Mallory tiqua.
— Miss Moor ? dit-il.
— Ma voisine.
— Tiens, c’est une demoiselle ? Je la croyais mariée.
— Oh non ! dit la vieille dame. Elle vit toute seule ici.
— Ah ! murmura Mallory en se pinçant le nez. Toute seule…
Stefan aperçut un policeman en faction de l’autre côté de la rue. Décidément, les flics lui faisaient le grand jeu.
Ce représentant de l’ordre lui donna une idée.
— Dis donc ? murmura-t-il.
Maud, qui achevait de se vêtir, tourna la tête de son côté.
— Oui ?
— Si tu étais une fille à la hauteur, tu te débrouillerais pour attirer ici un flic en uniforme.
Elle ouvrit de grands yeux.
— Sans blague !
— Tu crois que j’ai le cœur à blaguer ?
— En uniforme ?
— Oui. Imagine-toi que ça n’est pas le flic qui m’intéresse, mais son costume…
— Compris.
— Tu saisis : c’est la seule façon pour moi de sortir d’ici.
Elle esquissa un vague signe d’acquiescement et sortit de l’appartement.
— Surtout, lui lança Stefan, débrouille-toi pour qu’il soit seul : un uniforme suffira. Et puis, veille aussi à ce que le gars soit à peu près de ma taille.
— Je peux aussi prendre ses mesures ? sourit-elle.
Il regarda la porte se refermer. Une sourde angoisse lui comprimait la poitrine. Pourvu que Maud soit O.K. jusqu’au bout… Pourvu qu’elle sache manœuvrer…
Il fureta dans la cuisine à la recherche d’une arme quelconque, mais Maud n’avait que d’honnêtes couteaux de table à la lame arrondie. Il choisit un poids d’une livre qui se trouvait sur une étagère, près des plateaux d’une balance, et le glissa dans sa poche. À la rigueur cet objet pourrait remplacer un coup de poing américain.
Comme il revenait dans le studio, la porte d’entrée s’ouvrit et Maud réapparut, précédant un agent.
— C'est par là, dit-elle en entraînant l’homme en direction de la salle de bain. Mon mari assure que la fenêtre était fermée, tout à l’heure. Je ne pense pas qu’un individu puisse entrer par là, mais il ne faut rien négliger, pas vrai ?
Le policier était jeune et timide. On voyait tout de suite que le charme de Maud agissait sur lui. Il ne devait guère prendre au sérieux son verbiage de petite froussarde, mais, pour lui, c’était une aubaine.
— Salut, dit-il à Stefan.
La vue du tueur le rendit maussade. Il aurait préféré examiner cette fameuse fenêtre seul avec la fille rousse.
— On vous dérange, sergent, lui dit aimablement Stefan.
Ce grade que lui octroyait généreusement l’assassin compensa la déception du policier. Il était sensible aux louanges comme aux sourires des personnes du sexe opposé.
— Voyons voir, fit-il avec importance.
Stefan assura le poids dans sa main.
— Regardez en l’air, invita-t-il en souriant.
Sans la moindre défiance, l’autre leva docilement la tête et le tueur lui porta un coup terrible derrière la nuque.
Maud poussa un petit cri effrayé et se cacha le visage dans ses mains.
Quant au flic, il ne dit rien, ne laissa pas même échapper un soupir ; il s’écroula d’une seule masse et sa pauvre tête heurta le rebord de la baignoire.
— C’est affreux, gémit Maud.
— Entendu, ricana Stefan. Affreux… Seulement, je n’ai plus le temps de chicaner sur les moyens, il n’y a que le résultat qui compte…
— Il est… il est…
— Qu’est-ce que ça peut faire qu’il le soit ou non ?
Tout en parlant, il s’était agenouillé au côté de sa victime et avait entrepris de lui ôter son uniforme.
— Voilà du travail propre, fit-il observer : pas une tache de sang, pas un grain de poussière ; on jurerait que ces fringues sortent du pressing.
Il ne mit pas deux minutes pour les passer.
