Ilan secoua la tête, tout cela paraissait absurde, irréel.
— Et puis, on n’a jamais retrouvé leurs corps, ajouta Chloé. Qui te dit qu’ils sont vraiment morts ?
C’était du délire. Ilan ne voulait plus réfléchir pour le moment, ni même penser à quoi que ce soit. Il regarda sa montre puis s’empara des clés sur la table.
— Il reste une heure avant l’extinction des feux. On monte au troisième et on essaie de libérer la femme. Elle aura peut-être les réponses à toutes nos questions.
— Non, répliqua Jablowski. La priorité, c’est de retrouver Naomie. Elle est sans doute encore vivante, elle…
— Elle est morte, dit Ilan. Tu ne la retrouveras jamais, et tu le sais.
— On coupe la poire en deux, répliqua Chloé à l’attention de Jablowski. On fait deux groupes. On la cherche une demi-heure avec toi, et ensuite on va tous au troisième étage, OK ?
Jablowski accepta le deal . Il se mit en duo avec Philoza, tandis que Chloé et Ilan partirent ensemble. Les quatre candidats restants se donnèrent rendez-vous dans le grand hall d’entrée une demi-heure plus tard et disparurent dans les méandres de l’hôpital.
18 h 30.
Chloé et Ilan attendaient patiemment dans le grand hall d’entrée lorsqu’ils virent Philoza revenir.
— Alors ? fit ce dernier.
— Rien, répliqua Chloé. Où est Jablowski ?
— Impossible de le raisonner, il ne veut pas revenir. Il a encore de l’espoir et continue à parcourir les pièces une à une. Mais c’est inutile, on ne saura peut-être jamais où Gygax a caché le corps.
— Les flics le découvriront quand ils viendront, répliqua Chloé.
Ilan regarda l’heure.
— Allez, on se met en route. Il faut libérer la prisonnière.
Au pas de course, ils se rendirent au deuxième étage, du côté de l’aile des femmes. Ils ne se quittaient plus d’une semelle, désormais conscients qu’il n’y avait plus ni jeu ni objectifs, hormis celui de fuir cet endroit dès que possible. À présent, ils attendaient tous des réponses.
Comprendre.
Après plusieurs essais, Ilan parvint enfin à ouvrir la grosse grille menant au troisième étage grâce à l’une des clés trouvées autour du cou de Gygax. Tous les trois, en silence, grimpèrent en direction de la zone D de l’hôpital.
— Tu as une idée de l’endroit où se trouve la chambre ? demanda Chloé.
— À peu près, oui. Vu depuis l’extérieur, ça donnait sur le fond de l’aile.
À cet étage, tout était grillagé : les lampes, la cage d’escalier, même les couloirs étaient coupés en deux dans le sens de la longueur, de façon à éviter que les patients de la partie gauche ne puissent rencontrer ceux de la partie droite.
— La chambre est sur le côté qui donne vers l’arrière, donc à gauche. Suivez-moi.
Le grillage central étant espacé du mur d’à peine un mètre, il était impossible de marcher côte à côte. Ilan ouvrait la marche, Philoza la fermait. D’innombrables câbles entraient et sortaient du plafond, des murs, et s’entrecroisaient, pareils à des réseaux de neurones. Cet hôpital faisait penser à l’intérieur d’un cerveau, et Ilan atteignait désormais sa partie la plus secrète, protégée par la dure-mère, l’arachnoïde et la pie-mère. La substance molle, vivante, qui recelait les réponses.
Il angoissait déjà parce que les portes étaient toutes fermées et, avec leurs renforts en acier au niveau des gonds et des poignées, elles semblaient bien plus solides que celles des autres étages. Sur chacune d’elles, il n’y avait qu’une petite fente horizontale en Plexiglas au lieu d’un hublot, permettant de voir à l’intérieur de la pièce.
— Comment un tel enfer a-t-il pu exister ? murmura Philoza. C’est pire que ce que j’ai pu voir d’Alcatraz.
