— Vous avez un pyjama ? demanda-t-il.
Elle lui désigna un meuble d’angle. Il l’inventoria rapidement et s’empara d’un pyjama bleu.
— Une chance que je ne sois pas un caïd costaud, marmonna-t-il. Ce truc doit m’aller…
Il se dévêtit devant Maud. Il n’avait pas le temps d’être pudique. Le pyjama était un peu juste, mais il rentrait dedans, c’était l’essentiel.
Il ébouriffa ses cheveux, roula un morceau de papier et se le fourra dans la bouche afin de simuler une fluxion.
Son aspect s’en trouva soudainement modifié.
— Les flics vont rappliquer d’un moment à l’autre, dit-il. C'est moi qui leur ouvrirai. Pendant que je discuterai le bout de gras avec eux, vous resterez dans la salle de bain. Je vous conseille de ne pas appeler à l’aide, car cela se passerait très mal pour votre pomme : j’ai des amis…
Il lui fit signe de le suivre dans le cabinet de toilette qu’il trouva du premier coup, sans le moindre tâtonnement, comme si les lieux lui étaient familiers.
— Je vais vous boucler là-dedans, fit-il.
Il ouvrit à fond les robinets et l’eau jaillit avec un bruit impétueux.
Pour que des appels éventuels de la fille fussent entendus du living-room, il faudrait qu’elle fermât les robinets. De la sorte, il saurait tout de suite si elle ne se montrait pas régulière.
— Laissez couler la flotte, fit-il. Je ne veux pas que vous touchiez à ces robinets, compris ?
Elle hocha du chef et s’assit sur un tabouret blanc. Il la vit s’emparer d’une brosse à cheveux. À gestes harmonieux, elle la passa dans son éblouissante chevelure.
— Well , murmura-t-il, faites-vous une beauté, chérie. C'est, pour une femme, le meilleur des passe-temps !
Il sortit de la salle de bain et tourna la minuscule clé dans la serrure.
Il pouvait considérer Maud comme neutralisée car non seulement ses cris éventuels seraient inaudibles, mais encore elle ne pourrait entendre le coup de sonnette des policiers.
Pour plus de sécurité, il mit la radio.
Il chercha parmi les stations un programme bruyant et s’arrêta sur du Wagner.
Maintenant il était paré.
À moins que l’un des flics qu’il avait croisés tout à l’heure en descendant l’escalier ne fasse partie de la patrouille de perquisition, il parviendrait sûrement à s’en tirer.
Les minutes lui parurent des heures. Il marchait de long en large dans la pièce comme un ours en cage. Enfin le coup de sonnette tant redouté vrilla son tympan.
Il jeta un regard à la glace. Sa fluxion était bien en place ; il ressemblait vraiment à un pauvre bougre de locataire gavé d’aspirine. Il éteignit l’électricité ; à contre-jour, il serait moins identifiable. Il rafla dans l’armoire un mouchoir qu’il tint appuyé sur sa joue.
L'eau continuait de couler dans la salle de bain et la radio de déverser ses torrents d’harmonies.
Il inspira profondément et, comme un toréador qui pénètre dans l’arène, il alla ouvrir.
Trois hommes se tenaient sur le palier : un civil et deux agents. D’un prompt coup d’œil, Stefan vit que, contrairement à ce qu’il redoutait tant, aucun de ceux qui l’avaient vu auparavant ne se trouvait là.
— La police ? fit-il d’un ton ahuri.
— Excusez-nous, dit le flic en civil en faisant un pas en avant.
— Que se passe-t-il ? bégaya le tueur.
— Comment ! fit l’inspecteur. On se mitraille dans votre immeuble et vous n’en savez rien ?
— On se mitraille ? fit Stefan.
— Vous n’avez rien entendu ?
— Mon Dieu non, je suis au lit avec un oreiller sur la tête, rapport à cette sacrée dent : vous voyez pas cette tirelire que ça me fait, inspecteur ?
Les deux agents rirent bruyamment et l’inspecteur dut les rappeler à l’ordre.
— Et alors, reprit Stefan, lequel jouait à merveille son rôle, vous dites comme ça qu’on se tue dans la maison ? C’est une bagarre ou quoi ?
