Frédéric Dard - Un tueur

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Un tueur raconte à la première personne du singulier l'épopée sanglante d'un criminel sans envergure devenu tueur.
Un tueur élégant comme on n'en fait plus, ne succombant à rien si ce n'est au charme vénéneux des femmes et qui, les yeux voilés de rouge et la mort dans la peau, finit par attendrir sa proie à commencer par nous, lecteurs.
Kaput, c'est l'odyssée de ce tueur vers la pente fatale du crime.
C'est aussi une pièce majeure sur le chemin de Frédéric Dard vers la reconnaissance littéraire et populaire qui est la sienne aujourd'hui.
Qualifiés de « mémoires du désespoir » par son auteur à l'époque de leur publication dans les années 1950, les textes originaux des Kaput sont désormais réunis dans ce livre sous le titre
.

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Comme se parlant à elle-même, elle a ajouté :

— Il est ivre… Il n’a pas la moindre trace de coups… On croira qu’il s’est saoulé et qu’il est tombé à l’eau… L’essentiel est que tu ne participes pas à… à la chose. Il faut veiller à ta sécurité, Robert… D’autres peuvent te reconnaître. Tu le vois, les journaux ne meurent pas comme les feuilles de calendrier, ils redeviennent du papier lorsqu’ils sont périmés… Et le papier subsiste longtemps…

C’était quelqu’un…

CHAPITRE XI

J’attendais au bord de la petite crique dont avait parlé ma souris. La route était presque déserte à cette heure de la journée. Seuls, parfois, de gros routiers passaient en faisant trembler ma voiture.

A l’arrière, Bouboule roupillait comme un sonneur de cloches, les genoux repliés, la tête en bas.

Ça faisait près d’une demi-heure que je poireautais au bord de la mer, les châsses froissés par l’ondulation de l’eau.

La Méditerranée était ce jour-là d’un vert phosphorescent avec des franges d’argent qui incitaient à la poésie. Mais je ne me sentais pas en forme pour jouer les Lamartine. J’attendais Herminia et son esquif et, en la guettant, je pensais à ce qu’elle allait faire…

Je n’avais pas encore bien digéré son offre d’emploi. Qu’une petite aventurière comme elle accepte de vivre avec un homme recherché pour meurtre se concevait à la rigueur. Mais qu’elle se propose gentiment pour aller filer dans la grande tasse un zig qu’elle ne connaît pas, alors là j’avais un drôle d’aperçu sur la complexité féminine.

Il y a du monstre dans chaque femme. Herminia évidemment prétextait protéger ma sécurité, mais je me doutais bien qu’elle voulait noyer Bouboule pour en tirer des sensations exaltantes… Vous lui auriez demandé de noyer des petits chats, elle aurait poussé des cris d’indignation. Mais elle se portait volontaire pour rayer un homme…

J’en étais là de ma méditation lorsqu’elle a débouché de derrière une avancée de roches, sur un fond-plat à moteur…

Elle m’a fait un grand geste joyeux. Et il n’y avait pas de différence entre ce geste de meurtrière en puissance et celui d’une petite jeune vierge rongée par la puberté.

Elles sont toutes innocentes comme des Jésus de crèche… Et toutes prêtes pourtant à couper la ficelle retenant la lune si cette dernière était suspendue au-dessus de votre trombine.

Herminia pilotait son canot comme un vieux loup de mer. Elle s’est échouée doucement sur la courte plage de sable.

— Oh ! oh !

Elle agitait ses doigts en riant. Ma parole, elle se croyait à une partie de volley-ball !

J’ai filé un coup de périscope alentour. Personne. Le bout de route était vide et il y avait des rochers escarpés partout ailleurs.

J’ai ouvert la portière de gauche — côté mer — rabattu le dossier de la banquette avant et extirpé Bouboule de l’auto…

Il a éructé des choses vagues… Mais il était foudroyé par le biberon que je lui avais fait prendre.

— Amène-toi, mon salaud !

Je l’ai cramponné par un bras et traîné comme un objet.

En arrivant au canot, je l’ai flanqué dedans. L’embarcation a tangué dangereusement.

— Tu feras gaffe de ne pas piquer un plongeon, toi aussi, ai-je recommandé.

— Ne t’inquiète pas…

— Tu ne préfères pas que je me charge moi-même de cette balade en mer ?

