— Dispersez-vous ! hurlait un chef. Chacun à son poste ! Bouclez les issues des étages : escalier et ascenseur. Cette fois, nous le tenons !
Sans en écouter davantage, Stefan dépassa les flics et atteignit le perron. D’autres policiers survenaient.
— Que se passe-t-il ? questionnèrent-ils.
— Ce salaud est là, dit Stefan. Il vient de buter un nouveau mec en le balançant dans la cage d’escalier, mais il ne nous échappera pas !
Il se tourna vers Maud et dit d’une voix hargneuse :
— Qu’est-ce que vous fichez là, vous ? Vous ne savez donc pas qu’il est interdit d’entrer dans l’immeuble ? Qui vous a laissé franchir le cordon ? Hein ?
— Un de vos collègues, dit Maud qui avait compris l’astuce.
— Ouais. Eh bien, ça n’est pas le moment de faire du charme ! Montrez-moi un peu le cornichon que vous venez de vamper en plein service.
Les flics présents furent amusés par cette scène. Ils suivirent des yeux le couple et le virent tourner le coin de l’immeuble.
Comme ils s’apprêtaient à pénétrer dans le hall, un grand gaillard roux qui mastiquait des cacahuètes en sortit en trombe.
— Hé ! fit l’un des cops .
Mallory poussa un juron. Depuis l’encoignure où il se cachait, il avait assisté à l’assassinat du flic dévêtu. La scène s’était déroulée avec une rapidité telle qu’il n’avait pu intervenir. Impuissant, il voyait à présent s’enfuir Stefan. Ça tournait vraiment mal.
— Quoi ? demanda-t-il aux policiers.
— Qui êtes-vous ? Vos papiers !
Il regrettait l’impulsion qui l’avait lancé sur les traces du fugitif. Maintenant, il était coincé.
— Inspecteur Mallory ! dit-il d’un air furibard.
— Vos papiers ?
Il porta la main à sa poche afin de gagner du temps. C’est à cet instant qu’un second groupe de policiers surgit de l’immeuble, commandé par le lieutenant Adam.
Adam reconnut Mallory et lui demanda :
— N’avez-vous pas aperçu un homme en uniforme de flic qu’accompagnait une fille rousse ?
Cette heureuse diversion détourna l’attention portée à Mallory.
— Nous venons de les voir ! crièrent en chœur les agents présents. Ils sont partis par là.
— Damned ! C’était notre homme ! Il a tué l’agent Jasper pour s’emparer de son uniforme.
Ce fut une ruée.
Mallory parvint à distancer la meute lancée aux trousses de Stefan. Parvenu devant le cordon de police, il dit :
— Un flic et une souris viennent de passer ?
— Oui, notre collègue l’emmenait chez le pharmacien.
— De quel côté ont-ils filé ?
L’interlocuteur haussa les épaules :
— Je ne sais pas ; ils se sont perdus dans la foule…
Le lieutenant Adam, qui débouchait à son tour, entendit les dernières paroles de l’agent.
Il laissa échapper un gémissement. Avec impuissance il considéra les quelque huit cents personnes obstruant la rue.
— Il nous a eus, dit-il à Mallory. Cet homme est un démon.
— Qu’allez-vous faire ? questionna Mallory.
Cette question ramena l’officier de police aux réalités de sa charge.
— Diffusez un message, ordonna-t-il à ses subordonnés. Que toutes les patrouilles motorisées de service se mettent en chasse. Communiquez le signalement de la fille par-dessus le marché ; pour l’avoir, interrogez les hommes qui se tenaient devant la sortie et qui l’ont vue… Urgent ! Avertissez aussi la population. Renforcez la surveillance des gares, des hôtels, des clubs… Nous devons mettre la main sur lui coûte que coûte, et n’oubliez pas : il nous le faut vivant !
Il se tourna vers Mallory ; mais ce dernier avait disparu à son tour dans la foule.
Jouant des épaules, il bousculait les gens et leur demandait :
— Le flic et la fille rousse ?
