Au bout du vertige, le club échangiste et ses néons technoïdes.
Sorti par la petite porte d’un étrange coma répétitif, Osborne frémissait encore. L’espace-temps s’était fissuré sous leurs pas. Ann ayant disparu de son champ de vision, il erra un moment sous les voûtes, à sa recherche. Il entendait les sons sans vraiment les percevoir : son esprit errait, spectateur aérien. Il était double, triple même.
Dans la tourmente, il vit un type musculeux qui enfourchait une fille à quatre pattes, sorte de Peau d’âne maigrichonne. Une poignée d’admirateurs les regardaient faire, parmi lesquels deux grands highlanders curieusement identiques, les jambes poilues et maigres sous leur jupe écossaise. La fille en levrette ahana jusqu’à ce que, dans un ultime râle, le type se retirât de ses fesses incurvées. Elle gémit sans trier la douleur du plaisir. Un nouvel étalon le suppléa sur-le-champ, et s’y enfonça comme dans du beurre. Peau d’âne ahanait de nouveau, visiblement peu affectée par le manège qui se déroulait dans son dos… Bien accroché à son trip, Osborne se dirigea vers le bar où une Wonderwoman masquée servait des coupes de champagne. Une main glissa alors sous sa toge.
— Tu es sûr que tu ne veux pas venir au salon ?
La voix déformée, sa fée d’un soir souriait derrière son loup d’argent. Ann. Ann Brook…
— Quel salon ?
On s’entendait à peine sous le vacarme des sons qui percutaient les cloisons de la boîte. Ann le prit par la main et louvoya avec lui vers une salle au fond du club. Si la musique y était moins forte, la lumière était plus crue — un lustre à facettes traversé de lasers rouges et violets qui se reflétaient sur les masques.
Ils étaient une demi-douzaine à attendre au bord du cercle. Il n’y avait ni table ni bar mais une piste de terre glaise où deux hommes se battaient à la manière des sumotoris : Peter Pan affrontait ce soir Jason, dont le casque d’argent couvrait les yeux. S’accrochant par les épaules, ils tâchaient de se précipiter à terre et soufflaient bruyamment sous les encouragements de l’assemblée. Jason semblait à bout de souffle ; de fait, il s’affala bientôt sur la terre glaise. Soumis à la loi du plus fort, Jason ne bougea plus. Son vainqueur vint dans son dos et, encore essoufflé par l’effort qu’il avait dû livrer, le pénétra jusqu’à la garde. Enfin, la bedaine flasque sur le cul de l’autre, il s’arc-bouta et commença à limer, de plus en plus fort. Le but était visiblement de repousser le vaincu hors du cercle.
Les cris des autres allaient grandissant à mesure qu’ils approchaient du bord de la piste — ce serait bientôt leur tour. Jason glissait sur la terre humide tandis que le gros homme le chevauchait, ponctuant chaque coup de reins d’un chuintement viril qui les repoussait un peu plus loin. Maintenant l’équilibre par ses seules mains, Jason faiblissait à vue d’œil : il roula dans la boue et se vit ainsi éjecté du cercle.
Le Peter Pan se redressa, ruisselant d’une joie mauvaise, le sexe encore dur. Pas de capotes. Ceux qui attendaient leur tour applaudirent tandis que le prochain adversaire se préparait. Debout paraît-il, Osborne les regardait faire, éberlué. Le champion n’eut guère le temps de souffler puisqu’une fille entra en piste : Peau d’âne.
On siffla des insultes. Enfin le combat commença. Chétive, la pauvre fille ne tint pas longtemps le choc : après quelques empoignades, elle se laissa choir. Le gros type se précipita aussitôt, la tint face contre terre, écarta ses fesses en s’aidant des deux mains et la pénétra si violemment qu’elle hurla. Contorsionnée de la sorte, Peau d’âne subit l’assaut. L’engin rentré de moitié dans les fesses, elle pleurait doucement.
Consternant.
