— Perdu quelque chose ? lui demanda narquoisement l’inspecteur qui avait commandé les perquisitions.
Il ne répondit rien, ce qui était le meilleur moyen d’éviter une conversation embarrassante.
Écœuré, l’autre haussa les épaules et le laissa à ses recherches.
Mallory avançait lentement, le nez presque à ras de terre, examinant le sol méthodiquement. Il savait reconnaître les taches de sang, même noircies, parmi toutes les autres taches. Çà et là, il en découvrit de nouvelles, presque effacées par les allées et venues.
Soudain, il en aperçut plusieurs. Elles étaient de la grosseur d’une tête d’épingle et se trouvaient groupées devant une porte.
Un faible sourire se dessina sur les lèvres du géant roux.
S'étant relevé, il lut le nom qui brillait sur la plaque : « MOOR ».
Mallory tira de son inépuisable poche une nouvelle pincée de cacahuètes et, après avoir sonné, se mit en devoir de les éplucher.
Stefan avait regardé la porte se refermer sur les flics, puis avait recraché sa fausse fluxion de papier et s’était retourné vers Maud.
La jeune fille attendait ce regard. Un léger sourire — un peu crispé — lui déformait les lèvres.
— Merci, dit Stefan.
Il aurait voulu trouver des mots plus appropriés, mais aucun ne lui venait à l’esprit.
— Merci, répéta-t-il.
Puis il ajouta :
— Pourquoi ne m’avez-vous pas donné ?
Maud jeta son pinceau à vernis sur une tablette de verre et haussa les épaules.
— Pas mon genre, fit-elle.
Stefan remarqua le voile de tristesse tombé sur le visage de sa compagne.
— C'est rudement chic à vous, frangine… Et moi qui avais pris un tas de précautions idiotes pour vous neutraliser…
— Laissez tomber, fit-elle avec lassitude. J’ai un frère qui a mal tourné. Une bêtise : il avait passé la main dans le tiroir-caisse d’un épicier ; le type s’en est aperçu, il a ameuté tout New York, mon frère a voulu le faire taire, un flic s’est ramené pendant qu’il serrait le cou à l’épicier, il lui a fendu le crâne d’un coup de bâton pour lui faire lâcher prise. Le petit gars est mort. Peut-être que c’était un coup malheureux, mais, depuis ce temps-là, j’aime pas les flics.
— Sûr, approuva Stefan.
Il se disait que le hasard l’avait bien servi en le faisant sonner à la porte de cette fille.
Maud demanda :
— Vous avez buté quelqu’un ?
— Oui…
Elle frissonna :
— Pour de bon ?
— Il n’y a pas plusieurs façons d’être mort, sourit Stefan. J’ai mis en l’air un homme et sa poule.
— Pourquoi ? Cambriolage ?
Le tueur haussa les épaules.
— Pas mon genre, fit-il du même ton qu’avait pris la fille rousse pour prononcer quelques secondes auparavant la même phrase. Question… politique.
— Ah bon, murmura-t-elle.
Elle n’avait pas encore rabattu sa jupe et les yeux du tueur se perdirent dans ses dessous vaporeux. Il rougit légèrement sous le flux du désir qui, brusquement, le submergeait.
— Tu es belle, dit-il.
Sa voix s’était faite rauque.
— Vous croyez que c’est vraiment le moment de débiter des compliments ? questionna-t-elle.
— C'est toujours le moment, affirma-t-il en s’approchant d’elle.
Maud le regarda gravement. Un léger hérissement de ses pores traduisait son appréhension.
Stefan comprit qu’elle avait peur de lui. Or le tueur aimait les femmes qui avaient peur de lui. Il les trouvait plus désirables que les autres. Il passa le bout de sa langue avec gourmandise sur ses lèvres.
— Que… que… voulez-vous ? balbutia la fille rousse.
Un rictus mauvais marquait la bouche de Stefan.
— Toi, dit-il, rien que toi…
Il avança les mains et saisit ses épaules nues.
Ce contact lui procura une telle émotion qu’il fut obligé de retirer ses doigts et de les enfouir dans les poches du pyjama afin de dissimuler leur contraction.
