous ne croyez pas que vous avez passé l’âge de jouer à Gladiator ?
Witmeur conduisait, j’étais assis à la place du mort.
Il était de guingois, tourné en partie vers moi, l’air buté, une main sur le volant, son épaule récalcitrante fendant la route.
Il était près de vingt-deux heures. Nous avions quitté Paris deux heures plus tôt et je venais de vivre l’une des journées les plus éprouvantes de cet été calamiteux.
Après l’arrestation musclée de Zagatto, le policier français qui semblait diriger les opérations était allé réveiller Christelle Beauchamp. Elle était apparue quelques minutes plus tard, habillée, l’air frais et dispos. Elle m’avait à peine accordé un regard et avait continué à discuter à mi-voix avec le flic.
Curieusement, elle n’avait paru ni surprise ni choquée de découvrir le chaos qui régnait dans son appartement. Une dizaine d’hommes armés papillonnaient dans son salon. Plusieurs d’entre eux téléphonaient à voix haute. Les autres tournaient en rond, la mine sombre.
Witmeur se pavanait avec ostentation au milieu de la scène tel un matador après l’estocade finale. Zagatto était affalé à ses pieds, dépité, menotté, vaincu.
Lorsque ce dernier avait vu entrer Christelle Beauchamp, il avait eu un sursaut de dignité.
— Je te jure que tu me le paieras, sale pute.
Elle était restée de marbre.
Comme s’ils n’attendaient que ce signal, une partie des policiers avait quitté la pièce en embarquant le footballeur.
Une demi-heure plus tard, l’un d’entre eux m’avait emmené au commissariat central du quinzième arrondissement, rue de Vaugirard. Christelle Beauchamp avait fait le trajet dans une autre voiture. À notre arrivée, le policier m’avait intimé l’ordre de m’asseoir dans le couloir. Celui qui avait conduit Christelle Beauchamp l’avait priée de le suivre en multipliant les formules de politesse.
Je ne savais s’ils me considéraient coupable, suspect, complice ou simple témoin. En tout cas, ils ne m’avaient pas passé les menottes.
Malgré l’heure matinale, l’effervescence régnait dans les locaux. De temps à autre, une porte s’ouvrait, un flic sortait, un autre entrait. Des bribes de conversations s’échappaient.
J’avais passé deux heures assis dans le couloir sans que personne ne s’inquiète de mon sort. Vers neuf heures, un planton m’avait offert un café lyophilisé et un croissant qui goûtait le pétrole.
Vers dix heures, un policier était venu me chercher, m’avait fait entrer dans un bureau, m’avait posé l’une ou l’autre question avant de me renvoyer à mon banc.
J’étais persuadé qu’ils en faisaient de même avec Christelle Beauchamp pour recouper nos dires. À la lueur des informations qu’ils recherchaient, j’avais déduit qu’ils étaient occupés à cuisiner Roberto Zagatto et qu’ils essayaient de reconstituer le puzzle.
J’avais subi un second interrogatoire, puis un troisième. De questions en réponses, le scénario de la nuit avait commencé à se dessiner.
La première partie de mon plan avait fonctionné. Comme je l’espérais, la police belge avait mis Tipo sur écoute. Juste après l’appel de Christelle Beauchamp, ce dernier avait alerté Zagatto. Je ne sais au juste ce qu’ils s’étaient dit, mais Zagatto avait embrayé séance tenante.
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