Je me suis brutalement retourné car la vitre de la croisée venait de voler en éclats… Un canon de mitraillette était braqué sur moi.
Un voix hurlait :
— Les mains en l’air, Kaput, ou tu es mort !
— C’était cela que je voulais pour éviter, a balbutié le petit toubib…
— Tu les as prévenus en douce ?
— Avec les yeux seulement, a-t-il avoué.
Toujours la même chose ! Il n’y a rien à espérer des caves. Ils vous comprennent un instant, paraissent accepter de prendre vos patins, mais ils ne peuvent résister aux charmes des poulardins. J’ai levé les bras, mais brutalement j’ai agrippé le médecin et lui ai fait opérer une volte-face de manière à l’interposer entre la mitraillette et moi.
— Lâchez le docteur !
— Mes fesses !
La porte s’est ouverte et le grand flic à la moustache blonde est entré. Par-dessus l’épaule du toubib, j’ai levé mon soufflant et j’ai tiré. Le roussin s’est abattu, tué net. En serrant fortement contre moi le docteur qui tremblait, j’ai reculé jusqu’à l’escalier… Une fois là, je l’ai lâché et je me suis rué dans les étages… En trois enjambées, j’ai été au premier… Un autre escalier, plus étroit, s’offrait ; je l’ai pris.
Au second, c’était le grenier. J’y suis entré et j’ai refermé la porte au verrou.
Cette fois, j’étais cuit, fini, râpé, mort déjà !
J’ai poussé la béquille du vasistas… Une violente galopade faisait trembler la maison… Une vraie troupe radinait par les escadrins. Une secousse, un rétablissement, et je me suis trouvé sur le toit d’ardoises… J’étais presque nu et je n’avait plus un laranqué. Mes millions s’étaient effilochés en quelques heures. Les ultimes dollars se trouvaient dans les fringues que j’avais mises à sécher près de la cuisinière…
J’ai couru sur le toit plat… D’en bas, on a commencé à m’envoyer du plomb chaud. J’ai sauté derrière une cheminée…
A quatre mètres environ, il y avait le toit de l’autre pavillon… Il se trouvait légèrement en contrebas par rapport au mien. Un saut pareil était risqué, non seulement à cause de ce fossé de quatre mètres, mais surtout parce que la pente de l’autre toit était beaucoup plus accusée.
J’ai pris mon élan par petites enjambées rapides, mais au moment de la détente, j’ai posé mon pied sur une gouttière qui a cédé et j’ai piqué une tronche dans le vide.
Je me suis vu flambé. Ça allait être un drôle d’écrasement : une dizaine de mètres en valdingue et l’atterrissage sur les pavetons, c’est recommandé contre les rhumatismes articulaires.
Seulement, la petite ruelle était transformée en chantier à cause d’une réparation de canalisation et, par un hasard que je n’ose qualifier de miraculeux, j’ai plongé dans un énorme tas de sable. La secousse a été rude et il m’a semblé qu’on me rentrait les flûtes dans le buste. Pourtant, j’ai pigé illico que je n’avais rien de cassé.
Sans vérifier mes abattis, j’ai mis les coudes au corps et tracé vers l’extrémité de la ruelle. Cette chute libre était passée inaperçue et les flics devaient penser que j’avais réussi à traverser le précipice, car j’avais disparu de leur champ visuel…
La ruelle donnait sur un terrain vague au milieu duquel on commençait la construction d’un merveilleux H.L.M. Une moitié d’immeuble se dressait déjà… Chose curieuse, il n’y avait personne en vue… Mais j’ai pensé que nous étions samedi et que les ouvriers ne bossaient pas…
J’ai couru jusqu’à l’immeuble pour m’y réfugier… A poil, je ne pouvais passer inaperçu… Seulement, ce refuge n’en était pas un, car les flics allaient radiner et me coincer dans le chantier… Je ne pourrais jamais me sauver dans cette lande nue que formait le terrain vague…
Haletant, je regardais désespérément. Alors, j’ai remarqué ce qui pourtant crevait les yeux : la gigantesque grue dressée à côté de l’immeuble en construction… Je me suis dit que sa tourelle, là-haut, offrait un abri sûr d’où — c’était le cas de le dire — je pourrai voir venir…
Personne ne survenant, je me suis mis à gravir les échelons de fer conduisant à la plate-forme. J’allais vite, comme un singe escaladant le tronc d’un palmier. En un rien de temps, je me suis glissé par la trappe ronde qui donnait accès à la cabine vitrée.
