Il se baissa, la prit par les pieds et, de toutes ses forces, la poussa en avant.
Elle jaillit à l’extérieur comme la femme-obus. Son cri décrut et cessa pour être remplacé par la clameur horrifiée de la foule.
Le tueur essuya d’un revers de manche la sueur qui dégoulinait sur son front et suça son doigt blessé.
Les événements prenaient une tournure déconcertante. Que faire ? D’ici quelques minutes, tous les flics de la ville se lanceraient à sa poursuite.
Il regarda le corps inanimé de Bukhauser. Le mort n’avait pas lâché son chapeau. Stefan s’en fit la remarque et, malgré la gravité de l’heure, ne put s’empêcher de sourire.
Il ramassa sa mitraillette. S’il avait au moins eu l’idée de se munir de chargeurs de rechange…
Tant pis ! Il allait tout de même essayer de s’en sortir. Il courut à la porte et l’ouvrit. Le couloir était noir de monde ; tous les voisins attirés par le remue-ménage étaient là, frissonnant de peur et de curiosité.
Stefan promena sa mitraillette vide de gauche à droite, puis de droite à gauche.
— Le premier qui lève un doigt, je le sucre, dit-il avec aplomb.
Les assistants se pressèrent contre le mur, l’air éperdument servile.
Le tueur comprit qu’il ne rencontrerait pas de résistance de ce côté ; les braves gens qui se pressaient dans le corridor n’appartenaient pas à la race des héros.
Il allait s’engager dans l’ascenseur, mais il pensa à temps qu’il suffirait que l’un de ces froussards ouvrît la porte pour qu’il se trouvât bloqué dans la cabine comme un renard pris au piège.
Il préféra l’escalier dans lequel il se lança à folle allure.
Il parvenait au second lorsqu’il aperçut les casquettes plates des cops .
« Je suis fait », se dit-il.
Heureusement, son subconscient travaillait pour son salut.
— Au secours ! hurla-t-il en dissimulant sa mitraillette sous son pardessus. Au secours, on se tue là-haut !
Les flics pressèrent l’allure.
Ils étaient quatre. Le sergent qui les commandait lui dit :
— Du calme ! C'est au sixième, n’est-ce pas ?
— Oui. J’ai entendu des coups de feu.
À ce moment, un concert de cris et d’imprécations tomba du sixième. C’étaient les voisins qui s’étaient enhardis et qui, penchés par-dessus la rampe, alertaient les policiers.
— Arrêtez-le, c’est lui ! Ne le laissez pas filer !
Les flics changèrent de visage et stoppèrent net. Tous les quatre portèrent la main à leur feu.
— Bougez plus ! grinça Stefan. Bougez plus, nom de Dieu, ou je vous fous en l’air tous les quatre !
Il venait de produire sa mitraillette et tenait en respect les quatre agents. Tous quatre connaissaient suffisamment la psychologie criminelle pour se rendre compte que Stefan était un individu déterminé.
— Les mains en l’air ! insista ce dernier.
Trois d’entre eux obéirent, mais le quatrième — un jeune rouquin qui devait penser à son avancement — dégaina son revolver.
Stefan fut sur lui en deux enjambées et lui abattit la crosse de sa mitraillette sur le sommet du crâne. L’homme bascula dans l’escalier en poussant un grognement de bœuf. Stefan fonça à nouveau. Maintenant, les copains du flic savaient que son arme n’était pas chargée et il allait y avoir du vilain.
En effet, les balles se mirent à bourdonner autour de Stefan comme des abeilles autour d’une ruche. Il poursuivit sa descente en prenant soin de se tenir plaqué contre le mur.
Enfin il fut dans le hall d’entrée.
Trop tard ! D’autres flics survenaient. Il devait en rappliquer de tous les côtés. Il était salement poissé.
— Comme un rat ! gronda-t-il.
Il aperçut une porte au rez-de-chaussée et s’engouffra par l’entrebâillement. Par chance, la clé de la porte était restée sur la serrure, à l’intérieur. Il donna un tour et examina les lieux.
