Ilan acquiesça et, après avoir enfilé sa tenue, finit par disparaître. Il était évident que Chloé lui mentait quant à l’origine de ses cicatrices, mais pour quelle raison ? Qu’avait-elle à cacher ?
Une fois ses affaires déposées dans sa chambre, Ilan se rendit dans la cuisine. Dans sa tenue de médecin, pull à col roulé remonté jusqu’au menton, Maxime Philoza était en train de boire un jus de fruit. Il avait les cheveux encore humides et sentait le frais.
— La douche a été bonne ? fit-il en apercevant Ilan.
Ilan se demanda comment prendre sa remarque. Il n’eut pas l’opportunité de répondre.
— J’ai regardé par la fenêtre de ma chambre, poursuivit Philoza. Il ne neige plus beaucoup pour le moment, mais le ciel est toujours aussi chargé, prêt à remettre ça. J’ignore quelle quantité de neige il y a dehors, mais si la météo ne s’améliore pas, on risque d’être définitivement coupés du monde. Plus aucune voiture ne sera capable de rouler sur ces routes. Que se passera-t-il si l’un d’entre nous se blesse par exemple ?
— Je suppose qu’Hadès a prévu cette éventualité. Il y a une boîte à pharmacie bien fournie dans la salle de douche, avec des pansements, des antiseptiques…
Ilan déposa une dosette dans la machine à café, positionna deux tasses et appuya sur un bouton. Puis il sortit des tranches de pain du congélateur, qu’il mit dans le four à micro-ondes. Philoza prit soudain un air grave.
— Hadès… Parlons-en, justement. Plus on y réfléchit, et plus c’est curieux. Paranoïa n’a ni publicité ni sponsors. Ce jeu, au contraire, fait croire à tout le monde qu’il n’existe pas. Qui donne les trois cent mille euros ? Et pourquoi les donnerait-on ? Juste pour voir une bande de huit joyeux drilles courir après des cygnes noirs ? Tu imagines Hadès débarquer à la fin, te remettre tout cet argent dans une valise et te laisser partir, comme au casino ?
— Qu’est-ce que tu essaies de me dire ?
Il parla tout bas. Le ronflement du micro-ondes couvrait le son de sa voix.
— Rien n’est encore clair dans ma tête, mais je pense que la disparition de Mocky et Leprince est bien réelle. Qu’il leur est vraiment arrivé quelque chose. Et que ta copine Chloé fait absolument tout pour nous retenir ici.
Ilan secoua la tête.
— Leprince portait des lunettes de vue dont le numéro de série a servi à créer la première énigme. Il est forcément l’un de ces intrus et joue avec nous. Il fait partie de l’organisation. Tout comme Mocky, j’ai l’impression.
— Et pourquoi, à l’inverse, ceux de Paranoïa n’auraient-ils pas utilisé le code de ses lunettes pour créer l’énigme à son insu ? Le jeu était avec chacun d’entre nous avant qu’on débarque ici. Des jours, voire des semaines avant. D’une façon ou d’une autre, ils nous surveillaient, chez nous, au café, au club de sport. Ils auraient très bien pu relever le numéro de ses lunettes et s’en servir par la suite.
— Mais dans quel but ?
— Je l’ignore encore. Nous embrouiller, nous faire douter ? J’en reviens à ta copine Chloé… Pourquoi essaie-t-elle de nous retenir dans cet hôpital, alors que son intérêt est plutôt qu’il y ait le moins de candidats possible pour la course à la victoire ?
Ilan réfléchit quelques secondes.
— Elle a peut-être peur de rester seule ici, se hasarda-t-il. Ou elle veut simplement éviter que le jeu s’arrête si les flics débarquent. Elle a besoin de cet argent, et elle est une compétitrice.
— Comme nous tous.
Philoza jeta un œil vers l’entrée de la cuisine, puis ajouta :
— Il faut que je te dise une dernière chose à propos de Sanders. Je l’ai vue rentrer dans sa chambre en courant hier soir, une ou deux minutes avant l’extinction des feux.
Ilan reçut un choc. Il posa le pot de confiture fébrilement sur la table et incita Philoza à poursuivre.
