Dans la commode j’ai trouvé cinquante billets en petites coupures. C’était sûrement pour eux que la vieille avait dégainé l’épée cette nuit, par crainte que je les lui chourave… Ça m’a fait plaisir de toucher cette pension alimentaire. Avec un peu de pot, j’allais peut-être me sortir de cette impasse ?
Seulement il m’était impossible de me baguenauder ainsi loqué. Ça devait se savoir, à c’t’heure, dans Paname, que le gars Kaput avait quitté Cusco nippé en honorable planteur de thermomètres… J’aurais volontiers échangé les cinquante pions de la vioque contre une tenue moins voyante…
J’ai fouinassé partout. Tout ce que j’ai dégauchi c’était un vieil imper noir de femme. Je l’ai passé. Il était juste des épaules. Alors il m’est venu une idée qui valait ce qu’elle valait. J’ai pris des ciseaux et coupé l’imper à mi-corps afin de le transformer en veste. Puis j’ai enlevé le tuyau du poêle. Un paquet de suie est tombé par terre. Je l’ai prise à pleine pogne et m’en suis entièrement barbouillé le corps et les fringues. Je ressemblais, en deux minutes de grimage, au grand chambellan du Négus.
C’était pas con du tout mon idée, vous allez juger… Je me rappelais avoir vu une échelle sur le palier de l’étage, la veille, en entrant. Cette échelle devait servir à atteindre la trappe du plafond. Après avoir chiqué à l’infirmier, j’allais chiquer au fumiste. Sur le plan psychologique, on ne pouvait mieux se défendre. Les poulardins s’excitaient sur « les hommes en blanc » ; leur attention ne serait pas sollicitée par un brave gars de ramoneur qui déambulerait dans la Capitale avec une échelle sur l’épaule…
Je bichais, je vous jure. Et pour couronner le tout, personne ne m’a vu quitter l’impasse. J’ai débouché rue Saint-Martin en sifflant à pleins poumons. Sous ce déguisement et cette couche de suie je me sentais isolé du monde, hors d’atteinte des poulets.
Et les cinquante tickets de la vieille morue renforçaient mon optimisme.
J’ai pris en direction de la République. Mon idée c’était d’aller jusqu’au Carreau du Temple acheter des fringues passe-partout.
Ça n’a pas été duraille. Un vieux Jacob à cheveux blancs m’a bradé pour huit billets un costume amerlock avec poches à soufflets et fermetures éclairs un peu partout…
Le paquet sous le bras j’ai mis le cap sur la Seine. Là, planqué sous un pont je me suis déloqué et j’ai fait un sérieux brin de toilette. Après quoi j’ai revêtu la tenue kaki vert.
Ma barbe m’inquiétait un peu car je ne pouvais pas entrer sans danger chez un merlan. Les pommadins sont bien placés pour vous observer en détail. En rasant ils ont le temps de penser et en ne rasant pas ils lisent tous les canards du jour, si bien qu’ils étaient à même de tirer des conclusions malsaines.
J’ai regardé filer l’eau verte un bon moment, reniflant le puissant remugle du fleuve. Le soleil me faisait du bien.
Enfin, je me suis ébroué :
— Allons, gars, qu’est-ce que tu vas faire ?
J’avais pas beaucoup le choix : deux méthodes s’offraient à moi. Essayer de quitter Paris, puis la France… Ou bien…
J’ai opté pour la seconde. Au fond ça doit venir de naissance : chaque fois que j’ai eu le choix entre la raison et la connerie, sans hésitation j’ai choisi la connerie.
Je suis donc remonté sur le quai pour acheter un canard à un kiosque. Il était question de moi à la une, une fois de plus. Les journaux, maintenant, me prenaient au sérieux. Je devenais leur providence car pour l’instant le gouvernement tenait le coup et on ne parlait pas de guerre. Ils m’appelaient « L’homme qui s’escamote ». Mon évasion de Cusco avait fait sensation. L’infirmier était claboté une heure après mon départ d’une hémorragie cérébrale et les perdreaux avouaient se perdre en conjecture sur l’endroit où je m’étais planqué. On pensait que j’avais des complices. Les rafles dans les coins douteux se multipliaient…
De tout ça il ressortait que je ne devais absolument pas me montrer à Montmartre, endroit où tous les truands de France courent se faire harponner lorsqu’ils sont en cavale.
