Il fallait attendre…
Le type s’est approché de la 2 CV, à demi courbé.
Il me croyait toujours à l’intérieur de la voiture et se protégeait d’une bastos éventuelle derrière l’aile gauche de son gros tombereau.
Enfin il a eu un coup de cran et s’est redressé.
D’un bond il a été à cinquante centimètres de moi ; dos tourné. Ma main réchauffait la crosse du pétard… Je transpirais sur ce morceau d’acier… La détente me chatouillait le bout de l’index. Ça m’aurait fait bougrement plaisir de lui balancer le potage !
Ce qui m’a retenu c’est vraiment un sursaut de volonté, ou plutôt une notion aiguë du danger que j’encourais en agissant de la sorte.
J’ai attendu, retenant mon souffle afin de ne pas signaler ma présence. Il a ouvert la porte de la 2 CV d’un mouvement brusque. Puis il a juré et a appelé :
— Hé ! Alexis !
L’autre lourde de la calèche s’est entrouverte. Je ne pouvais apercevoir le personnage qui en sortait.
— Quoi ? a-t-il demandé.
— Il n’est pas là !
L’autre a juré aussi.
— Il a filé !
— Comme un lièvre… Il a fait vite, cet enfant de salaud, je te jure !
— Faut qu’on le retrouve, mec !
— Oui…
— Il n’est pas loin, il y a du grillage tout le long de l’autoroute, pour le franchir c’est midi !
— Il s’est peut-être planqué dans le fossé.
Mes doigts se sont incrustés dans la crosse de l’arme.
S’ils me braquaient dessus trop brutalement une lampe électrique je ne pourrais plus les viser…
A cet instant une bagnole pleine de phares a débouché au sommet de la rampe. Les deux gars se sont trouvés comme illuminés. On eût dit qu’ils trônaient au milieu de la vitrine d’un grand magasin, ou bien qu’ils se déguiseraient en châteaux de la Loire (saison d’été).
J’ai pu contempler le Grand au pardingue en poils de chameau, et un autre, plus petit, au visage rond, aux yeux bridés. Peut-être un Chinois ? En tout cas, il n’y avait personne d’autre dans leur bagnole. C’était une constatation réconfortante.
La voiture les a dépassés. C’était le moment d’agir pendant qu’ils étaient éblouis par les phares.
J’ai ajusté, le Chinois, car c’était le plus éloigné et je ne voulais pas lui laisser le temps de se jeter derrière sa grosse tire après mon premier coup de feu. C’est un réflexe qu’ont tous les truands lorsqu’ils entendent une détonation, fût-ce l’éclatement d’un pneu.
J’ai visé soigneusement et pressé sur la détente. Ça n’a pas traîné. On se serait cru dans un manège forain, lorsque le petit guignol en contreplaqué bascule. Ma cible est tombée raide. Ç’a été si instantané qu’une fraction de seconde j’ai cru l’avoir raté et qu’il me faisait un grand coup de chiqué. Pourtant, à la façon dont il se tordait par terre, on comprenait bien qu’il avait son compte.
J’ai ajusté l’autre. Mais il n’avait pas de rhumatismes articulaires. Le temps que je modifie l’angle de tir de mon pétard et il avait le sien en pogne.
Je suis allé au plus pressé. Je lui ai tiré dans la manette. Il a hurlé et son feu est tombé. J’ai alors visé sa poitrine, mais je n’avais pas pris garde au compte des bastos en magasin et mon outil n’a émis qu’un ridicule ricanement.
J’ai bondi, tête-boule ! Il m’a pris en plein poitrail. Il a fait « Ouf » et s’est répandu sur le tapis-brosse !
Alors j’ai bondi sur l’autre gnard qui venait de restituer sa petite âme à qui de droit et je l’ai traîné dans le fossé. S’agissait pas qu’une guindé, en arrivant, capte un tel spectacle, dans la clarté de ses calbombes ! Heureusement, c’était le point de l’autoroute où les deux voies ne sont plus parallèles et où un monticule boisé les sépare. Ça me permettait de n’avoir à gaffer que d’un seul côté.