Maud avait eu le coup d’œil précis, car elles étaient tout à fait à sa taille.
— Je suis bath, fit-il en se regardant complaisamment dans la glace du lavabo. J’aurais un succès fou chez les bonniches, si j’avais le temps de leur conter fleurette. Bon, reprit-il, son examen terminé, je pense pouvoir risquer le paquet.
Il tendit les bras à Maud.
— Au revoir, petite, tu auras été de première ; si je m’en tire, je te jure bien qu’on se reverra. Merci pour… pour tout !
Elle se campa devant lui.
— Et moi ? fit-elle.
— Quoi, toi ?
— Non, sans rire, tu vas m’abandonner dans cet immeuble ?
— Que veux-tu que je fasse ?
— Alors, je me fais ta complice, je risque Sing-Sing [1] Fameuse prison américaine.
pour toi, et tout ce que tu trouves à me dire, c’est « Au revoir » ! Tu me laisses au milieu des flics, avec un type out dans ma salle de bain ? Rien que pour ça, ils m’enverraient dans un pénitencier jusqu’à ce qu’il me pousse des champignons sur les pieds.
Stefan était bien contrarié par cette explosion à laquelle il s’attendait du reste bien un peu.
— Voyons, fit-il, réalise un peu : je ne suis pas encore dehors. Je ne parviendrai peut-être pas à quitter cette bon Dieu de boîte, et tu parles de partir avec moi… ?
Elle vit passer une étrange lueur dans le regard de son partenaire.
— Non, dit-elle vivement, ne me cogne pas. Sois réglo, que diable ! Sans moi, tu serais déjà dans un bureau d’inspecteur-chef, à poil, avec un projecteur dans les yeux.
Le poing que Stefan avait déjà serré se rouvrit. Il prit Maud par les épaules.
— Non, fit-il, j’suis pas un salaud, petite, pas un salaud… Entendu, tu viens, et tant pis si ça casse.
Il chargea sur ses épaules le corps inanimé du flic.
— Que vas-tu faire ? demanda Maud.
— Va voir s’il y a du monde sur le palier.
— Je veux savoir ce que…
— Va voir s’il y a quelqu’un sur le palier et boucle-la ! répéta-t-il.
Le palier était désert. Tout le remue-ménage s’était concentré aux étages inférieurs où les contre-perquisitions venaient de commencer.
Ployant sous le poids de son étrange colis, Stefan évalua la distance séparant la cage d’escalier de l’ascenseur. Il l’estima à une vingtaine de mètres.
— Va à l’ascenseur ! ordonna-t-il à sa compagne. Entre dans la cabine et garde la porte ouverte jusqu’à ce que je revienne, compris ?
Elle commençait à devenir docile jusqu’à la servitude. Sans mot dire, elle pénétra dans la cage grillagée.
Stefan s’approcha de la volée de marches et posa son fardeau en équilibre sur la rampe. En se penchant, il pouvait apercevoir le fourmillement des forces de police au rez-de-chaussée. D’ici quelques secondes, les flics auraient une surprise de taille. Une surprise qu’il devrait mettre à profit pour…
Le policier auquel il avait ravi son uniforme poussa un léger soupir. Il reprenait conscience. Pas pour longtemps !
D’une secousse, Stefan le fit basculer par-dessus la rampe.
Il ne perdit pas de temps à suivre sa trajectoire et se rua dans l’ascenseur.
Maud, qui de loin avait suivi des yeux la scène, était livide. Stefan la repoussa au fond de la cage dont il referma la porte avant d’appuyer sur le bouton du rez-de-chaussée.
La descente fut rapide, mais pas autant qu’il aurait voulu. Même s’il était descendu en chute libre, il eût encore trouvé le temps long. Car tout était calculé à des fractions de seconde près dans son plan machiavélique.
Enfin ce fut le rez-de-chaussée. Il fit signe à Maud de le suivre et se dirigea calmement vers la foule de flics — tant civils qu’en uniforme — qui entourait le cadavre du policier.
Читать дальше