À quel jeu jouait Philoza ? Et Gygax ?
Ilan but son café, débarrassa la table et partit à son tour dans sa chambre. Il s’assit sur son lit, manipula une grosse clé qu’il avait rangée dans le tiroir de sa commode et relut la fin de sa missive précédente :
En tant que patient responsable, vous devez donc l’entraîner dans la salle des électrochocs dont vous possédez la clé, l’attacher sur la chaise avec les bracelets, sortir et verrouiller la porte derrière vous. Une fois toutes ces étapes franchies, votre objectif sera atteint. Vous pourrez alors vous diriger vers votre troisième objectif, quelque part dans la morgue de l’hôpital, en utilisant la seconde clé en votre possession.
La morgue n’était pas indiquée sur le plan, mais Ilan se dit qu’elle devait être au sous-sol. Une destination qui ne l’enchantait guère.
Quelques minutes plus tard, à 9 heures pile, l’horrible sirène retentissait.
Elle prouvait qu’Hadès était là, dans les murs.
À moins qu’elle ne soit juste programmée pour sonner chaque jour à 9 heures et 19 heures, avec ou sans présence humaine.
Et qu’ils continuent à jouer, tous comme des rats de laboratoire, alors qu’il n’y avait plus personne dans cet hôpital.
Chloé ne lui avait pas adressé un regard au moment où la chasse avait repris. Elle l’avait doublé en courant puis avait disparu vers l’aile des femmes lorsque Ilan était arrivé au niveau du grand hall d’entrée.
Les portes en fer résonnaient, les candidats semblaient creuser cet hôpital comme des vers le feraient dans une pomme pourrie. Peu de lumière traversait le grand vitrail en forme d’ovale, situé au-dessus de l’entrée principale. Ilan se dit qu’avec un peu de soleil, les couleurs devaient être magnifiques et parfaitement contraster avec l’austérité de l’endroit. La lumière naturelle et la chaleur lui manquaient.
À bon rythme, il suivit Jablowski qui se dirigeait vers la grille que Mocky avait ouverte la veille. À sa grande surprise, le grand brun déverrouilla avec l’une de ses clés et referma derrière lui. Il s’immobilisa quelques secondes en apercevant Ilan qui venait dans sa direction, le fixant étrangement.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il.
— Mocky aussi avait la clé pour ouvrir cette grille.
— Et alors ? Tu penses que je la lui ai piquée ? Le nombre d’accès vers les étages n’est pas infini. On a forcément des clés en commun. Si je vois le gros, je te l’envoie. Bye, gueule d’amour .
Il grimpa les marches quatre à quatre sans plus se retourner. Ilan s’avança vers la volée d’escalier qui plongeait sous le sol. Au bas d’une dizaine de marches, une grille fermée l’attendait. De l’autre côté, l’endroit était éclairé, des néons se succédaient vers la gauche. Le jeune homme introduisit la clé dans la serrure et réussit à ouvrir. Un drôle de grincement résonna. Il hésita une poignée de secondes, referma et verrouilla derrière lui.
Ainsi enfermé, il était à moitié rassuré : à moins de posséder la clé, personne ne pourrait le surprendre et l’attacher à une chaise, cette fois.
Le couloir était voûté et les briques apparentes. Il se divisait en deux et la partie droite n’était pas éclairée. Ilan se rappelait ce qu’avait dit Hadès, à propos du réseau souterrain immense…
Il prit en direction de la lumière. Il s’était attendu à beaucoup d’humidité mais les murs et le sol en béton ne présentaient pas la moindre trace d’eau ni de moisissure. Sans doute à cause de ce courant glacial qui le frappait en pleine face et remontait jusque dans l’escalier.
Pour le moment, le candidat ne remarqua aucune caméra. Les néons grésillaient, l’un d’entre eux avait rendu l’âme, un autre palpitait. À plusieurs reprises il hésita à faire demi-tour, pas très rassuré dans cet endroit sans fenêtre ni porte. Son imagination galopait, il visualisait ces patients morts qu’on apportait sur des brancards, qu’on posait ensuite sur des chariots pour les plonger dans ces ténèbres. De quoi mourait-on dans les hôpitaux psychiatriques ? De maladie ou de tristesse ?
Ilan distingua une première pièce où courait un entrelacs de tuyaux, de tubes de cuivre, et où reposait une gigantesque cuve de fioul. Il y avait encore quelques bidons fermés, à moitié remplis, d’autres ouverts et gisant là, entassés. Une échelle en bois de six ou sept mètres était calée dans un coin.
Plus loin, le couloir se divisa en Y. Une vieille pancarte en métal indiquait « Archives » vers la droite, et « Morgue » vers la gauche. Deux grilles neuves bloquaient chaque couloir. À l’évidence, elles avaient été rajoutées par les organisateurs du jeu. Ilan essaya d’ouvrir celle des archives avec la clé trouvée dans l’enveloppe, puis avec celle accrochée autour de son cou, mais sans succès. Peut-être lors d’un prochain objectif ? Il pourrait alors savoir si Lucas Chardon, le fou de ses rêves ou Alexis Montaigne, l’infirmier, avaient vraiment été des occupants de cet hôpital.
La grille de gauche s’ouvrit sans problème. Ilan verrouilla de nouveau derrière lui et poursuivit son exploration. Il avançait, avançait encore, semblant toujours s’enfoncer sous la montagne. Pourquoi fallait-il tant marcher, pourquoi la morgue était-elle enfouie si profondément ?
Enfin, apparut une première pièce, sur la droite. Elle ressemblait à un bloc opératoire. Un squelette de lampe Scialytique demeurait au plafond, les murs étaient carrelés d’un blanc qui tournait au jaune pisseux, une massive table en acier trônait au centre, avec deux rigoles longitudinales qui devaient servir à évacuer les fluides corporels.
Une salle d’autopsie , songea Ilan en se frottant les épaules. Il se dit que c’était logique, il fallait pouvoir comprendre la cause d’une mort, même dans un hôpital psychiatrique. Mais quelque chose attira son attention. Il s’avança et constata la présence de sangles marron en cuir, dont les extrémités étaient solidaires de la table.
À quoi bon des sangles, si les patients étaient morts ?
Ilan se rappelait les mots de Mocky : Il y a eu des trucs pas jolis-jolis, par le passé, à mon avis . La lobotomie, les électrochocs, et à présent cette sinistre table, dans un tunnel où personne ne pouvait entendre les cris. À quelles sombres expériences se livrait-on, si loin de la civilisation, sur des humains qui n’existaient plus aux yeux de la société ?
Ilan sursauta soudain. Un claquement métallique venait de résonner dans le couloir.
Comme une porte qu’on ferme.
Il se précipita et regarda sur la droite. Son cœur battait fort, le jeune homme en percevait chaque pulsation lourde.
— Il y a quelqu’un ?
Rapidement, il fit marche arrière pour revenir jusqu’à la seconde grille, celle proche du panneau « Morgue », et regarda aussi loin qu’il le put dans le long tunnel voûté. Il resta là une bonne minute, immobile, et se convainquit que le bruit provenait peut-être de la surface, amplifié par l’acoustique particulière de ces sous-sols confinés.
Il prit son courage à deux mains et poursuivit son exploration. Il doubla la salle d’autopsie, marcha encore une vingtaine de mètres et, après deux virages, atteignit finalement le lieu de son objectif.
Il découvrit alors un chariot, placé dans l’un des angles… Le mur de casiers métalliques, aussi haut que large… Les morgues devaient toutes se ressembler, mais c’était quand même curieux de rêver d’un endroit pareil et de s’y retrouver le lendemain.
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