— On lit chacun notre objectif et on rapporte l’enveloppe dans cinq minutes, dit Fée. Ensuite, on ferme la grille définitivement.
Les candidats prirent leur enveloppe et s’éloignèrent les uns des autres. Ilan s’isola dans une pièce annexe où ne restaient plus que deux chaises et des vestiges de meubles. Il décacheta son enveloppe avec appréhension. Elle contenait une clé ainsi qu’une feuille. Lorsqu’il en lut le texte, il resta sonné, comme s’il avait reçu un coup de poing dans la tempe.
Il fallut qu’il perçoive la voix de Chloé pour revenir à la réalité.
— Tu n’entends pas qu’on t’appelle ? fit la jeune femme. Allez, dépêche-toi, on doit tout remettre en place et fermer la grille.
Il la considéra longuement depuis l’endroit où il se tenait, avec sa feuille dans la main, puis regarda la caméra juste au-dessus de lui. Il se leva, essaya d’accrocher le regard de son amie mais celle-ci détourna la tête.
— On ne peut rien se dire, Ilan, tu le sais.
Elle accéléra le pas. Les autres candidats attendaient aux abords de la grille, leurs enveloppes étaient déjà à leur place, dans les petits casiers. Certaines mines s’étaient fermées, Gygax se rongeait les ongles, plus en retrait. Philoza avait un mince sourire sur le visage. Ilan rentra fébrilement dans la pièce et déposa ses papiers dans le casier numéro 8 d’une main tremblante. Quand il fut sorti, Naomie Fée posa le gros cadenas à clé à la place de celui à molettes.
— Tout le monde a bien mémorisé son objectif ? Parce qu’on ne pourra plus jamais ouvrir.
Les candidats acquiescèrent.
— Alors, je ferme.
Il y eut un déclic.
— Bonne chance à tous, fit Mocky.
Et il disparut en marchant vers le hall d’entrée.
Très vite, le couloir fut déserté, les candidats s’orientèrent dans des directions différentes, à des rythmes divers.
Chloé resta face à Ilan, son plan dans la main.
— On se voit ce soir.
— Ton objectif… Ça va aller ?
— Ça va aller. On y va à fond, d’accord ? On doit tous les battre.
Et elle disparut en courant.
Seul, Ilan fixa la clé qu’il avait récupérée dans son enveloppe. Il la glissa dans la poche de son pantalon bleu dentiste et prit la direction de l’aile des hommes. La phrase de sa première mission résonnait encore dans sa tête, comme si une voix masculine l’avait prononcée devant lui.
Objectif numéro 1 : Exploration de la chambre 27.
La chambre 27 se situait au fond de l’aile des hommes, pas très loin de l’unité de soins. Le numéro écrit en petits caractères noirs était presque effacé mais encore lisible. La porte était fermée. Ilan essaya de regarder à travers le hublot, cependant la poussière sur la vitre intérieure l’empêchait de voir. Il glissa sa clé dans la serrure et entendit le déclic caractéristique.
Il pénétra avec appréhension.
À l’intérieur de son propre cauchemar.
Cette fois, la chambre était rigoureusement identique à celle imprimée dans son crâne : le lit à barreaux, l’ampoule au plafond protégée par une grille bleue, la commode, disposée exactement à la même place. Les draps avaient disparu, le matelas était en sale état, constellé de grosses taches brunes ; la pièce avait pris un coup de vieux, mais c’était bien elle. La chambre 27…
Sur le mur du fond était écrit, en diagonale et au marqueur noir : « Laissez toute espérance, vous qui entrez. »
Ilan s’approcha des barreaux du lit. Dans son cauchemar, l’homme à la taie d’oreiller sur la tête avait caché à l’intérieur de l’un d’eux un morceau de drap où l’inscription « II AN 2-10-7 » avait été brodée. Il déglutit lorsque le troisième petit tube d’acier bougea davantage que les autres. Il le tira à lui et observa à l’intérieur : vide.
— Où tu te caches, fichu morceau de drap ?
