Franck Thilliez - AtomKa

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URSS, 1986. Hommes, terres, bêtes… l’atome a tout ravagé. Mais de Tchernobyl vient de s’échapper un mal plus terrible encore…
Paris, vingt-six ans plus tard. La scène de crime n’est pas banale : un journaliste mort de froid, enfermé dans son congélateur. À quoi travaillait-il ? Franck Sharko et Lucie Henebelle, de la Crim’, remontent la piste… Elle les mènera au cœur de l’enfer, là où, au nom de la science, l’avenir s’écrit en lettres de sang. « De quoi méditer et mourir de trouille, grâce à un auteur en totale et parfaite maîtrise de son art. »
Le Point
« C’est avec une passion et un intérêt quasi hypnotiques que l’on suit le chemin tortueux que Franck Thilliez nous fait suivre. »
20 Minutes
« Glaçant ! »
Le Figaro Madame

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FRANCK THILLIEZ

AtomKa

Pourquoi serait-il plus difficile de mourir,

c’est-à-dire de passer de la vie à la mort,

que de naître, c’est-à-dire de passer de

la mort à la vie ?

Jules RENARD

Prologue

Là-bas, il y a vingt-six ans

Il faisait bon vivre dans cette ville d’Europe de l’Est où le printemps était doux. Tard dans la nuit, Piotr et Maroussia Ermakov s’étaient approchés de leurs fenêtres pour assister à un spectacle unique. À environ trois kilomètres, des couleurs bleues, orange et rouges très vives avaient mordu le ciel. Les voisins étaient unanimes et communiquaient par balcons interposés : le spectacle était magnifique.

Le lendemain, malgré une certaine agitation dans les rues, les enfants continuaient à jouer torse nu dans le parc, à proximité de la grande roue et des autotamponneuses. Les paysans vendaient leurs légumes sur la place du marché et les femmes discutaient entre elles, malgré le grondement des hélicoptères et la cacophonie des sirènes perdues au loin. Il s’était passé quelque chose qui n’avait finalement rien d’amusant, là-bas, à l’horizon, mais, même si on en parlait, on s’en souciait peu. Ne leur avait-on pas dit que la ville était aussi sûre que le centre de la place Rouge ? Et puis, il s’agissait juste d’une usine en flammes dont on ne savait pas précisément ce qu’elle fabriquait et dont on ne parlait ni à la radio ni dans la Pravda . Il n’y avait donc pas à s’inquiéter.

Cinq jours plus tard, Andreï Mikhaliov profita du chaos dans lequel sombrait l’Empire soviétique pour pénétrer dans le bâtiment ultra-sécurisé, situé à douze kilomètres du lieu de l’accident et à cent dix kilomètres de Kiev. Autour, la forêt avait brûlé, mais sans la moindre trace de feu. Les troncs, les branches étaient couleur rouille et les feuilles semblaient avoir séché en une fraction de seconde, pareilles à des ailes de papillon grillées par le soleil. Andreï sentait une odeur particulière dans l’atmosphère, mais il était incapable de la définir. Il avait un goût caramélisé dans la bouche, comme si de la matière invisible se déposait sur les plombages de ses dents. Il jeta un œil à l’instrument qu’il tenait dans la main : l’aiguille était bloquée à son maximum. Il ignorait précisément le temps dont il disposait, mais, parole de chimiste, il fallait agir le plus rapidement possible.

Depuis cette fameuse nuit, aucun chercheur officiel n’avait remis les pieds dans ce bâtiment classé top secret. Les documents et les protocoles étaient restés sur place, derrière les portes blindées et le barrage des gardes prêts à mourir pour le Parti en cas d’intrusion. Andreï avait accès à la plupart des anciennes villes interdites et des sites sensibles d’URSS, où l’on menait des recherches très précises. Il disposait par conséquent des autorisations pour atteindre le niveau le mieux protégé, sept mètres sous terre. Il croisa huit gardes — bien qu’ils fussent à usage unique et remplacés toutes les heures, deux d’entre eux saignaient déjà du nez — et prétexta un ordre de Gorbatchev lui-même. Il respira un grand coup quand il pénétra dans la pièce où s’étaient réunis secrètement les plus illustres biologistes, généticiens et physiciens d’Union soviétique, et où avaient eu lieu les plus terrifiantes expérimentations, auxquelles il avait participé.