Il se trouvait dans la montée d’escalier des communs. Un petit ascenseur réservé aux fournisseurs s’offrait à lui. Il y entra et appuya sur le bouton du dernier étage. Cela ne servirait pas à grand-chose, simplement à retarder le moment fatal où on lui passerait des bracelets d’acier (à moins, bien entendu — c’était encore la meilleure solution — qu’une balle bien ajustée ne vienne interrompre sa carrière). Mais quelques secondes de répit étaient bonnes à prendre !
Il entendait des coups de boutoir dans la porte qu’il venait de fermer à clé. L'oreille tendue, il guetta à travers le zonzonnement de l’ascenseur les gémissements du bois. Pourvu que cette porte soit assez résistante !
Elle céda à l’instant précis où il sortait de la cabine, qu’il bloqua en ne refermant pas la porte pliante.
Maintenant il s’était fait au rythme des événements. Ses sens travaillaient à toute allure, avec une acuité qu’il n’aurait jamais soupçonnée.
Il constata qu’il se trouvait à l’étage des combles. Une lucarne ouvrait sur le toit. Pour l’atteindre, il dut escalader la grille de protection de l’ascenseur et grimper sur la cabine. Un rétablissement le hissa sur le toit de zinc.
Il se repéra ; ce tour d’horizon s’avéra décevant. L’immeuble formait tout un bloc et était borné par quatre rues infranchissables.
Stefan avait l’impression de vivre un cauchemar. Chaque seconde de sa vie était hérissée de dangers. Il avait affaire à une gigantesque et monstrueuse coalition. Jusqu’au toit enneigé sur lequel il avait peine à tenir debout. Il marcha avec d’infinies précautions en direction d’une autre lucarne. Il se retournait à tous moments pour vérifier s’il était suivi, mais personne n’apparaissait. Il se trouvait seul sur le toit. Sans doute ses poursuivants fouillaient-ils les combles avant de se lancer sur ses traces.
Cela gagnait du temps.
Gagner du temps ! C’était désormais son seul objectif, sa seule pensée.
Gagner du temps…
D’un coup de talon rageur, il fit voler en éclats les vitres de la seconde lucarne et s’y introduisit sans prendre garde aux langues de verre qui lui labouraient les flancs.
Il lâcha le rebord de l’ouverture et chut dans un nouveau couloir. C’était la même tristesse grisâtre, la même suffocante odeur de poussière accumulée.
Il prêta l’oreille. Cette partie de l’immeuble paraissait paisible. Les recherches ne s’étaient pas étendues jusque-là. Il se hasarda jusqu’au palier que l’émoi n’avait pas gagné. Combien de temps cette paix allait-elle durer ?
D’une seconde à l’autre, l’alerte allait être donnée et il y aurait cette même foule jacassante et apeurée des locataires palabrant avec des gloussements sur le pas de leurs portes.
Descendre ? Toutes les issues devaient être gardées. Stefan savait que le premier soin des flics en pareil cas est de cerner tout le bloc. Il fallait trouver autre chose.
Comme une vague rumeur s’élevait en bas, il brusqua les choses et sonna à une porte sur laquelle se lisait le mot : « MOOR ».
Il y eut un bref silence, puis il se produisit un bruit furtif et l’huis s’ouvrit pour laisser apparaître une jolie fille rousse aux yeux verts.
Elle considéra Stefan assez nonchalamment.
— Vous désirez ? demanda-t-elle.
— Mr. Moor, répondit Stefan afin de se donner le temps de réfléchir.
Elle parut surprise.
— Je suis Miss Moor, il n’y a pas de Mr. Moor ; vous devez faire erreur, j’habite seule ici.
— O.K., grogna Stefan en foudroyant la belle rousse d’un crochet au menton.
Les services de police diffusèrent par radio, à l’intention des New-Yorkais en général et des habitants de la 14 eRue Ouest en particulier, l’appel suivant :
Читать дальше