Ayant fouillé Ferroud, comme je vous l’ai dit précédemment, j’ai mis la main sur une carte grise portant votre adresse. Alors, me voilà.
Je me tais, épuisé, la salive cotonneuse… Je boirais bien un petit coup histoire de mouiller la meule. Ma parole, j’ai la gorge tellement sèche que si je crachais, il y aurait un nuage de poussière…
Le Carmoni se lisse les cheveux du plat de la main, puis il écrase son somptueux mégot dans un cendrier de cristal massif.
— Pourquoi êtes-vous venu ?
— Parce que je suis sur le sable et qu’un type comme vous a toujours de l’emploi pour un type comme moi !
— Vous croyez ?
— La preuve en est que vos archers sont de tout petits garçons. Je les ai possédés sans qu’ils aient eu le temps de lever le doigt, et pourtant, c’étaient eux qui me faisaient une courette !
J’ai souri.
— Et puis je trouverais marrant qu’ayant été engagé pour vous buter, je me range sous votre bannière du fait de la mort de l’homme qui voulait votre perte.
— Parlons de lui, dit Carmoni, comment est-il ?
Je regarde Carmoni.
— Allez-vous prétendre que vous ne le connaissiez pas ?
— Je ne le connaissais pas !
— Vieux ! Cheveux blancs, moustache blanche, l’air triste… Un pif en forme de banane… Ça ne vous dit rien ?
— Non…
S’il mentait, il cachait bien son jeu, car il semblait réellement très surpris.
Il fronçait les sourcils comme un homme qui fouille désespérément dans sa mémoire avec l’espoir de découvrir une image…
— Bertrand ! ai-je répété… Il avait, paraît-il, un cabinet d’affaires à la Bourse…
Mais il ne voyait toujours pas.
— Et vous dites que son cadavre se trouve rue Falguière ?
— Oui… Deuxième cave sur la gauche…
Il a appuyé sur un bouton. Un tableau représentant une peinture de primitif a basculé, découvrant une niche qui contenait un téléphone blanc. Décidément, il avait la manie du bignou-clandé ; c’était son vice secret, au Rital.
Il a composé un numéro… De ma place, j’ai entendu grésiller la sonnerie chez son correspondant. Enfin une voix a grommelé :
— Oui…
— Bunk ?
— Oui…
— Arrive !
Il devait avoir l’habitude qu’on lui obéisse car il a raccroché sans ajouter un seul mot. Il a remis l’appareil en place, a refait basculer le tableau…
Puis il a ouvert un meuble et a tiré une bouteille de whisky. Il me l’a désignée :
— Servez-vous !
Lui-même a saisi un jus de fruits et l’a bu à la bouteille tout en réfléchissant.
— Dites, Carmoni…
Il a levé un sourcil.
— J’aimerais bien que vous m’affranchissiez à votre tour…
Mais à sa moue, j’ai vite pigé que le genre explicatif n’était pas le sien.
— D’après moi, ai-je murmuré, vous venez de vous faire feinter par un de vos zèbres, c’est pas ça ?
Il a haussé les épaules.
— Pourquoi ?
— Parce que c’est un de vos seconds qui est installé rue Falguière, n’est-ce pas ?
— Et après ?
— Et c’est ce second toujours qui a buté Bertrand. S’il ne vous en a pas parlé, c’est qu’il avait ses raisons…
Carmoni a glissé la bouteille de jus de fruits vide dans le petit meuble. Moi, j’ai vidé ma rasade de rye… Ça manquait un peu de glace, mais c’était bon à licher tout de même avec la pépie que je tenais.
— C’est à travers votre gars que le Bertrand vous en voulait à mort… M’est avis que vous avez été fabriqué.
Je me suis tu. Il était devenu tout gris. La colère bouillonnait dans ses veines et c’était pas beau du tout à contempler. Quand il se filait en renaud, il devait y avoir du branle-bas sur le pont !
— Vous ne m’avez pas répondu quant à mon offre d’emploi ?
Ça a fait diversion. Il m’a regardé attentivement. Je crois que son examen m’a été plutôt favorable car il a paru se détendre un peu.
