— Tukao ?
— Un des cadavres tirés du charnier, précisa Osborne. Celui qu’a découvert Fitzgerald.
— C’était ton boss, non ?
— Disons un ami.
Tom opina gravement.
— Je comprends.
— Tu es bien le seul… Et Griffith ? Tu as des nouvelles ?
— J’ai donné mon rapport au lieutenant Gallaher, répondit Culhane.
— Tu as vu celui du coroner ?
— Oui. Pourquoi ?
Osborne manqua de noyer l’abeille en se resservant un verre.
— Griffith travaillait pour la branche immobilière du holding de Melrose, dit-il.
— Depuis plus de dix ans, confirma Tom. Century Incorporated. Une employée modèle d’après ce que j’ai pu récolter.
Une employée modèle qu’on avait jetée à la mer.
— Sur quel projet elle travaillait ces derniers temps ?
— Un chantier en construction près de Rangiputa, dans la péninsule de Karikari…
Des paysages de rêve au nord de l’île, une région désertée en raison de sa faible activité économique. Plusieurs tribus maories habitaient ces contrées sauvages, parmi lesquelles celle des Tainuis…
— En tout cas, poursuivit Culhane, la thèse de la noyade semble la plus probable.
Osborne eut un rictus déplaisant mais se tut : Rosemary revenait de la cuisine, les mains chargées de victuailles. Elle posa le tout près du barbecue, les mollets fouettés par la queue du labrador.
— Maintenant fini de parler de choses sérieuses : à table ! Oh, Tom ! s’exclama-t-elle en voyant qu’il n’avait rien fait. Tu n’as pas encore allumé le barbecue ! Mais on va manger à l’aube ?!
Les deux hommes abandonnèrent la discussion. Il y avait pourtant des choses à dire… Osborne déboucha une nouvelle bouteille, tandis que Tom affrontait un vent tourbillonnant autour du barbecue. Il fit griller la viande, détourna quelques remarques acerbes de sa femme dont, l’alcool aidant, il craignait plus que tout les dérapages, avant de se mettre à table.
Le poulet mariné était délicieux, Osborne le fit savoir à la maîtresse de maison qui lui renvoya un sourire compliqué. Ils burent. Rosemary parlait maintenant avec une certaine aisance, même les taches rouges avaient disparu de son cou. D’ordinaire irritable, elle était ce soir métamorphosée ; Tom enregistra l’information — depuis combien de temps n’avait-il pas entendu son rire ? Lui aussi avait rougi sous les feux de l’alcool et, sa femme ayant cessé de le reprendre, il se laissa aller à quelques notes d’humour. À défaut de lui envoyer de grandes claques dans le dos, Osborne fit bonne figure. Des gens charmants, si loin de lui. C’est du moins l’image qu’ils donnaient : profitant de leur agitation autour du dessert, Osborne versa un peu de poudre dans le verre de Tom, vite diluée par le chardonnay…
— Oh, je crois que je suis un peu soûle ! minauda Rosemary en posant un gâteau sur la table.
— Ça vous donne bonne mine, répliqua Osborne.
— C’est gentil.
— C’est vrai.
Pour la première fois, Rosemary aima son regard sur elle. Elle rougit quand Tom revint, un saucier à la main. Lui non plus ne marchait pas droit. Encore cinq minutes et il ne marcherait plus du tout.
— Goûtons un peu ce gâteau, proposa Osborne.
Il sourit bizarrement à Rosemary tandis qu’elle nappait sa part de crème anglaise : elle lui répondit du bout des lèvres, ravie de se sentir séduite. Avec tous ses problèmes, la femme de Tom avait oublié qu’elle pouvait plaire… Osborne resservit un verre à tout le monde. Affalé dans son fauteuil de jardin, la tête du sergent commençait à dodeliner. Rosemary sourit de le voir ainsi s’assoupir.
— Je vais préparer le café, dit-elle.
Repoussant Tobby qui l’avait suivi, Osborne partit vomir le tout dans les plates-bandes. Le goût était amer, presque venimeux. Il lui fallait un petit remontant…
Les vestiges du repas s’amoncelaient sur l’évier ; Rosemary rangeait les assiettes dans le lave-vaisselle quand, sortant des toilettes, Osborne entra dans la cuisine.
— Je peux vous aider, dit-il.
— Oh, laissez, je vais m’en occuper.
