— Je n’ai jamais touché à un gramme de drogue. Je t’ai déjà parlé d’un hôpital psychiatrique ?
— Jamais.
Ilan s’éloigna, se promettant de faire des analyses sanguines le lendemain. Il était persuadé qu’on lui avait fourré une saloperie dans le corps. Quelque chose qui lui déréglait tout l’organisme et provoquait ces fichues hallucinations.
Trois heures plus tard, son téléphone vibra dans sa poche.
Il était 4 h 25 du matin.
« Venez au 27 rue de Rennes, Paris, dès que possible. № 38, troisième étage. N’en parlez surtout à personne. Prévenez cinq minutes avant votre arrivée, j’ouvrirai.
B. P. »
Ganté, bonnet sur la tête, Ilan marchait vite dans le Paris du petit matin. Noyé dans l’obscurité, il longeait les façades du boulevard Raspail. Face à lui, la tour Montparnasse se dressait dans le ciel noir tel un interminable morceau de réglisse. Ilan pensa à un paysage de mort, sans verdure, sans eau, qui devait se trouver quelque part aux portes de l’enfer. Il se rappela sa lecture de La Divine Comédie , notamment L’Enfer de Dante, et le décor du jeu vidéo Fallout Redemption , qui se déroulait dans un Paris post-apocalyptique et glacial.
Après avoir envoyé un SMS prévenant Béatrice Portinari qu’il arrivait, il bifurqua rue de Rennes. La ville dormait encore, seuls quelques véhicules fantômes circulaient, les lève-tôt sans visage, qui partaient au travail dans l’air glacé de l’aube.
Il s’arrêta devant le numéro 27. Il s’agissait d’un immeuble à cinq ou six étages, de type haussmannien, avec sa façade blanche travaillée et ses grandes vitres qui reflétaient la lumière des lampadaires. Sans bruit, Ilan poussa une porte cochère et se présenta devant un hall. À gauche, un Interphone avec de multiples sonnettes. En face, une porte en verre, légèrement entrouverte. Béatrice Portinari avait dû en déclencher l’ouverture. De ce fait, Ilan se glissa à l’intérieur, referma précautionneusement derrière lui et s’attarda sur les boîtes aux lettres alors qu’il allumait la lumière.
L’identité, sur celle du numéro 38, était « Annie Beaucourt », et non pas Béatrice Portinari. Ilan pensa qu’il pouvait s’agir d’une colocataire. Il se dirigea vers le troisième étage, à pied. L’endroit était chic. Belles boiseries, hauts plafonds. Une moquette bordeaux absorbait le bruit de ses pas.
Anxieux, il frappa à la porte de l’appartement numéro 38, qui s’ouvrit doucement sous les coups. Ilan attendit sur le palier.
— Il y a quelqu’un ? fit-il tout bas.
Pas de réponse. Visiblement pas de lumière non plus à l’intérieur. Ilan s’avança dans le couloir de l’appartement.
— Je suis Ilan Dedisset. Vous êtes là, Béatrice Portinari ? Annie Beaucourt ?
Cette fois, devant le silence, l’angoisse monta brusquement. Ilan ferma la porte derrière lui et appuya sur un interrupteur. L’ampoule du plafonnier dévoila des murs blancs, quelques objets africains posés sur des présentoirs, et des portes qui menaient dans les différents espaces de vie.
Le jeune homme entreprit de visiter les pièces une à une, tout en signalant chaque fois sa présence. Rien dans la cuisine. Pas mieux dans le salon. Il aperçut un holster accroché au porte-manteau, et à l’intérieur de l’étui en cuir un pistolet. Plus loin, il vit une photo dans un cadre, où une femme blonde était en tenue de flic, à côté d’un collègue albinos, avec ses cheveux blanc platine et ses yeux particulièrement clairs.
Cette femme, il ne l’avait jamais vue.
Et à l’évidence, il était chez elle. Dans son appartement.
Sur d’autres photos, se tenait encore cette même femme blonde. Aucune trace de Béatrice Portinari, la grande brune aux allures de mec. Pourquoi lui avait-elle donné rendez-vous ici ?
