Paul Colize
L’avocat, le nain et la princesse masquée
Le mariage est la principale cause de divorce.
Sans le premier, le second n’aurait jamais vu le jour. L’affaire se limiterait à une séparation assortie de quelques larmes ou de vagues reproches. La vie reprendrait ensuite son cours et chacun poursuivrait son chemin la tête haute.
Un coup de gueule fielleux ou un suicide avorté viendrait de temps à autre troubler l’ordre des choses, mais ce ne seraient que des cas isolés.
Il n’y aurait pas ces discussions orageuses, ces règlements de comptes miteux, ces débats houleux, ces polémiques sordides, ces déballages impitoyables et ces vaines tentatives de réconciliation. Il n’y aurait ni palabres interminables, ni négociations nauséeuses pour la garde du chien ou la répartition de la vaisselle.
Sans mariage, le divorce n’existerait pas, j’aurais fait autre chose de ma vie et je n’en serais pas arrivé là.
— Vous ne trouvez pas ça scandaleux ?
Nolwenn Blackwell était plantée devant moi, les jambes écartées, les seins menaçants, la minirobe en tension maximale.
Comme tout un chacun, j’avais eu l’occasion d’apprécier sa plastique à la télévision, en particulier lors de ses démêlés médiatiques avec son footballeur. Néanmoins, la voir virevolter en chair et en galbe dans mon bureau me faisait plus d’effet que je ne l’aurais imaginé.
Je fis glisser mes demi-lunes sur le bout de mon nez et la dévisageai.
— Vous savez, madame, dans mon métier, nous assistons tous les jours à des choses scandaleuses, étonnantes ou cocasses.
Plus récemment, je l’avais vue minauder au bras de sa dernière conquête pendant la finale du tournoi de Roland-Garros. Enlacés dans leur loge, ils guettaient les caméras en se bécotant comme des collégiens. Au début du mois de juillet, sa conquête était devenue son futur conjoint.
— Des choses cocasses ? Vous plaisantez ? Un homme qui vous trompe avec une prostituée aux yeux de tous ? Vous trouvez ça cocasse ?
Au début du mois, un paparazzi avait immortalisé son fiancé alors qu’il batifolait avec une stripteaseuse au bord d’une piscine dans une villa tropézienne.
De fait, je trouvais la chose cocasse.
— Non, bien entendu, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire.
Elle lança les bras en l’air.
— De quoi ai-je l’air ? Nous étions censés nous marier. Les tabloïds sont déchaînés. Je suis la risée de la planète.
Elle n’avait pas tort.
En revanche, annoncer sa décision de rompre les fiançailles à la une de la presse people sans en informer le principal intéressé n’était pas l’approche la plus habile pour tempérer la verve journalistique.
D’un geste théâtral, elle posa une main sur sa poitrine.
— Moi, Nolwenn Blackwell, la risée de la planète !
Le visage meurtri, elle s’assit, prit sa tête entre ses mains et se mit à pleurer.
Au début de ma carrière, ce genre de réaction me désemparait. J’exprimais ma compassion, je leur offrais des Kleenex, je leur proposais quelque chose à boire.
Avec l’expérience, j’ai compris que cela ne servait à rien.
À présent, j’attends la fin de l’averse. Quand la scène perdure, je marque des signes d’impatience, je soupire, je toussote, je regarde l’heure.
Ils récidivent rarement.
Leurs larmes ravalées, je leur sers mon discours habituel.
Un divorce doit être appréhendé comme un business. C’est une affaire comme une autre. Du commerce. Du marchandage. Aucune négociation ne se gagne dans l’émotion.
En règle générale, les femmes embraient, certaines deviennent de redoutables businesswomen. Les hommes préfèrent lâcher du lest et cracher au bassinet, pour autant qu’on leur fiche la paix. Ils ont suffisamment à faire avec la gamine qui remplace leur épouse et monopolise leur énergie.
Je m’abstins de le préciser, convaincu qu’elle le voyait comme tel.
Je l’observai à la dérobée.
Nolwenn Blackwell était le premier top model belge à avoir embrassé une carrière internationale. Mannequin dès ses treize ans, elle avait défilé pour les plus grands couturiers alors qu’elle en avait à peine dix-sept. Son mètre quatre-vingt-cinq, sa longue chevelure blonde, ses grands yeux verts striés d’or et ses formes avantageuses avaient ensorcelé les responsables de casting les plus retors.
À dix-neuf ans, elle avait quitté le plat pays et s’était installée à New York. Une publicité géante sur Times Square avait fini de forger sa réputation. Elle y apparaissait en tenue légère pour vanter une nouvelle gamme de croquettes pour chiens.
Entre une séance de photos et deux défilés, elle avait séduit Roberto Zagatto, un international de football argentin qui évoluait dans un club de pointe anglais. Six mois plus tard, leur relation avait pris fin par insultes interposées dans la presse à scandale.
Au début de l’année, elle avait jeté son dévolu sur Amaury Lapierre, un capitaine d’entreprise de trente ans son aîné qui lui arrivait au menton, riche héritier d’un grand groupe industriel français et ami personnel de qui on sait.
Après que la vidéo d’une interview confession qui versait dans une mièvrerie pitoyable eut créé le buzz sur Internet, l’opinion publique s’était émue ; le petit Amaury avait-il la carrure suffisante pour diriger un groupe de vingt mille personnes qui pesait plus de deux milliards d’euros en Bourse ?
Son conseil d’administration lui avait recommandé de se montrer plus réservé ou d’officialiser sa relation, d’autant que son addiction pour le poker et les jeux de hasard avait déjà défrayé la chronique quelques années auparavant.
Elle releva la tête et essuya ses larmes.
— Je me sens trahie, outragée, bafouée.
J’ôtai mes lunettes.
— Pourquoi être venue me voir ?
Elle se moucha.
— Vous êtes le meilleur.
Je pressentais cette réponse, mais dans sa bouche, elle prenait fière allure. Il est vrai qu’en quinze ans de carrière et plus de cinq cents divorces, j’avais connu peu de revers.
Je m’éclaircis la voix et pris un ton conciliant.
— Je vous remercie, madame, mais vous n’êtes pas encore mariée, que je sache.
Mariée, l’affaire eût été un jeu d’enfant.
Elle avait été gravement offensée par le comportement outrancier de son époux, comportement qui rendait impossible toute poursuite de la vie commune. Il m’aurait suffi de plaider la désunion irrémédiable, de débattre le prix et d’établir ma note d’honoraires.
— Je suis sûre que vous pouvez faire quelque chose. On m’a dit que vous trouveriez une solution.
À l’origine, je ne me destinais pas à cette spécialité. Je rêvais de devenir la diva du pénal, je voulais défendre la veuve et l’assassin.
Le sort en a décidé autrement.
À la fin de mes études de droit, j’avais ouvert mon propre cabinet au lieu de rejoindre une grande association comme l’avaient fait la plupart de mes camarades.
Après une traversée du désert et quelques loyers impayés, j’avais reçu la visite d’un homme en instance de divorce. La procédure s’éternisant, il envisageait de réclamer des dommages et intérêts à sa future ex-épouse pour absence de vie sexuelle. L’homme se déclarait dans l’impossibilité de poursuivre une vie normale, son statut de catholique pratiquant l’empêchant d’avoir des relations sexuelles hors mariage.
Son avocat lui avait ri au nez.
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