Il ne tarda pas, en effet, à dénicher une autre enveloppe, cachée sous le matelas. Elle contenait deux nouvelles clés, ainsi que les prochaines instructions.
Ilan était définitivement entré dans la partie.
Paranoïa lui ouvrait grand ses portes.
Félicitations, vous en êtes à l’objectif numéro 2. Ceci était une petite mise en jambes, rien de bien compliqué. Nous pouvons passer aux choses un peu plus sérieuses à présent.
Vous avez en main deux nouvelles clés. La première ouvre et ferme la salle des électrochocs. La seconde vous dirigera vers votre prochain challenge, à n’utiliser qu’une fois la nouvelle épreuve remplie.
Cette nouvelle épreuve, la voici : vous avez certainement compris que Gaël Mocky était un individu désobéissant. Les rebelles, dans les hôpitaux psychiatriques, doivent être sanctionnés pour le bien des autres patients et pour la bonne tenue de l’établissement. En tant que patient responsable, vous devez donc l’entraîner dans la salle des électrochocs dont vous possédez la clé, l’attacher sur la chaise avec les bracelets, sortir et verrouiller la porte derrière vous. Une fois toutes ces étapes franchies, votre objectif sera atteint. Vous pourrez alors vous diriger vers votre troisième objectif, quelque part dans la morgue de l’hôpital, en utilisant la seconde clé en votre possession.
Bonne chance.
Virgile Hadès »
Ilan relut le message plusieurs fois et replia la lettre fébrilement. C’était dément, maléfique. Attacher quelqu’un sur une chaise à électrochocs… Qu’est-ce que cela signifiait ? Le texte indiquait de sortir et de refermer derrière soi. Mais que se passerait-il ensuite pour Mocky ? Comment se détacherait-il ? Qu’allait-il lui arriver ?
L’un d’entre vous va mourir.
Le jeune homme s’appuya contre un mur, il avait besoin de réfléchir. Cette fois, il ne s’agissait pas de trouver des enveloppes ou des cygnes, il fallait s’en prendre directement à un adversaire. Un type qu’il aimait bien, en plus, avec qui il avait un bon feeling.
Chaque candidat avait-il pour mission de s’attaquer à l’un des autres participants ? Ilan songea aux seringues des médecins et frissonna. Un Frédéric Jablowski ou une Naomie Fée seraient-ils capables d’injecter leur mystérieux produit à quelqu’un si on le leur demandait ? Et Chloé ? Il se rappelait son regard, après la lecture des premiers objectifs. Que lui avait-on demandé de faire ?
Et qui étaient ce ou ces fichus intrus parmi eux ?
Ilan songea au premier principe : Quoi qu’il arrive, rien de ce que vous allez vivre n’est la réalité. Il s’agit d’un jeu. Oui, c’était juste le jeu que d’attacher un colosse comme Mocky sur une chaise de contention. Oui, il le prendrait bien, il sourirait même : « Ah, c’est génial ton truc, ça me fait penser à ces séries américaines où on grille des types comme des saucisses sur les chaises électriques. J’ai toujours eu envie d’essayer. Et on peut tourner les boutons ? »
Pourtant, tout ceci avait forcément une signification. Les organisateurs de Paranoïa devaient avoir eux-mêmes un objectif, un but caché, autre que celui de distribuer plus de trois cent mille euros.
Ils ont peut-être pénétré chez toi pendant ton sommeil. Ils t’ont drogué et manipulé. Ils t’ont incrusté un rêve dans la tête impliquant Lucas Chardon, vrai ou faux patient de cet hôpital psychiatrique. Il faut découvrir pourquoi.
Ilan ne savait pas quoi faire. Il pouvait au moins aller jeter un œil à cette salle d’électrochocs afin d’essayer de dissiper ce brouillard qui l’entourait. Il relut le message face à lui : « Laissez toute espérance, vous qui entrez. » Encore une référence à La Divine Comédie , lui semblait-il. Cette phrase était celle gravée sur une porte ouvrant sur l’enfer.
Il voulut se décoller du mur, mais il éprouva soudain une violente douleur à l’intérieur du crâne. C’était comme si toute sa tête se fragmentait. Il se traîna jusqu’au matelas, les mains plaquées sur les oreilles.
Ça recommençait.
La météo était mauvaise, il faisait désormais sombre dans la chambre d’hôpital de Lucas Chardon et il n’allait pas tarder à neiger. Seul un petit néon, placé au-dessus du lit où il était sanglé, soulignait les formes des objets les plus proches. Sous cette lumière, les expressions des visages paraissaient plus fermées, plus dures.
Le téléphone portable ne cessait de vibrer dans la poche de pantalon de Sandy Cléor. Le docteur ne voulait pas interrompre le récit de son patient, mais vue l’insistance, elle consulta tout de même son écran et serra les lèvres. À cause de la chaleur dans la pièce, elle avait ôté son pull-over, laissant apparaître une tunique noire à manches longues.
— Je suis désolée, mais il s’agit d’un appel que je dois prendre absolument. C’est la nounou. Mon fils est malade depuis hier.
— Ah, ces choses-là, on n’y peut pas grand-chose. Je vous en prie, faisons une petite pause, nous poursuivrons juste après. Et si vous pouviez me rapporter un peu d’eau. (Il agita la main avec un sourire, faisant craquer le cuir de la sangle.) Disons que j’ai un peu de mal à me déplacer par mes propres moyens. Et j’ai la gorge tellement sèche.
— Bien sûr.
Elle coupa le Dictaphone et sortit rapidement. Au bout de cinq minutes, elle revint avec une petite bouteille d’eau fraîche, dont elle versa la moitié du contenu dans un verre. Au cœur de cette demi-obscurité, elle le porta aux lèvres de son patient.
— Je n’ai pas trouvé de paille. Allez-y doucement…
Lucas Chardon vida le verre en quelques gorgées et reposa sa tête sur l’oreiller. Sandy Cléor retourna s’asseoir sur sa chaise inconfortable. Malgré son jeune âge, elle ressentait une petite douleur aux articulations. Cela faisait plus de trois heures que Lucas parlait, qu’il lui livrait son histoire. Elle vérifia qu’il restait suffisamment de place sur la carte mémoire de son Dictaphone et appuya de nouveau sur le bouton d’enregistrement.
— Comment va votre fils ? demanda le patient.
La psychiatre afficha une mine relativement décontractée, mais fatiguée. Des cernes avaient commencé à se dessiner sous ses yeux. Ces derniers jours, en plus des soucis avec son fils, elle avait eu énormément de dossiers à traiter, comme si la maladie mentale était une pieuvre sans cesse grandissante qui étalait ses tentacules sur le monde. De surcroît, ce cas-là allait l’occuper de nouveau, ce qui s’annonçait déjà comme incroyablement mystérieux mais particulièrement excitant.
— Plutôt bien. Il dort. J’avais dit que je rentrais en début d’après-midi et la nounou s’inquiétait de ne pas avoir de mes nouvelles.
Elle posa une main sur son crâne.
— C’est dingue, avec tout ce qui s’est passé ces temps-ci, j’ai oublié de la prévenir. Ça ne m’arrive jamais.
— Ah, la mémoire nous joue parfois de drôles de tours. Et ce n’est pas évident d’élever un enfant seul, je crois. Au fond, nous avons notre part de responsabilité, nous, vos patients. C’est notre faute si vous ne pouvez pas rentrer chez vous. C’est notre faute si votre mari en a eu assez de vous attendre. Nous sommes égoïstes et nous ne le savons même pas.
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