À force de reculer, il pénétra dans l’entrepôt.
Personne ne lui barra le passage. Il se détourna et, revolver au poing, fonça entre des piles de caisses.
La voix du haut parleur le poursuivait toujours :
— Ne tirez pas, Stefan Bookitco, il ne vous sera fait aucun mal ! Nos hommes ont l’ordre formel de ne pas vous abattre. De ne rien tenter contre vous ! Si vous en apercevez un, épargnez-le et vous aurez la vie sauve !
— Ils sont devenus dingues, marmonna Stefan.
L'entrepôt était immense et désert.
Le tueur chercha une issue, il n’en trouva pas. Il n’en existait pas d’autre que celle par où il venait d’entrer.
Si, pourtant !
Levant la tête, il découvrit une large ouverture située à trois mètres du sol. Cette ouverture devait servir au délestage des gros camions.
Pour l’atteindre, il grimpa sur une pile de caisses.
De son perchoir, il découvrit une impasse vide. Il se jucha sur l’encadrement de l’ouverture et il allait sauter lorsque la voix de Maud retentit :
— Stefan !
Il sursauta et se retourna.
La jeune fille venait de pénétrer dans l’entrepôt.
Elle était hors d’haleine.
— D’où viens-tu ? questionna Stefan.
— Oh, mon chéri, c’est tout une histoire… Pendant que tu étais dans la salle de bain, il…
— Baumann ?
— Oui. Il m’a jeté un verre de whisky dans les yeux, a pris mon revolver et m’a contrainte à sortir… Dehors il y avait plein de flics…
— Ils t’ont laissée venir là ? questionna le tueur en fronçant les sourcils.
— Oui, c’est eux qui m’envoient. Ils ne veulent pas que tu tires.
— Ma réputation de tireur est bien établie, à ce que je vois.
— Sans doute, dit-elle.
Il haussa les épaules, incrédule.
— Doit y avoir autre chose…
— Que veux-tu qu’il y ait ?
— Je ne sais pas.
— Il faut te rendre, Stef.
— Jamais !
— Si tu te rends, ils t’accorderont la vie sauve.
— Du flan ! Ils veulent arrêter la casse parce qu’ils savent que je n’hésite devant rien. Mais leurs boniments à la graisse d’oie me font rigoler.
— Il le faut, répéta-t-elle.
Il descendit à ses côtés.
— C’est toi qui me dis ça ? Tu sais pourtant ce que je risque. Allez, viens, gosse, on va encore jouer notre va-tout ! Barrons-nous par là !
Elle secoua la tête.
— Nous sommes cuits, Stef.
Il s’emporta.
— Viens !
— Non, Stef.
— Ah, fit-il en claquant les doigts. Tu t’es laissée avoir par leurs salades ? Écoute, ce qu’ils ont pu te dire, je m’en balance. Je veux que tu viennes, et tu viendras. On sera peut-être foutus en l’air, mais on aura risqué le pacson.
Elle vit qu’il n’hésiterait pas à l’abattre s’il n’obtenait pas satisfaction.
— Puisque tu le veux, soupira-t-elle.
Il la prit dans ses bras afin de la hisser sur la pile de caisses permettant d’accéder à l’ouverture.
Elle mollit.
— Un instant, Stef.
— Quoi donc ?
— Embrasse-moi, dis.
— C'est bien le moment !
— Tu disais hier que c’était toujours le moment.
Stefan posa son revolver. Elle s’en empara et recula.
— C’est sûrement le dernier, dit-elle farouchement.
— Quoi ?
Il ne comprenait pas.
— T'es scié, Stefan. Ta brillante carrière d’assassin s’achève ici.
Elle reculait toujours.
— Arrivez ! hurla-t-elle à pleins poumons. J’ai l’arme.
Il se produisit aussitôt un grand martèlement et des flics surgirent de tous côtés.
— J'ai l’arme, répéta-t-elle, triomphante.
Stefan restait les bras ballants.
— Quoi ? quoi ? faisait-il.
— Je t’ai eu, dit Maud. Jusqu’à la gauche. Depuis le début. Hier, ton coup fait, tu t’es réfugié chez moi, quelle ironie du sort ! J’appartiens aux services de contre-espionnage, mon pauvre vieux, et justement j’étais chargée de surveiller les agissements de l’homme que tu étais venu abattre : Bukhauser. Nous voulions remonter jusqu’à la bande et tu étais la seule filière possible. Il ne fallait pas que tu meures avant d’avoir parlé. Je t’ai drôlement manipulé, hein ? Tu m’as livré les adresses de tes chefs. J’ai bien failli laisser mes os chez eux. Seulement, nous ne pouvions entreprendre d’opérations de grande envergure, car ils possédaient l’invention qu’ils avaient volée le mois passé : le pistolet atomique, celui-ci — ponctua-t-elle en brandissant l’arme qu’elle venait de ravir à Stefan. Il fallait agir en douceur. Comprends-tu maintenant pourquoi on te suppliait de ne pas tirer ? En pressant cette gâchette, tu risquais de faire sauter la moitié de New York !
Stefan était tout pâle, mais souriant.
— Par une gonzesse…, murmura-t-il.
Il regarda le pistolet.
— Dire que j’avais ça entre les mains et que je n’en savais rien. J’aurais pu me faire élire Président des États-Unis, avec un truc pareil !
— Heureusement que j’en avais la description exacte, car le pire aurait pu arriver, reprit Maud. Lorsque Katz l’a sorti du coffre, je l’ai reconnu d’emblée. Pendant que tu te rasais, j’ai embarqué Baumann qui me gênait. La police cernait l’immeuble. J’ai attendu en bas avec le lieutenant. Je craignais de ne pas avoir le temps de remonter avant que tu te sois rendu compte de ma fuite. Tu aurais pu avoir un mouvement d’humeur et me tirer dessus.
Le lieutenant Adam s’avança avec les menottes.
— Jamais je n’ai connu une pareille angoisse, avoua-t-il. Vingt-huit minutes exactement. J’ai chronométré !
Au moment où il s’apprêtait à passer les bracelets à Stefan, celui-ci lui décocha une bourrade et sauta de côté.
— Arrêtez ! ordonna le lieutenant. Cette fois, nous tirerons.
Mais, sans répondre, Stefan entreprit d’escalader les caisses.
— Feu ! cria Adam.
Une brève salve déchira le silence.
Stefan lâcha son point d’appui et tomba au bas de la montagne de ballots.
— Il a son compte, conclut un policier.
Le tueur fit un mouvement, comme s’il essayait de se remettre sur son séant.
— Par… une… gonzesse… ! fit-il faiblement.
Puis il retomba. Mort.
Fameuse prison américaine.