Je n’ai même pas fini l’article. Ce que je lisais ne m’intéressait pas. Mon horoscope c’était moi qui le mettais au point. Les baveux ne pouvaient pas m’éclairer sur la question.
Je suis entré dans un petit troquet pour chauffeur de camions. Mes fringues me donnaient l’aspect d’un routier, et il faut toujours se mettre ton sur ton, voyez le caméléon ? C’est la meilleure manière de ne pas se faire remarquer. J’avais également fait l’emplette d’une casquette à petite visière qui me seyait à ravir.
J’ai commandé un casse-graine et j’ai pris un jeton de bignou à la caisse.
Dans la cabine, j’ai trouvé un vieil annuaire des téléphones, la couvrante, les premières et dernières feuilles avaient été arrachées par les gus qui s’étaient trouvés en panne de faf aux tartisses voisines, tant pis pour les mecs qui se blazaient Abel ou Zivès. Le bouquin démarrait à la lettre B, c’était moins une parce que je cherchais Baumann dessus. Il y en avait une demi-colonne. Mais un seul créchait rue de la Pompe.
J’ai composé le numéro. La sonnerie a retenti… Une fois, deux fois, trois fois… Ensuite je n’ai plus compté… Au bout d’un instant j’ai raccroché et cherché un annuaire par nom de rue. Les Baumann devaient habiter un immeuble rupin dont la pipelette avait sûrement le bigophone. Je tenais à interviewer cette dame. Elle s’appelait Bifin et elle avait une voix très Comédie-Française.
— Dites-moi, ici le Service des Eaux, il n’y a personne chez Baumann ?
— Oh ! non, la dame vit dans le Midi depuis de décès de son mari.
— Ah ! bon, vous avez son adresse ?
— Oui… Attendez…
J’ai attendu. Dans le Midi, ça me bottait. Moins je resterais à Paris, mieux ça vaudrait pour ma santé.
— Allô ?
— Oui, j’écoute…
— L’adresse c’est « Les Tamaris », à Saint-Tropez…
— Merci…
J’ai raccroché et je suis allé m’asseoir devant une assiette où une saucisse de Toulouse reposait sur un lit de chou braisé.
Tout en mastéguant j’ai donné un peu d’air à mes projets. Rien de tel que la tortore pour vous recharger la matière grise. Vous avez la tronche plus solide lorsque votre sac à fourrage est empli.
Après avoir jaffé, j’ai commandé un jus et je me suis mis à élaborer un futur immédiat qui me paraissait idéal. Jusque-là, même dans mes moments de témérité, j’avais manœuvré comme un chef. Aucune faute de psychologie, tout cadrait bien…
J’ai dégusté mon caoua en soufflant sur ma tasse brûlante comme fait un bourrin avant de boire. A la table voisine il y avait quatre routiers qui attaquaient une Francfort en parlant boulot. Mon attention s’est vite fixée sur l’un d’eux ; un grand mahousse avec les cheveux en brosse et de gros lampions qui lui sortaient des orbites. Il avait quelque chose de marrant et, par conséquence directe, de sympa, ce gros lard.
Il disait qu’il redescendait sur Nice et que ça le faisait tartir vu qu’il était seulabre, son coéquipier étant au page avec une sale angine et de la pénicilline toutes les quatre plombes.
Je me suis adressé à lui, carrément.
— Dites, les gars, mande pardon de me mêler à vot’conversation, mais moi aussi, faut que je descende… J’ai claqué le pont de mon Dodge à l’entrée de Melun… Un vrai pastaga ! J’ai tubé à la boîte, ils me disent de redégringoler et de ne pas attendre que la réparation soye faite. Alors, toi, si tu veux, je suis ta pomme pour faire équipe ; je préfère ça à choper le dur ; le train ça me fout le bourdon.
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