Une fois le petit chinetock dans le fossé, j’ai mis le feu de position de la 2 CV… Ainsi, jusqu’au jour on ne remarquerait rien. On penserait que la tire était en panne. Puis j’ai empoché le feu du grand poil de chameau. Restait le plus duraille… J’ai soulevé l’autre fumelard par les ailerons et l’ai chargé à l’avant de la guindé.
Je me suis mis au volant… Comme ça c’était tout de suite plus réconfortant… J’avais une fameuse accumulation de puissance dans la pédale d’accélération…
J’ai continué ma route à bord de la belle ricaine, avec le grand zig par terre sur le plancher de la bagnole, comme une superbe descente de lit.
Je ne savais pas exactement pourquoi je lui accordais un sursis. J’aurais eu meilleur compte de lui placer une praline dans le plafond et de l’envoyer rejoindre son coéquipier.
Pourquoi l’épargnai-je ? Certainement pas par bonté d’âme !
La route est devenu plus molle sous moi. Je conduisais à toute vibure, en surveillant mon petit ami du coin de l’œil.
Lorsque je suis parvenu à la hauteur d’Orgeval, je me suis senti un peu perplexe… Fallait décider, et décider vite… Je n’avais plus envie de fuir. La bagarre dont je venais de triompher avec tant de facilité m’avait foutu dans le bain et ça me plaisait vachement de retrouver les bonnes castagnes de toujours…
Sans presque l’avoir décidé vraiment, j’ai fait demi-tour et emprunté la piste de retour sur Pantruche. J’ai conduit à folle allure jusqu’à la dérivation de Versailles. Une fois à ce croisement, j’ai grimpé la rampe de sortie et obliqué à droite, tout de suite après le pont surplombant l’autoroute… Le chemin en question traversait une maigre agglomération et piquait à travers un champ cerné par des grillages robustes et hauts. Entre ce grillage et l’autoroute, s’étendait une langue de forêt… On allait être bien pour discuter le coup, mon copain poils-de-chameau et ma pomme !
J’ai stoppé dans la touffeur des arbres… Le sol était jonché de feuilles mortes, humides… Une puissante odeur d’humus prenait au nez. C’était bon à renifler.
J’ai secoué le gars…
— Hé, feignant ! ne joue pas au con, lève-toi !
Il n’a pas répondu… Ça m’a filé en renaud parce que je me doutais bien qu’un coup de boule dans le buffet ne pouvait pas l’avoir mis K.O. si longtemps… Donc il trichait !
J’ai donné la lumière et alors j’ai pigé. La balle que je lui avais cloquée dans la patte pour lui faire lâcher son feu avait sectionné son poignet et il s’était complètement vidé de son sang. Y en avait plein la bagnole ! Une drôle de calamité ! Le zig était mort comme on ne peut pas imaginer qu’un type le soit. D’une blancheur Persil intégrale, je vous promets. Il ne me restait plus qu’à l’évacuer en vitesse de la tire.
C’est ce que j’ai fait… Ils allaient avoir une réelle surprise, les gnaces qui, demain, quitteraient Paname pour venir caramboler une dame dans la feuille automnale. Une surprise de qualité ! J’ai largué par la même occase le tapis-brosse garnissant le plancher. Heureusement le raisin du gars n’avait pu le traverser et j’ai restitué un peu de netteté à cette malheureuse voiture.
Il ne me restait plus qu’à fouiller mon zigoto pour lui piquer la carte grise car heureusement, c’était lui qui conduisait, tout à l’heure ! J’ai trouvé les fafs de la bagnole et ceux de ma victime. Le colosse s’appelait Antonin Ferroud, il avait vu le jour à Montélimar… Maintenant il ne le verrait plus nulle part…
Il n’avait que dix sacs sur lui, mais c’était toujours bon à encaisser sur droit de péage pour l’au-delà ! Je me suis octroyé cette vaisselle de fouille sans barguigner.
Parvenu dans la guindé, j’ai eu la curiosité de lire la carte grise. Elle était libellée au nom de Paulo Carmonicci… Ça m’a filé une terrible secouée dans la moelle épinière. Carmonicci, ça voulait dire Carmoni pour les dames… Je tenais le vrai blaze de cette ordure !
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