Et les gens, terrifiés par son regard impitoyable, balbutiaient :
— Par là…
Il atteignit une station de taxis. Sa brève question recueillit la meilleure des réponses :
— Cette voiture, là-bas ! fit un chauffeur.
Mallory ouvrit la portière.
— Suivez-la, et que Dieu ait pitié de vous si jamais vous la perdez !
DEUXIÈME PARTIE
La poursuite
— Tu as un coin où nous planquer ? questionna Maud.
Stefan se renversa sur la banquette du taxi.
— Tu parles ! dit-il. Maintenant, nous sommes à peu près peinards. Tu as vu comment j’ai joué cette partie ?
— C'était du beau boulot, reconnut la fille rousse. Les flics vont être mauvais lorsqu’ils s’apercevront que tu les as eus.
Stefan ne répondit pas.
Il fouillait les poches de son uniforme.
— Ce type s’appelait Jasper, dit-il en examinant les papiers. Il s’appelait Jasper, mais il n’était pas riche, le mec : 3 dollars 5, c’est pas lerche… Heureusement que nous savons où aller.
Il se retourna et regarda par la vitre arrière.
— Pas de moto, pas de sirène, tout me paraît normal… Le diable si je pensais m’en sortir aussi facilement.
Maud observait également le mouvement de la circulation.
— Tu n’as pas remarqué ? fit-elle. Depuis notre départ de la station, il y a un taxi qui nous suit…
Stefan fronça le sourcil.
— Hum, tu es sûre ?
— Regarde !
Il ne lui fallut pas longtemps pour se rendre à l’évidence. Stefan avait trop l’expérience de ces sortes de choses pour ne pas comprendre que Maud disait vrai.
— Bizarre, fit-il. Les flics ont d’autres moyens de poursuite qu’un taxi pour me courir après. Du reste, cette bagnole ne nous poursuit pas : elle nous suit ! À l’allure où nous roulons, elle n’aurait aucune difficulté à nous rejoindre et même à nous dépasser…
Leur taxi s’arrêta devant un feu rouge. L’autre dut stopper net à sa suite.
— Sapristi ! fit Maud. Je reconnais le type qui est à l’intérieur, il est venu sonner tout à l’heure ; tu sais, c’est le gars qui n’a pas insisté lorsque j’ai élevé la voix. J’avais comme l’impression que ça n’était pas un vrai flic.
Stefan n’osa pas regarder.
— Comment est-il ?
— Grand, costaud, rouquin… Une gueule à part. Rien qu’à le voir manger ses cacahuètes, on prend peur.
Stefan sursauta.
— Tu dis qu’il mange des cacahuètes ?
— Oui…
Il glissa un regard de biais par la vitre.
— Pas de doute, murmura-t-il, c’est bien Mallory.
— Qui ?
— Mallory… Un type de chez nous !
Il resta un instant perplexe. Pourquoi Mallory s’était-il introduit dans l’immeuble de la mort ? Afin de le tirer de ce mauvais pas ? Ça n’était pas le genre de la maison. Dans l’organisation, chacun se débrouillait et n’avait pas de secours à attendre de ses compagnons.
— Qu’est-ce qu’il fait chez vous ? s’enquit la jeune fille.
La question ouvrit brusquement les yeux de Stefan.
— Il… Il… Oh, bon Dieu, ça n’est pas possible !
— Qu’est-ce qui n’est pas possible ?
Il posa sa main sur le genou de sa compagne. Elle fut surprise du changement d’expression qui s’était opéré sur le visage de Stefan.
— Chez nous, fit-il dans un souffle, chez nous, Maud, il fait comme moi : il travaille de la gâchette. Nos chefs ne veulent pas que je tombe vivant entre les mains de la police, c’est pourquoi ils m’ont envoyé Mallory. Maintenant que je suis brûlé, je suis tout juste bon pour faire un mort !
— C'est pour… pour ça qu’il te suit ?
— Sans aucun doute. Autrement, il se serait manifesté. Mallory a reçu l’ordre de m’allonger, et il va le faire.
Ils se laissèrent véhiculer sans rien dire, puis Maud demanda :
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