— Non, il faut songer à ta sécurité, Robert…

— Comme tu voudras, sois prudente…

J’ai regagné la Station doucement. En conduisant, je regardais de temps en temps le large et je distinguais dans l’étincellement des eaux une tache sombre qui glissait vers la ligne d’horizon bombée.

En arrivant à la plage de Menton, j’ai eu beau regarder, je n’ai plus rien vu… La saison se tirait. Peu de monde occupait les transatlantiques multicolores… Au bar, un jeune gars brun à veste blanche pressait des oranges dans un appareil acheté au dernier Salon des Arts Ménagers.

— Un gin-fizz, fiston !

Je me suis assis sous le dais bleu du bar… Il a mis un disque en mon honneur. Un truc mexicain qui vous flanquait des fourmis dans les pattes.

J’ai longtemps regardé le cube de glace dans mon verre. Il flottait à ras de la surface et il me faisait penser à Bouboule qui n’allait pas tarder à engraisser les poissons.

Herminia était longue à revenir.

CHAPITRE XII

Elle est apparue enfin. Elle avait rendu son barlu au loueur de la plage et elle paraissait joyeuse.

— Tu prends quelque chose ? ai-je demandé.

— Oui…

— Un alcool ?

Son regard m’a fait rougir.

— Pourquoi un alcool ? a-t-elle demandé hardiment. J’ai simplement soif. Donnez-moi une orange pressée.

Elle a bu d’un trait. Ses joues étaient rouges. Mais son front restait pâle, car elle venait de fournir un effort qui l’avait fatiguée.

— Paie et allons nous asseoir !

Elle m’a entraîné à l’écart sur des chaises pliantes. On est resté un moment sans piper mot, à regarder le monotone mouvement de la flotte et le ciel infini où traînassaient des petits nuages filandreux.

J’avais envie d’elle, une envie terrible !

— Si on rentrait, Herminia, j’ai des projets…

C’était la formule consacrée. Elle a secoué la tête.

— Pas tout de suite…

— Emue ?

— Non : un peu lasse seulement… Il était lourd !

— Ça s’est bien passé ?

— Ça s’est passé, et c’est l’essentiel, non ?

— Nous voici en quelque sorte entre assassins ?

— En quelque sorte, oui. Mais je ne vois pas la nécessité d’en parler.

Elle avait un drôle de carafon, cette nière. Vous la regardiez et vous croyiez bigler une polka comme toutes les polkas. Et puis, en grattant vous trouviez le reste : c’est-à-dire une fille, troublante, inquiétante… Elle était capable de tout : de tricher, de tuer… Etait-elle capable d’aimer ? Ça me travaillait un peu la paillasse. J’avais un sérieux penchant pour elle, mais ça n’était pas vraiment de l’amour… L’amour, je l’avais connu avec une autre et ça restait encore trop frais pour que je m’embrase.

Mais je tenais néanmoins à Herminia. Sa peau parlait à la mienne. C’était comme si on nous avait taillés dans le même cuir…

— Tu veux qu’on parle d’autre chose ?

— J’aimerais.

— De quoi ?

— D’avenir…

— Tu voudrais que je t’épouse ?

Je riais ; pas elle. Elle avait une petite lippe désagréable qui faisait saillir sa bouche et la rendait exagérément sensuelle.

— Je voudrais surtout que tu cesses de plaisanter… Et j’aimerais également qu’on fasse le point de la situation.

« Tu as pris l’identité de quelqu’un d’autre. Ce quelqu’un d’autre, l’homme de tout à l’heure voulait le retrouver. Pourquoi ? Une vengeance ?

— Il y a de ça… Plutôt, au sens propre, un règlement de comptes… Et le compte est élevé : vingt-quatre briques…

Je lui ai raconté toute l’histoire sans en sauter une broque. Elle m’écoutait, intéressée au plus haut point. Quand j’ai eu fini, elle s’est plongée dans de profondes réflexions.

— Tu crois que ce Rapin n’a pas emporté l’argent à l’étranger ?

— J’en suis certain, je l’ai assez connu pour comprendre son caractère. Et ce que j’ai appris sur lui ne fait que confirmer mon opinion. C’était un gars intelligent et prudent.

J’ai souri.

— Sa seule imprudence, c’est moi. Il y a toujours un moment où le sexe domine la raison.

— Alors, cet argent ?

Elle ne perdait pas la question de vue…

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