Ilan avançait doucement. Chaque fois qu’il passait devant une porte, il jetait un œil à l’intérieur de la chambre.
— On cherche une salle de contention, dit-il en progressant. C’est là que la femme aux cheveux noirs se trouve.
Ils se turent et poursuivirent leur progression. Au-dessus, les néons crépitaient sous leur fin maillage d’acier.
— À votre avis, Hadès avait-il prévu qu’on vienne jusqu’ici ? demanda Philoza.
Ilan désigna une caméra avec sa barre de fer. Elle était sur la partie droite du couloir.
— Je crois, oui… Il y a aussi une caméra dans la salle de contention où est enfermée la femme.
— Dans ce cas, cette fille que nous cherchons fait forcément partie du jeu.
Ilan se retourna et le fixa dans les yeux.
— Tu parles encore d’un jeu ?
— Il y a le jeu, et il y a Gygax. Je n’arrive pas à croire en ta théorie de la mémoire effacée ou je ne sais quoi. C’est dément.
— Quand tu verras à quoi cette pauvre femme ressemble, tu changeras d’avis. Elle n’est plus qu’un cadavre ambulant.
— Alors, comment tu expliques sa présence dans un hôpital fermé depuis des années ?
— Je ne l’explique pas. Comme je n’explique pas l’existence d’un tas de tombes qui datent de l’année dernière, au pied de l’établissement. Demande à Chloé.
La jeune femme confirma. Philoza eut un petit mouvement de tête vers l’avant.
— Ces tombes peuvent n’être qu’un décor.
— Et nous, nous sommes quoi ? Des personnages de bande dessinée ?
Devant la détermination d’Ilan, Philoza préféra laisser tomber.
— Nous verrons bien. Poursuivons.
Ilan observa chaque ouverture, sur des mètres et des mètres, quand, soudain :
— Elle est là.
Il se pencha vers le rectangle de Plexiglas. La femme était bien présente. Elle était allongée en chien de fusil sur son lit, piégée dans sa camisole de force, le visage tourné vers le mur. Ses deux pieds nus ressemblaient à des racines desséchées. Sur les parois en mousse, Ilan put deviner les inscriptions noires qu’il avait discernées grâce à la caméra. Il recula pour laisser voir Chloé, puis Jablowski. Ce dernier grimaça.
— Merde…
La porte n’avait qu’une petite poignée. Ilan tira, en vain. Il ausculta la serrure et sortit toutes les clés de Gygax de ses poches.
— Espérons que ça fonctionne.
Il les essaya, les unes après les autres, lorgnant régulièrement par la fente. À l’intérieur, la patiente montra des signes d’activité. Elle se redressa avec mollesse, le regard rivé vers la porte. Ses yeux ressemblaient à des météorites brûlantes au milieu d’une face de Lune ravagée. Chloé observa ce curieux spécimen sans plus bouger.
— On va te sortir de là, murmura Ilan. On va te sortir de cet enfer.
Il s’escrimait sur les petits morceaux de métal, les jetait au sol au fur et à mesure de ses tentatives. Ses mains tremblaient devant la serrure. Chloé constata son trouble et le poussa un peu sur le côté.
— Tu n’es plus en état. Laisse-moi faire.
Elle le remplaça et, au bout de quelques minutes, il fallut se rendre à l’évidence : aucune des clés de Gygax ne permettait d’ouvrir la porte. Ilan ne voulait pas admettre l’échec. Hors de question de rebrousser chemin, d’abandonner.
— Gygax avait un trousseau de clés bien plus gros quand j’étais dans la salle de commandement, confia-t-il. Il doit le cacher quelque part, avec le tournevis et la combinaison orange.
— On ne le retrouvera jamais, admit Philoza en regardant à son tour par la fente. Il a réussi à nous duper pendant tout ce temps. Derrière ses faux airs d’attardé, il était bien plus malin qu’on ne le pensait.
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