— Vous lirez tous les détails dans les journaux de l’après-midi, dit le policier en haussant les épaules. Vous n’avez vu personne ?
— Qu’entendez-vous par personne ?
— Un type qui se planquait ?
— Et où voulez-vous que je l’aie vu, inspecteur, puisque je n’ai pas quitté mon lit depuis hier au soir. Bon Dieu, cette putain de dent ! Les cachets n’y font rien. À votre avis, je devrais voir un dentiste ou carrément un toubib ?
L’inspecteur lui jeta un regard mauvais qui le fit frémir. C’était un homme qui ne goûtait pas la plaisanterie, non plus que les niaiseries.
— Allez voir un ébéniste si ça vous chante, j’ai bien d’autres chats à fouetter. Donc vous n’avez rien vu, rien entendu ?
— Rien vu, rien entendu, répéta Stefan d’une voix geignarde.
— Vous êtes seul ici ?
Il hésita une brève seconde. Le coup des robinets ouverts risquait de se retourner contre lui, car il témoignait d’une présence dans la salle de bain.
Son trouble fut perceptible à l’inspecteur.
— Jetez un coup d’œil dans les autres pièces, les gars, ordonna celui-ci aux agents.
— La porte est fermée de l’extérieur, remarqua-t-il en fronçant les sourcils. Ça veut dire quoi ?
Sans attendre de réponse, il tourna la clé et pénétra dans la salle de bain. Stefan crut que son cœur allait s’arrêter de battre. Il passa la tête par-dessus l’épaule du policier et regarda.
Maud se tenait sagement assise sur son tabouret. Elle était occupée à se passer un vernis incarnat sur les ongles des pieds.
— Pardon, lâcha brièvement l’inspecteur, surpris.
Maud le regarda à travers le rideau flamboyant de ses cheveux répandus devant son visage.
— Qui est-ce, Charlie ? demanda-t-elle à Stefan.
Stefan l’aurait embrassée. Il se dit que c’était vraiment une souris à la hauteur.
— Oh, un inspecteur, chérie, fit-il. Il paraît qu’il y a eu du grabuge dans l’immeuble, et ces messieurs fouillent la cabane…
— Sans blague ! s’exclama-t-elle. C’est marrant, l’aventure à notre porte. Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Un double meurtre, précisa le policier. Si vous trouvez ça marrant, tant mieux pour vous.
Maud pâlit et les ailes de son nez se pincèrent. Stefan sentit qu’elle hésitait. Le crime était trop grave pour qu’elle fît son jeu plus longtemps.
Ç’avait beau être une chic gosse, elle ne pourrait avaler la pilule.
— On sait qui a fait le coup ? demanda-t-il vivement afin de détourner l’attention.
— Pas encore, mais on a le signalement du meurtrier. Il n’ira pas bien loin…
À nouveau suspicieux, l’inspecteur questionna :
— Pourquoi étiez-vous enfermée dans la salle de bain, de l’extérieur ?
C'était rudement moche, comme question. Stefan regarda ardemment la jeune fille, mettant tout ce qu’il put de pouvoir de fascination dans ce regard-là.
— Encore ta damnée jalousie, Charlie, lâcha Maud.
Elle expliqua :
— Comme je suis curieuse de nature, j’ai l’habitude d’aller voir qui sonne. J’y vais quelquefois en petite tenue, ça dépend des cas. Monsieur se met en rogne. Il a eu peur que je me montre à poil, et il m’a bouclée ! Un de ces jours, mon vieux, ta jalousie te jouera un sale tour…
Comme pour se venger de la prétendue jalousie de Stefan, elle retroussa sa robe et se mit en devoir de rajuster sa jarretelle.
— Oh, ça va, éclata Stefan, pas la peine de faire ta Marlène Dietrich pour exciter l’inspecteur ! Tu parles que des guiboles de souris, il en a déjà vues des fagots, et même de mieux calibrées… Pas vrai, inspecteur ?
L’interpellé haussa les épaules. Il était gêné, car il avait vaguement conscience d’être ridicule. D’autant plus que ses subordonnés, ayant achevé leur rapide investigation, suivaient la scène en souriant et en louchant sur la jambe de Maud.
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