— J’étais ici, dans le noir, je buvais un verre d’eau. Elle semblait venir du grand hall. Elle est rentrée dans sa chambre et a immédiatement fermé à clé. Après avoir fini mon verre, j’ai fait la même chose, je me suis enfermé en ayant juste eu le temps de te voir revenir avec Mocky quelques secondes plus tard.
Ilan se sentit de nouveau complètement déstabilisé. Ce n’était donc pas Gygax que Mocky et lui avaient cru apercevoir l’autre soir, mais Chloé.
Maxime Philoza ne lâcha pas prise :
— Vous l’avez forcément aperçue. Que s’est-il passé hier soir ? Qu’est-ce que tu es allé faire avec Mocky dans les couloirs si tard ?
Ilan mit un temps avant de répondre.
— Il voulait juste me montrer de vieux dossiers de patients à moitié brûlés.
— Quel genre de dossiers ?
Son ton avait changé. Il paraissait soudain très attentif. Ilan réagit au quart de tour :
— En quoi ça pourrait t’intéresser ?
— Je suis simplement curieux.
Ilan laissa passer un silence. Philoza avait réagi bizarrement à cette information. Pourquoi cela l’intéressait-il autant ?
— Rien de bien important, finit-il par dire. Je crois que Mocky est un adepte de la théorie du complot, ou tout au moins, c’est ce qu’il a voulu me faire croire.
À ce moment précis, Chloé arriva. Philoza sortit rapidement de la pièce en faisant un geste autour de son œil.
— Tu as perdu une lentille.
— Je sais, répliqua-t-elle sans sourire.
Elle s’installa à table.
— Je l’aime pas, celui-là. Tu sais qu’hier il m’a orientée dans une mauvaise direction, carrément à l’autre bout de l’hôpital ? Il a l’air tranquille, honnête, mais c’est une ordure. Il nous écrasera tous les uns après les autres s’il en a l’occasion.
Chloé était la deuxième personne à lui dire ça, après Mocky. Il prit le pain dans le micro-ondes et rapporta les deux tasses de café. Il s’assit en face de Chloé et la dévisagea.
— Qu’est-ce que t’es allée faire hier soir seule dans les couloirs ?
Elle but une gorgée de café calmement.
— Hier soir… Tu veux dire après que tu as défoncé la chaise à électrochocs ?
— Oui, après.
— Je ne suis plus sortie de ma chambre. C’est quoi, ce ton ?
— Arrête, Chloé. Tu es allée brûler toutes les photos et les dessins de la salle de thérapie par l’art. Celle que toi et moi avions vue le matin même.
Chloé écarquilla les yeux.
— Tu plaisantes, j’espère ?
— C’est tout sauf une plaisanterie. Quelqu’un a mis le feu au contenu de cette salle pour une raison encore incompréhensible. Et Philoza vient de me dire qu’il t’avait vue rentrer dans ta chambre en catastrophe hier soir, juste avant qu’on revienne Mocky et moi.
La jeune femme posa sa tasse, excédée.
— Et tu l’as cru ?
— Pourquoi mentirait-il ?
Elle soupira.
— Il y a des dizaines de raisons qui pourraient faire qu’un type comme lui mente. Parce qu’il est l’auteur des faits, par exemple. Ou parce qu’il protège quelqu’un. Ou alors, parce qu’il ne m’aime pas et qu’il veut nous monter les uns contre les autres. Mince Ilan, on vient de faire l’amour et tu me balances une chose pareille ?
— Ça aussi, c’était peut-être prévu ? Comme par hasard, tu es dans les douches en même temps que moi, tu perds ta lentille…
Chloé se leva, sur les nerfs.
— Tu recommences avec ton délire. Cette fois, tu vas trop loin. Va te faire foutre, d’accord ?
Elle le planta sur place et fit violemment claquer la porte de sa chambre. Seul devant la grande table, Ilan ne savait plus quoi penser. Il croqua sans appétit dans une tartine. Il se rappelait le regard fuyant de Gygax lorsqu’il avait demandé du feu, et le fait que le type aux lunettes carrées avait pu rebrousser chemin dans le noir alors qu’ils suivaient tous les gouttes de sang : à l’évidence, il avait bel et bien dérobé le briquet de Fée.
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