Partout, la mort.
Le Mal à l’état pur.
Un lieu de ténèbres qui glaçait jusqu’à la moelle.
La machine se trouvait derrière le vieux monsieur assis à une table. Il avait beau porter un chapeau mou et des lunettes noires, Sharon voyait bien qu’il était défiguré. Que lui était-il arrivé ? Un stylo-plume à la main, il écrivait sur la feuille posée devant lui. Des manuscrits s’empilaient sur le sol. Des dizaines d’histoire, qui à l’évidence n’avaient pas été publiées. Elle eut envie de lui demander s’il en était l’auteur mais se ravisa, mal à l’aise. Ses parents la rejoignirent. Le marchand ne les calcula même pas. La vue de son visage ravagé leur arracha une grimace.
— Bonjour, balbutia Bradley en anglais, pour se donner une contenance. Votre boutique est sympa. Ça fait longtemps que vous êtes ici ?
Après avoir remis le bouchon du stylo, l’autre leva les yeux sur le couple.
— Vous n’étiez pas encore né que j’étais déjà là, répondit-il d’un ton fataliste.
Sharon en profita pour s’esquiver et s’approcher de la machine. Un rayon de soleil tombait sur son clavier en forme de bouche. Elle souriait, la fillette l’aurait juré. Une feuille était engagée dans le rouleau, sur laquelle était tapé : « I’m yours. »
Je suis à toi.
La petite caressa la carcasse métallique et lança :
— Maman ! Papa ! Venez voir !
Ils vinrent à sa rencontre, regardèrent ce qu’elle leur montrait du doigt.
— J’aimerais l’avoir, dit-elle en sautillant d’excitation.
— Enfin ma puce, c’est une vieille machine, râla Bradley. En plus, elle doit peser des tonnes.
— Et elle ne rentrera jamais dans la valise, renchérit Cecilia.
Bradley s’accroupit devant sa fille.
— Sois raisonnable, ma chérie. On a prévu de t’offrir un ordinateur portable pour ton anniversaire.
Sharon se blottit contre son père.
— S’il te plaît, papa. J’en ai très envie.
Attendri, Bradley fixa sa femme qui finit par acquiescer. Il soupira en signe de capitulation et pivota vers le marchand. Ce dernier s’était remis à écrire, indifférent à la scène qui se jouait dans ses murs.
— Combien, la machine ? demanda Bradley.
Sans lever la tête, Jack Malcombe sourit et lâcha, d’une voix suffisamment forte pour être entendu :
— Cinquante dollars !
Sa vieille compagne avait enfin choisi son prochain partenaire. Fou de joie, il se retint de pleurer. Lorsqu’il s’était installé dans le garage, il avait prévu d’y rester huit jours. Il pensait trouver son remplaçant durant ce laps de temps. Il s’était trompé. Les semaines s’étaient transformées en mois, les mois en années. Sur sa figure, les rides s’étaient ajoutées aux stigmates laissés par la maladie. Il attendit de se ressaisir pour quitter son fauteuil en cuir et se diriger vers les Rhodes. Il entama la négociation, cette pure formalité avant la liberté.
Tandis que son père et le vieux monsieur convenaient d’un prix, Sharon reporta son attention sur la machine. Avec sa nouvelle amie, elle imaginerait le monde dans lequel elle aimerait vivre. Un monde sans parents, peuplé d’enfants qui feraient tout ce qu’ils voudraient.
Absolument tout.
De retour à la maison, elle jetterait sur le papier les bases de ce nouveau monde.
LAURENT SCALESE & FRANCK THILLIEZ
Laurent Scaleseest né à Avignon en 1967. Lecteur assidu d’Agatha Christie, de ConanDoyle et de StephenKing, il développe très tôt un goût prononcé pour l’écriture. C’est en participant à un concours de nouvelles policières qu’il se lance dans la rédaction de son premier polar : Le samouraï qui pleure , (Pygmalion, 2000), suivi de L’Ombre de Janus et Des pas sous la cendre . Son quatrième roman policier, Le Baiser de Jason (Belfond, 2005), a reçu le prix Sang d’Encre des lycéens. Paraissent ensuite Le Sang de lamariée (Belfond, 2006) suivi de La Cicatrice du diable en 2009 chez le même éditeur. Laurent Scalese est par ailleurs membre de la Ligue de l’Imaginaire, un collectif d’auteurs, et scénariste pour la télévision et le cinéma.
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Né en 1973 à Annecy, Franck Thilliez, ingénieur en nouvelles technologies de formation, vit actuellement dans le Pas-de-Calais. Il est l’auteur de Train d’enfer pour Ange rouge (La Vie du Rail, 2003), La Chambre des morts (Le Passage, 2005), Deuils de miel (La Vie du Rail, 2006), La Forêt des ombres (Le Passage, 2006), La Mémoire fantôme (Le Passage, 2007), L’Anneau de Moebius (Le Passage, 2008), Fractures (Le Passage, 2009) et Vertige (Fleuve Noir, 2011). La Chambre des morts , adaptée au cinéma en 2007, a reçu le prix des lecteursQuais du Polar et le prix SNCF du polar français. L’ensemble de ses titres, salués par la critique, se sont classés à leur sortie dans la liste des meilleures ventes. Après Le Syndrome E (Fleuve Noir, 2010) et GATACA (Fleuve Noir, 2011), on retrouve Lucie Henebelle et Franck Sharko dans Atomka (Fleuve Noir, 2012).
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