— Quelles sont vos prétentions ?
— Elles sont subordonnées à vos propositions… éventuelles. Pour tout vous dire, j’aimerais pouvoir souffler un peu et ne pas sursauter dès que j’aperçois une silhouette. J’ai idée que vous êtes tabou côté poulaillerie… J’aimerais me reposer un peu dans votre ombre, vous comprenez ? Et si je pouvais me faire quelque artiche par la même occasion, vous m’en verriez ravi. Je sais bien que j’ai foutu un peu la pagaïe dans votre circuit, mais je suis persuadé que vous êtes le genre d’homme capable de pardonner de telles peccadilles à un garçon plein de bonne volonté. Par ailleurs, ces désagréments sont compensés par la découverte que je viens de vous faire faire !
Il s’est mis à marcher de long en large sur ses peaux d’ours. Sa robe de chambre et son pyjama bâillaient, découvrant une poitrine velue.
— J’aimerais savoir comment on m’a filé le train ?
Il a haussé à nouveau les épaules.
— Un homme va venir… Je tiens à avoir une conversation avec lui. Vous interviendrez le moment venu…
— O.K.
— C’est lui qui habite rue Falguière… Il avait repéré votre voiture et nous a prévenus de ce qui se passait chez Gérard. J’ai mis deux de mes hommes sur vous en les chargeant de vous amener ici, je tenais à vous interroger…
— Vous voyez, j’ai pris les devants…
— Après me les avoir descendus… Je tenais à l’un d’eux…
— Je serai un meilleur auxiliaire…
— Nous verrons… Vous tenez vraiment à entrer à mon service ?
— Assez ! Je ne peux décemment pas postuler à un emploi aux Assurances Sociales !
A cet instant, une petite tenture en peau de tigre s’est écartée et une ravissante personne a fait son entrée dans la pièce… Elle n’avait pas vingt ans et ressemblait à Marina Vlady… Elle était belle, saine, blonde, avec de longs cheveux. Terriblement appétissante. Elle portait une chemise de nuit en nylon presque transparent.
Ses grands yeux clairs étaient purs et candides… Quand elle marchait, on ne pensait plus à rien d’autre qu’à la regarder. Elle m’a jeté un furtif coup d’œil.
— Eh bien, Paul, que se passe-t-il ?
Le visage du caïd s’est adouci.
— Laisse-nous, mon rat…
— Tu en as pour longtemps ?
— Oui, va te coucher…
— Je ne peux pas dormir !
— Eh bien, lis !
Elle m’a regardé de nouveau, d’un petit air curieux. Ses yeux étaient flous et d’un bleu tendre… Elle était sensationnelle. J’avais déjà vu des pin-up, mais jamais elles ne m’avaient donné ce sentiment de pureté, d’infinie fraîcheur… Cette fille, c’était une statue vivante de la jeunesse… Il ne s’embêtait pas, le droguiste !
Elle est repartie par où elle était venue, et j’ai suivi avec avidité sa croupe aux lignes affolantes.
— Mes compliments, n’ai-je pu m’empêcher de murmurer à l’adresse de Carmoni.
Les hommes sont toujours flattés par les remarques de ce genre.
Il a un peu rosi. Peut-être était-ce un compliqué… Pour avoir des mains aussi petites, il ne devait pas être très normal.
Un léger grésillement a retenti comme je me versais une nouvelle rasade de gnole. Une lampe de chevet s’est allumée toute seule à deux ou trois reprises.
— Voilà mon homme, a dit Carmoni… Videz votre verre et passez dans la pièce à côté… Je vous appellerai en temps opportun.
J’ai obéi… Et avec d’autant plus d’enthousiasme que la fameuse pièce à côté était celle où se trouvait la petite déesse affriolante.
Il m’a conduit jusqu’à la tenture.
— Tiens compagnie une seconde à Monsieur, Merveille !
Elle était lovée sur un lit bas recouvert d’une courtepointe rose. Elle a rejeté ses cheveux en arrière. Ses yeux étaient humides comme ceux d’une biche.
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