Mais il ne pensait pas à la vaisselle. Elle le sut en relevant la tête. Croisant l’expression de son visage, elle reflua aussitôt. Il avait le même sourire qu’en arrivant ; il se tenait maintenant près d’elle, si près qu’elle sentit son souffle sur sa robe, cette brise chaude et caressante sur sa peau, comme une main… Et toujours ses yeux jaunes qui l’hypnotisaient.
— Paul, mais…
Elle voulut reculer mais sa hanche touchait déjà le rebord de l’évier. Acculée à ce bout de cuisine, soudain incapable du moindre mouvement, Rosemary cessa de respirer : il posa sa main sur son épaule nue, caressa quelques centimètres carrés de peau et, sans cesser de la couver du regard, descendit lentement jusqu’à son décolleté. Rosemary frémit, en proie à une sensation inconnue. Elle songea un instant à Tom, assoupi dans le jardin, resta muette, oublia tout : le sexe d’Osborne l’effleurait, elle le sentait pointer contre sa robe, elle avait chaud et le désir grimpait vite. La main de l’homme glissa sur ses hanches, ses cuisses, sous sa robe. Une main brûlante. Rosemary ne bougeait plus. Elle se sentait désirée, désirable. La main déchiffra la jungle de son pubis, puis fila sous la dentelle du string et s’immobilisa sur ses lèvres. Cette fois-ci il la tenait. Il l’avait attrapée. Il pourrait en faire ce qu’il voulait, elle consentirait parce qu’elle ne réfléchirait pas.
— Non, dit-elle. Non…
Mais elle se laissa pénétrer, en douceur. Sa respiration était lente, le fluide dans ses entrailles divin. L’interdit et la chaleur de sa queue la remplissaient d’une joie mauvaise. Il s’enfonça jusqu’à la garde, lui arrachant un gémissement. Il s’enfonça plus fort, la souleva, et l’empala avec rudesse. Rosemary lâcha sa respiration et, enfin libre, se laissa prendre contre le rebord de l’évier. Elle se mordait les lèvres pour ne pas crier, leurs hanches s’entrechoquaient, il la prenait debout, des coups de boutoir qui lui faisaient presque mal. Soudain le corps s’échappa.
Quand elle rouvrit les yeux, le sexe avait reflué, laissant un vide inquiétant au fond de son ventre.
Le temps passa sans elle. Osborne avait fui : il ne restait plus dans la cuisine que des odeurs de marinade et la désagréable impression d’avoir été possédée.
Rosemary baissa la tête, et doucement se mit à sangloter.
Une fois sur le trottoir, Osborne se sentit décoller. L’électricité grimpait dans son corps, tous ses muscles tendus, aux aguets : sombre miracle, il était de nouveau d’attaque.
Le cauchemar pouvait recommencer.
On trouvait de tout dans la mallette : speed, opium, herbe, cocaïne, acides, PCP, des amphétamines dont la plupart étaient en vente légale, morphine, ecstasy, MDMA, ainsi qu’une petite quantité d’héroïne.
Osborne choisit de la poudre de MDMA. La lumière montante des lampadaires créait des ombres sur le tableau naturaliste accroché au mur de la chambre, reproduction bon marché qu’on trouvait à Parnell. Il ôta son pansement. La plaie avait fini par se résorber. Son esprit, en revanche, s’enfuyait à petites pensées décousues.
Globule apparut, en équilibre sur le rebord de la fenêtre.
— Je croyais t’avoir dit de dégager…
Ses gros yeux jaunes le fixaient, d’une innocence crasse. Il caressa l’animal et, une veste sur le dos, retrouva le comptoir du Debrett. Là, Kieren lui paya une vodka citron, puis deux…
C’était un vendredi. Avocats, employés de banque, étudiants ou chômeurs professionnels, les clients formaient une population hétéroclite et bruyante. Des enseignes criardes invitaient la population locale à consommer du vin blanc ou du champagne australien mais c’est de la bière qui moussait dans les chopes. Onze heures. Osborne commanda un dernier verre : le bar allait fermer. Seul l’imposant portier maori semblait le tenir à œil — celui du professionnel. Osborne quitta bientôt le bar de l’hôtel, pressé par une petite foule joyeuse et éméchée. La chaleur s’était emparée de son corps et ne le lâcherait plus.
Читать дальше