Ma vue portait très loin par les carreaux sales. Je dominais toute cette banlieue grise et pelée. Je me suis agenouillé afin de me rendre invisible à ceux d’en bas, mais le chantier restait désert… De mon promontoire, je découvrais parfaitement la maison du toubib. Le jardin semblait minuscule avec la perspective plongeante. Les perdreaux allaient et venaient, comme ces jeunes chiens de chasse dont on exerce l’odorat en traçant des méandres dans un jardin avec un vieux bout de barbaque.
Dans les rues avoisinantes aussi, ça remuait. Le pays était grouillant de cars de police et je voyais qu’il y avait des barrages tout autour.
Le mieux était de prendre mon mal en patience et d’attendre toute la nuit et toute la journée du lendemain sur mon perchoir. Si, la nuit suivante, on ne m’en avait pas délogé, eh bien, je prendrais mes cliques et mes claques à la faveur de l’obscurité. Je n’aurais rien à croquer d’ici là, mais je m’en fichais, je pouvais tenir le choc…
Bien sûr, mais après ? Que pourrais-je bien essayer, que serais-je en droit d’espérer, nu et sans argent ? C’était comme si tout recommençait, comme si ma mère venait de me redonner naissance, et m’abandonnait marqué par une effarante hérédité.
Mon attention a été soudain captivée par l’entrée d’une ambulance dans la cour du toubib. Des flics en uniformes ont descendu deux civières et sont entrés dans le pavillon pour y ramasser le fruit de mon travail.
C’est Merveille qui a été évacuée la dernière… D’en haut je l’ai vue, si fragile sur cette civière de toile que mon cœur s’est serré.
Je suis tombé en avant, agenouillé sur la plate-forme de métal, frappant mon sale crâne contre les grosses têtes rondes des rivets.
Tout bas, je murmurais :
— Merveille, Merveille, ne m’abandonne pas…
Mais je me sentais seul et banni de tous…
Longtemps j’ai regardé s’activer les perdreaux… Ils sont venus dans le terrain vague et ont fouillé tout le chantier, mais pas un n’a songé à la grue… Psychologiquement, il était impensable qu’un type à demi-nu s’y réfugiât. Ces braves casseurs de gueule n’imaginaient pas un homme traqué gravissant trente mètres d’échelons de fer verticaux…
Peu à peu, le calme est revenu dans le quartier. Les cars de police se sont tirés l’un après l’autre, et les barrages qui engorgeaient la circulation ont été supprimés.
Seulement, il est resté de la poulaillerie dans les petites rues… Un grand nombre d’archers s’apprêtaient à passer la noye à la fraîche, leurs bonnes dames pouvaient préparer des grogs en les attendant…
Au fur et à mesure que le soir tombait, je sentais un froid sinistre m’envahir… Je claquais des dents… La nuit serait surtout sévère pour bibi, fallait admettre.
J’ai exploré la cabine vitrée. Elle n’était pas grande. Du côté de l’élévateur se trouvait un caisson dont le haut constituait une sorte de pupitre. Dedans, il y avait des « bleus » de mécano maculés de cambouis, un sac de chanvre vide, des outils et un tiers de litre de vin…
J’ai passé les vêtements (trop justes pour moi), étendu le sac sur la plate-forme et sifflé le reste du kilbus. Le pinard était un peu aigrelet ; c’était du gros rouge bassement prolo qui ne devait pas titrer lourd.
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