Quinze minutes plus tard, il sortait en possession d’un manuscrit du début du XX e siècle, de protocoles et d’un animal curieux qui nageait dans une petite boîte transparente. Lorsqu’un des militaires voulut vérifier par téléphone si Andreï pouvait emporter de tels éléments à l’extérieur du TcheTor-3, le scientifique n’eut d’autre choix que de le frapper violemment au crâne avec une matraque. Bientôt, il deviendrait l’homme le plus recherché par le KGB pour ce qu’il détenait dans les mains. La cible à abattre, coûte que coûte.

Au volant de sa Travia, il reprit à toute hâte la route, sécurisée par des barrières et des postes de garde. C’était criminel de laisser ces pauvres hommes ici, même une seule heure. Andreï avait envie de leur crier de fuir, de courir à l’hôpital, mais il se ravisa et regagna sans mal la voie principale.

Au sud, l’incendie n’avait pas encore été maîtrisé. Il faudrait des jours, des semaines peut-être, pour en venir à bout. Une armée d’hélicoptères lâchait sur les flammes des tonnes de plomb en barre. Alentour, le ciel avait la couleur d’un vieux journal qu’on brûle. De ridicules ombres allaient et venaient auprès des bâtiments déchirés, armées de pelles et de lances dérisoires. Des ignorants qu’on menait à l’abattoir et pour lesquels on remettrait, un jour, un diplôme à leurs familles : « Mort glorieusement au service de l’Union soviétique ».

Andreï sursauta lorsqu’un volatile percuta son pare-brise. Puis un autre. Il pleuvait des oiseaux morts, des petits étourneaux, qui chutaient par dizaines sur l’asphalte et partout autour. Le chimiste actionna ses essuie-glaces et fonça vers Pripyat, qu’il devait traverser avant de prendre la direction de l’ouest.

Il avait vu la ville se construire. Quartiers résidentiels, bonne qualité de vie, un manège et des autotamponneuses pour les enfants. Aujourd’hui, elle ressemblait à un cauchemar. La population avait été évacuée vers Moscou trois jours plus tôt, grâce à plus de mille bus en provenance de Minsk, Gomel et Moguilev. Au milieu des rues, des brigades de chasseurs, visages voilés d’un châle, tiraient à vue sur les chats et les chiens — on avait interdit aux propriétaires de les embarquer, leurs poils piégeaient trop facilement les particules présentes dans l’air. Des soldats arrosaient les toits secs des maisons, frottaient les murs avec des brosses, d’autres retournaient la terre des jardins et la couvraient de terre plus profonde. Une lutte contre l’invisible, des tâches tellement inutiles, songea Andreï. Sur les portes des maisons se succédaient des inscriptions en cyrillique, gravées dans le bois : « Pardon », « Famille Bandajevski », « Nous reviendrons », ou encore « C’est notre seule richesse, ne pas abîmer ». Andreï n’osa imaginer l’enfer qu’allaient vivre ces gens, qui avaient déjà connu l’Occupation et la répression stalinienne. Qu’allaient-ils devenir, privés de leur bien le plus cher ? Ils ne reviendraient pas dans cinq jours, comme on le leur avait promis.

Ils ne reverraient jamais leur maison.

À la sortie de la ville, Andreï aperçut une bête de somme dans les champs, intégralement revêtue d’une couverture en cuir, comme si cette carapace pouvait la protéger du poison qui se répandait dans l’atmosphère. Une vieille dame courbée, enveloppée dans du cuir elle aussi, la suivait, elle s’était certainement cachée au moment de l’évacuation. Dans quelques semaines, sans médicaments, sans soins, elle serait morte.

Le Russe crispa ses doigts sur le volant et chassa les plumes coincées dans les essuie-glaces à coups de lave-vitre. Au lendemain de l’explosion, contre son gré, on l’avait envoyé sur place, comme la plupart des physiciens et chimistes renommés. On l’avait contraint à survoler le lieu de l’accident pour trouver des solutions. En vol, tous les appareils s’étaient déréglés, les photos tirées au Polaroid n’étaient que des rectangles noirs. Au plus proche de la centrale, Andreï s’était même surpris à ne plus percevoir le vrombissement des pales de l’hélicoptère, comme s’il était devenu subitement sourd. Dès lors, il avait compris que ce jour-là allait anéantir des milliers de vies et entraîner les terres soviétiques à leur perte. Rien ne serait plus jamais comme avant.

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