Ilan se surprit à parler à voix haute. Il se redressa et se frotta les mains l’une contre l’autre. Désormais, il n’y avait plus aucun doute : Dieu seul savait comment, mais Paranoïa était forcément au courant de son rêve. Et Hadès et toute sa bande lui faisaient revivre son cauchemar en direct.
Décontenancé, Ilan réfléchit longuement et se posa la question autrement : et si, au final, ses souvenirs du rêve avaient été créés de toutes pièces ? On l’avait peut-être drogué alors qu’il dormait et on lui avait induit, par hypnose, ces scènes bien particulières du patient qui se pendait dans la chambre 27.
Des souvenirs injectés à son insu, et d’autres effacés.
Oui, ça pouvait fonctionner de cette façon, c’était d’ailleurs la seule explication rationnelle. Ilan ne put s’empêcher de faire le rapprochement avec ses parents : ils avaient travaillé sur les secrets de la mémoire, ils avaient été tués. Et si tout ce qui arrivait en ce moment même était lié à leur disparition ? À leurs recherches si importantes ?
Mais quel était le lien ? Pourquoi l’avait-on amené ici avec d’autres joueurs ?
Ilan était perdu, il ne comprenait pas et, surtout, il avait peur. Il s’approcha du hublot, en ôta la poussière avec la manche de sa surchemise et regarda à travers. Il se rappelait l’infirmier de son rêve, Alexis Montaigne. Cet homme avait-il réellement existé ? Avait-il travaillé dans cet hôpital par le passé ou était-il juste une invention ? Ilan se dit que, si son rêve coïncidait avec une forme de réalité, il devait forcément y avoir des traces de cet infirmier quelque part. Dans les archives de l’hôpital, peut-être.
Il poursuivit ses investigations. Lorsqu’il ouvrit le tiroir de la commode, il y découvrit une petite bible à la couverture noire, sur laquelle était gravé grossièrement « Lucas Chardon ». Chardon… N’était-ce pas le nom que l’un des deux flics avait prononcé en parlant au prisonnier ? Ilan ferma les yeux et se rappela. Oui, c’était bien ça, Chardon.
Perturbé, Ilan feuilleta rapidement la bible. Toutes les pages étaient cornées, le livre sentait le vieux papier et la poussière. Contrairement à ce Lucas Chardon, Ilan n’avait jamais cru en Dieu. Il fourra le livre dans sa poche, c’était peut-être l’un des éléments du jeu qui trouverait son utilité par la suite.
Dans le tiroir, il y avait aussi un crucifix noir, un jeu de tarot complet et des dessins monstrueux d’animaux mythologiques, réalisés à l’encre de Chine avec une grande minutie. Ainsi, c’était sans doute ce Chardon l’auteur des peintures dans la salle de thérapie et les couloirs proches. Était-ce dans le cadre du jeu, ou Chardon avait-il réellement été, un jour, interné dans cet hôpital avant de commettre son octuple meurtre ?
Comme Ilan, le patient de la chambre 27 avait un véritable talent pour le dessin. Mais ses œuvres à lui étaient d’une noirceur extrême.
— Vous avez drôlement bien bossé, Hadès. Quel est le truc ?
Ilan murmurait à présent. Il avait remarqué la caméra, dans l’un des angles, et surtout ces drôles de gestes qu’il faisait pour se parler à lui-même. Très vite, il se ressaisit et inspira un bon coup : heureusement il n’était pas seul, d’autres candidats étaient embarqués dans la même galère, et cela le rassura un peu. Il s’empara de la croix, du jeu de tarot et des dessins, qu’il glissa contre son ventre en les maintenant avec l’élastique de son pantalon.
Puis il pensa au jeu : on l’avait dirigé dans cette pièce, il devait donc y avoir quelque chose de précis à découvrir, hormis le contenu du tiroir. Peut-être un petit cygne noir ou, alors, un autre objectif. Quelque chose qui lui permettrait d’avancer et de comprendre davantage, en tout cas.
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