Ilan prit sa barre de fer et essaya de cogner sur le bois, mais à cause du grillage, il n’arrivait pas à prendre de l’élan et à donner de la force à son arme. Ses coups étaient inefficaces. De l’autre côté de la porte, la femme s’était réfugiée dans un coin, genoux contre la poitrine, terrorisée. Les candidats tentèrent tout ce qu’ils purent pour ouvrir, sans y parvenir.
— Bientôt, les lumières vont s’éteindre. Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Philoza.
Ilan plaqua ses deux mains sur le bois, le visage écrasé contre la vitre. Ses yeux croisèrent ceux de la prisonnière et il crut y voir, une fraction de seconde, une lueur de vie.
— On ne peut pas l’abandonner ici.
— On pourrait revenir et…
— Non. Il y a forcément une solution. Il y en a toujours.
Il allait et venait le long du grillage, comme un lion en cage, sa barre cognant bruyamment contre les mailles. À genoux, Chloé observait la serrure avec attention. Elle se redressa soudainement.
— Ilan, il faut qu’on essaie quelque chose.
— Si t’as une idée, je suis preneur.
— La clé, autour de ton cou…
Ilan s’immobilisa sur-le-champ. Il porta par réflexe une main sur sa poitrine et, après un silence, secoua la tête.
— Non. C’est impossible.
Chloé tendit la main.
— Ça ne coûte rien de tenter le coup. Donne-la-moi.
Le jeune homme obtempéra. Il ouvrit le fermoir de sa chaîne en argent puis dégagea la clé.
— Tu sais ce que ça signifie si la porte s’ouvre ? fit Chloé en récupérant la clé. Que Philoza a raison. Que cette personne n’est peut-être qu’une… actrice bien maquillée, maigre par nature, et qu’elle fait partie des dernières phases du jeu.
Elle glissa le petit morceau de métal dans la serrure. Ilan retint son souffle lorsque Chloé tourna. Il y eut un déclic.
Et la porte s’ouvrit.
Le jeune homme refusait d’y croire : il avait récupéré cette clé en plein Paris ! Le jeu était encore et toujours là. Il demanda à ses deux accompagnateurs de ne pas bouger et fut le premier à entrer dans la chambre capitonnée.
La température était plus glaciale encore que dans le couloir.
La patiente était prostrée, des croûtes avaient séché sur son visage. Les os de ses joues saillaient sous la peau tendue. Elle ne pouvait pas être une actrice, il y avait trop de souffrance dans son regard. Et puis ces odeurs d’urine, insupportables. Ilan ne pensait plus à Paranoïa ni à la suite d’événements qui l’avait amené jusqu’ici. Il s’approcha avec pour seule motivation celle d’aider cette malheureuse.
Et plus il avançait, plus il avait l’impression de la connaître. De lui avoir déjà parlé. De l’avoir déjà touchée…
— Je suis là pour vous aider, dit-il d’une voix douce. Nous allons vous sortir d’ici, d’accord ?
Elle ne réagit pas. Ses pupilles noires étaient dilatées, le blanc de l’œil injecté de sang. L’avait-on droguée ? Ilan voyait tous ces Jacob qui dansaient autour d’elle, sur les murs. Il imaginait cette pauvre femme en train d’écrire compulsivement ce même mot, à s’en rendre malade. Il l’aida à se lever. Elle avait le dos légèrement voûté et n’arrivait pas à se tenir droite. Le jeune homme fixa durement Philoza qui se tenait dans l’embrasure de la porte. Chloé était entrée dans la salle, subjuguée par les inscriptions et ces centaines de Jacob qui ornaient les murs.
— Un jeu, c’est ça ? dit Ilan en regardant Philoza avec un air de reproche.
L’autre ne répondit pas. Ilan entreprit d’ôter la camisole.
— Tu ne devrais peut-être pas, dit Chloé.
— Mais bon sang, elle tient à peine debout.
Il défit les grandes lanières croisées dans le dos, puis retira délicatement la contention. La femme se laissait faire, amorphe. De grandes taches sèches maculaient son pantalon. En plus de la camisole, on lui avait enroulé les mains avec du Scotch, de manière à ce qu’elle ne puisse pas desserrer les poings.
— C’est immonde, grimaça Ilan. Quel monstre faut-il être pour faire une chose pareille ?
Il s’appliqua à arracher délicatement le ruban adhésif. Les doigts meurtris se détendirent.
Il y eut alors un bruit, au sol, lorsque ses bras retombèrent le long de son corps.
La main droite de la patiente venait de lâcher une nouvelle clé.
Ilan la ramassa, abasourdi. Il n’en pouvait plus. Il regarda la femme dans les yeux, avec l’envie de la secouer.
— Mais qui es-tu donc ? D’où sort cette clé ? Qui te l’a donnée ? Hadès, c’est ça ? Quand ce maudit jeu s’arrêtera-t-il ?
Le visage ne traduisait aucune expression, les yeux restaient fixes. Ilan n’arrivait plus à penser rationnellement, c’était comme si Paranoïa était encore présent, au milieu de tant d’horreur.
Le jeune homme sentit alors une pression sur son épaule droite. Chloé l’attirait à elle, elle se tenait juste sous la caméra.
— Tu as le dessin de ton père sur toi ? demanda-t-elle.
Ilan sortit la feuille de sa poche. Chloé la prit et la déplia. Elle désigna les H, juste devant les chiffres qui représentaient des longueurs d’onde.
H
H
H
H
H
— Qu’est-ce qu’ils te suggèrent ? demanda-t-elle.
Ilan les observa encore une fois.
— J’y ai déjà réfléchi des jours et des nuits entiers. Je n’en sais rien.
Chloé pointa les mêmes H , écrits sur le mur et entourés de Jacob . Les lettres étaient disposées exactement de la même façon que sur la carte codée, sauf qu’elles étaient plus rapprochées. Leurs jambages se touchaient et formaient un dessin qui ne laissait aucune ambiguïté.
— Une échelle ! dit Ilan. Mince, ça représente une échelle, comment j’ai fait pour…
Il ne termina pas sa phrase et regarda de nouveau la carte de son père, en tenant compte de cette découverte.
Tout s’illumina soudain. La séquence :
H 470
H 485
H 490
H 580
H 600
se transformait en :
H J
H A
H C
H O
H B
— L’échelle de Jacob… ça me dit quelque chose.
— Évidemment, intervint Philoza. Ça un rapport avec le livre de la Genèse. Avec la Bible.
— Et une bible, tu en as justement trouvé une dans la chambre 27, compléta Chloé. La chambre de…
— Lucas Chardon. C’est insensé.
Chloé réfléchit et lâcha :
— J’ai le sentiment que depuis le prétendu accident de tes parents, on est dans le jeu, on est dans Paranoïa …
Ils n’eurent pas l’occasion de poursuivre leurs déductions. La femme aux longs cheveux noirs porta les mains à son visage et se mit à en creuser la chair en hurlant.
Philoza se précipita et lui planta sa seringue dans le dos. Il injecta la totalité du liquide.
Cinq secondes plus tard, la folle s’effondrait.
Ils avaient porté la femme endormie jusqu’à la chambre de Chloé.
Elle ne pesait pas bien lourd. D’après Chloé, ses constantes étaient stables. Son cœur battait normalement, sa respiration était régulière. De toute évidence, le produit qui lui avait été injecté était un puissant sédatif.
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