Interloqué, Ilan fit demi-tour, laissant les lumières allumées derrière lui comme pour se rassurer. Soudain, il aperçut des traces pourpres sur le parquet. Pas de doute : il s’agissait des marques de sang laissées par un corps qui s’était traîné là. Un corps à l’agonie.
Ilan ne voulait plus avancer et, pourtant, ses jambes le poussaient vers l’avant. Pas après pas, il s’approcha de la porte, sur la droite.
Il entra dans la chambre et appuya sur l’interrupteur.
La scène de crime explosa alors sous ses yeux.
L’inconnue blonde des photos gisait au sol, une main tendue devant elle, les yeux grands ouverts. Et un tournevis était planté à travers son chemisier, en plein dans le dos.
Le tournevis au manche orange, qu’Ilan avait arraché de son cadre durant les tests chez Effexor.
Le jeune homme tituba, recula, se cogna au mur. Il étouffait.
L’impression instantanée que l’immense mâchoire d’un piège diabolique venait de se refermer sur lui.
Il pensa d’abord à fuir. Mais son regard suivait la direction qu’indiquait le doigt de la victime. Dans le coin désigné, il n’y avait rien, hormis une table de chevet avec un tiroir, juste à gauche d’Ilan.
La flic, avant de mourir, s’était traînée jusqu’à sa chambre pour désigner ce petit meuble.
Sans quitter le cadavre des yeux, Ilan se décala sur la gauche et, mains gantées, écharpe sur le nez, ouvrit le tiroir. Elle contenait une clé dorée, de petite taille, qui ressemblait à une clé de cadenas ou de coffre. Juste en dessous, une photo prise sur le vif où Ilan reconnut l’expérimentateur aux cheveux gris qui l’avait reçu chez Effexor, ce Gérald Haitinie. L’homme montait dans une grosse Mercedes verte garée le long d’un grand boulevard.
Tout à coup, une sonnerie retentit dans l’appartement. Trois fois, avec insistance. Ilan était tétanisé.
Ça venait de l’Interphone.
Quelqu’un devait attendre en bas de l’immeuble et cherchait à entrer.
Photo et clé dans la main, le jeune homme dut se faire violence pour se précipiter vers la fenêtre du salon et observer dans la rue.
Deux types attendaient juste à quelques mètres en dessous, éclairés par un lampadaire. Ilan reconnut immédiatement la chevelure blanc platine de l’un des individus. Il s’agissait des hommes sur les photos encadrées.
Des flics.
Il bascula sur le côté quand l’albinos leva les yeux vers les hauteurs de l’immeuble.
Ils étaient là pour lui.
Ils étaient venus le chercher.
Plus le temps de réfléchir. Agir à l’instinct. Ilan fourra la clé et la photo dans sa poche, se précipita vers le palier, jeta un œil à travers la cage d’escalier, perçut un claquement de porte puis les deux silhouettes qui entraient tout en bas.
En apnée, il se dirigea en silence vers les étages supérieurs, tandis que les lampes placées dans toute la cage s’allumaient, comme si elles étaient lancées à sa poursuite. Les flics montaient. Au sixième étage, essoufflé, Ilan appela l’ascenseur. Les portes s’ouvrirent une vingtaine de secondes plus tard.
D’ici une minute, peut-être deux, les policiers appelleraient des renforts, bloqueraient les issues. C’était maintenant ou jamais. Ilan se jeta dans la gueule du loup et appuya sur le bouton pour le rez-de-chaussée.
Portes qui se referment. Descente. Ilan suait sous son bonnet. Il priait pour que les flics ne s’aperçoivent de rien, que l’ascenseur ne s’arrête pas au troisième étage, juste devant leur nez.
Une diode illumina les petits cercles à mesure de la descente. 6, 5, 4… jusqu’à 0. Dès que les battants métalliques s’écartèrent, Ilan se rua dans le hall, déverrouilla la porte vitrée en appuyant sur un bouton et fila dans la rue aussi vite qu’il le put, sans jamais se retourner.
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