— Tu es une fille formidable, dit-il.
Ces paroles, prononcées d’un ton tendre, vainquirent les hésitations de la jeune fille. Elle tourna vers son compagnon un visage illuminé.
— Tu me plais, ajouta-t-il encore.
Maud tendit ses lèvres et il la prit dans ses bras ; leurs bouches se joignirent.
Ils s’embrassèrent longuement.
Emporté par sa fièvre, Stefan en oublia la gravité de sa position. Il prit Maud dans ses bras et la porta jusqu’à la chambre à coucher.
— Maud ! Maud ! bégayait-il comme un enfant.
* * *
Un peu plus tard, il avait recouvré tout son sang-froid. Il regarda sa partenaire allongée sur la couche de volupté. Il se dit qu’il avait un sacré courage, de s’occuper d’une souris dans un pareil moment.
Il revêtit son costume et s’approcha de la porte d’entrée en tendant l’oreille. Un murmure de conversation lui parvenait du couloir. Il colla son oreille contre le trou de serrure, essayant de comprendre les paroles qui s’échangeaient. C’est ainsi qu’il parvint à entendre les ordres donnés par le lieutenant Adam au sujet des policiers qui l’avaient vu, en prévision d’une confrontation générale avec les locataires.
Il ne disposait que d’un très bref sursis. Il fallait aviser. Et dire qu’il venait de perdre un temps précieux en compagnie de Maud, dans la chambre à coucher !
Elle l’avait rejoint dans le vestibule.
— Que se passe-t-il ?
Il haussa les épaules :
— Tu le demandes ! Les recherches se poursuivent. Pas moyen de quitter l’immeuble. Ils vont procéder à une confrontation détaillée de tous les occupants de l’immeuble avec les flics auxquels j’ai échappé. Bon Dieu, ce que ça va mal !
Il lui demanda, haineux :
— Tu n’as pas peur ?
— Non, pourquoi ?
— Si on me trouve ici, il va t’arriver les pires ennuis. Les flics ne te pardonneront pas ton bluff de tout à l’heure. « Recel de malfaiteur » : c’est un truc à t’envoyer au ballon pour des années. Merde, ça ne te tracasse pas, la perspective de fabriquer des tonnes de chaussons ?
— Ne dis pas de bêtises. On ne te prendra pas.
— Comment ça ?
— Tu vas trouver un système pour filer.
Tant de tranquille assurance dopa le tueur. Elle avait un cran terrible, cette souris. Un tas de soi-disant durs auraient pu en prendre de la graine.
À ce moment, on sonna.
Stefan et Maud s’entre-regardèrent.
— Va dans la salle de bain, chuchota-t-elle.
Lorsqu’il eut disparu, elle ouvrit la porte et se trouva nez à nez avec un grand gaillard roux qui mangeait des cacahuètes.
— Vous désirez ? fit-elle.
— Police, mentit Mallory.
— Encore ! Vos copains ont déjà passé la cabane au peigne fin.
— Je sais, dit Mallory. Vous êtes seule ?
— Si vous saviez tant de choses que ça, vous n’ignoreriez pas que je suis avec mon mari. Il est en train de prendre son bain. Faut-il que je l’appelle ?
Son assurance dérouta Mallory. Il hésita une seconde sur la conduite à tenir. Maud mit son incertitude à profit.
— Vous commencez par me courir, avec votre tueur, éclata-t-elle. Pas la peine de mobiliser tous les flics du pays pour ne pas être fichu de mettre la patte sur un buteur à la noix.
Elle criait presque. Mallory eut peur que ses éclats de voix attirassent l’attention de ses pseudo collègues. Il marmonna quelque chose et se retira.
Il n’alla pas loin. Une porte voisine s’ouvrit et une vieille dame ridée comme une morille montra son nez pointu.
— Toujours rien ? demanda-t-elle.
— Non, fit laconiquement Mallory.
— C’est affreux de penser qu’un dangereux bandit se cache peut-être sous votre toit. Si on ne l’a pas attrapé d’ici ce soir, je demanderai à Miss Moor de coucher chez moi…
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