Ann s’était mêlée aux prétendants, ne perdant pas une miette du spectacle. Peau d’âne glissait littéralement sur l’argile et, éjectée à grands coups saccadés, quitta le cercle en se tordant à terre. L’autre avait joui dans un ultime râle : son sexe pendait maintenant sous sa tunique vert feuille, mou.
On redoubla d’insultes lorsque Ann entra sur la piste. Adossé contre ce qui ressemblait à un mur de pierre, Osborne retint son souffle. Sa fée était magnifique sous le lustre à facettes, la toison brune dépassant à peine de son costume lamé, mais il tremblait pour elle, perdu dans son délire. Les combattants s’agrippèrent sauvagement. L’homme avait l’avantage de la force, la fée d’argent celui de l’agilité. Elle échappait à ses prises et, fuyante comme une anguille, gardait l’équilibre. Les cris redoublaient au bord de la piste, ou alors Osborne rêvait en bloc. Peter Pan faillit la faire tomber mais les cuisses d’Ann étaient puissantes : elle profita de l’attaque avortée pour l’attirer à terre. Est-ce du fait d’avoir joui qu’il manqua de force ? Emporté par son élan, l’homme s’affala sur le sol.
Le cercle s’était resserré autour de la piste — on applaudissait la Fée D’argent qui, d’un coup de baguette magique, venait de terrasser Goliath. Ann saisit alors un énorme godemiché qu’elle fixa à sa taille et, encore haletante, se pencha vers sa victime. À coups de pied, elle lui signifia de se mettre à quatre pattes, puis ajusta son terrible engin, qu’elle enfouit lentement dans l’anus. Le gros homme serrait les dents tandis qu’elle lui dilatait les sphincters. Trop large, trop long, le sexe virtuel semblait capable de tuer. Ann l’enfonça cependant profondément, puis, sadique ou vengeresse, s’échina à le perforer. C’était maintenant un Peter Pan disloqué qui avançait à quatre pattes, poussé par le phallus.
Il quitta le cercle, battu plus que vaincu.
Osborne n’entendait plus rien, il saisissait à peine le mouvement de leurs lèvres. Son esprit tournoya dans le kaléidoscope du lustre tandis qu’il quittait le salon. La nausée l’accompagna jusqu’au comptoir.
La réalité était partie au diable et il n’avait aucune envie de la rattraper.
Il se tourna une dernière fois vers la piste de terre glaise : Ann avait chuté à son tour. La jupette retroussée sur ses reins, un phallus bien vivant lui fouillait les intestins…
*
La Croix du Sud s’était plantée dans le ciel quand ils sortirent du club. L’effet du « tonnerre » se dissipait lentement : restaient des images contrastées et une forte envie de vomir. Ann souriait à l’ombre des lampadaires, les yeux mi-clos, imperturbable quoique raide. Il la revoyait sur la piste, belle et cruelle dans son habit de fée…
— Tu es une drôle de fille, dit-il.
— Bah… Faut bien s’amuser.
Entre elle et Hana, un abîme où il continuait de sombrer…
— Il y a la party chez Julian, dit-elle. Tu viens ?
Osborne haussa les épaules, en signe d’acquiescement — vu leur état, ils n’iraient pas loin. Marcher jusqu’au coupé leur prit déjà un certain temps.
— Tu peux conduire ? il demanda.
— Non. Et toi ?
— Non plus.
Ann mit le contact en riant. Puis elle alluma une cigarette et, augmentant le volume, fit demi-tour dans la rue déserte avant de prendre la direction de Ponsonby.
Le cri électrique d’une guitare, l’horloge qui affichait trois heures et demie du matin, la tête renversée sur le siège du coupé, le nez dans les étoiles, Osborne n’était plus seul, il était mille. Ils roulaient, sublimés par la brise des avenues : les arbres chaviraient çà et là, des lumières glissaient sur le capot, chacun sur les rails d’un train lancé sans chauffeur. Au bout de la course, le silence.
Ponsonby Road. La voiture passa les grilles ouvertes et pila devant une grande bâtisse éclairée. Ils se remettaient doucement, complices de pas grand-chose, de peu importe : l’air du soir leur avait donné un coup de fouet.
Читать дальше